Le jugement de la juge Himel décriminalisant certaines formes de pratique du travail du sexe a suscité de nombreuses réactions. Or, plusieurs de celles-ci sont truffées de demi-vérités, voire de faussetés.

Le jugement de la juge Himel décriminalisant certaines formes de pratique du travail du sexe a suscité de nombreuses réactions. Or, plusieurs de celles-ci sont truffées de demi-vérités, voire de faussetés.

Tout d'abord, rappelons que s'il est vrai qu'il n'y a pas consensus en ce qui a trait à la nature de la prostitution (travail ou exploitation), il n'en demeure pas moins qu'un constat général émane de l'ensemble des rapports gouvernementaux canadiens depuis le célèbre rapport Fraser en 1985: celui de l'échec des lois actuelles, tant pour la protection des personnes vulnérabilisées par l'illégalité de leurs pratiques que pour la diminution de la prostitution.

Encore récemment, en 2006, le rapport du sous-comité chargé d'étudier les lois sur le racolage souligne que «la criminalisation visant à contrôler les activités de prostitution au Canada compromet la sécurité des personnes prostituées de même que leur recours aux services sociaux et de santé». D'ailleurs, saviez-vous que le même rapport gouvernemental rapporte que 92% des peines d'emprisonnement liées à la loi sur la sollicitation sont purgées par des femmes?

En ce qui a trait à l'argument selon lequel le jugement viendrait favoriser l'impunité des proxénètes, il est tout simplement faux! Il existe en effet au Canada une kyrielle de lois qui peuvent s'appliquer pour protéger les travailleuses contre les abus. Si une travailleuse du sexe est victime d'extorsion, l'article 346 peut être mobilisé. Si une autre est victime de violence physique ou sexuelle, les articles 265 à 269 et 271 à 273 s'appliquent.

Pour ce qui de la peur des maisons closes, il n'est pas inutile de signaler encore une fois que les rapports gouvernementaux eux-mêmes mentionnent depuis 1985 la nécessité d'autoriser de telles maisons afin justement de protéger les femmes contre les abus qui, le rappellent-ils, proviennent non pas du travail en lui-même mais bien des conditions dans lesquels il s'exerce. Le rapport du sous-comité chargé d'étudier les lois sur le racolage (2006) souligne en ce sens que la clandestinité de la pratique favorise la violence faite aux femmes et les fragilise encore davantage.

Un autre épouvantail consiste à laisser croire que ce jugement viendra faciliter la prostitution juvénile. Foutaise, point à la ligne! La prostitution juvénile est, et restera interdite au Canada, comme c'est d'ailleurs le cas en Nouvelle-Zélande, seul pays à avoir décriminalisé le travail du sexe.

Ce qui m'amène à clarifier un autre point. Amsterdam ou Berlin n'ont pas décriminalisé le travail du sexe. Ils ont opté pour la réglementation des pratiques sans tenir compte de la réalité des principales concernées, ce qui n'est pas sans poser des problèmes évidents pour ces dernières. On note par exemple que certaines règlementations qu'on leur impose sont inacceptables pour elles ou ne correspondent pas à ce qu'elles vivent au quotidien.

Pour ce qui est des pays scandinaves, qui criminalisent les clients et non les travailleuses, encore une fois, on oublie de souligner l'efficacité limitée du modèle. D'ailleurs, le ministère de la Justice et de la Police de Suède ainsi que l'Office national de la santé et du bien-être de la Suède ont émis des doutes sur la diminution de la prostitution depuis l'adoption de la loi. On assiste plutôt à un déplacement dans les modes de pratiques.

Il n'y a qu'en Nouvelle-Zélande où les lois régissant le travail du sexe ont été élaborées avec la collaboration des principaux acteurs impliqués. Les principes au coeur de la décriminalisation: 1) la protection des droits humains; 2) la protection contre l'exploitation; 3) la promotion de la santé publique et le sécurisexe; 4) la prohibition de la prostitution juvénile.

Et pour ceux qui laissent croire que les tenants de la décriminalisation sont suffisamment naïfs au point de penser que cette approche viendra éliminer la violence ou les meurtres, je répondrai que c'est plutôt le fait de croire que l'usage du droit pénal empêchera les abus que subissent ces personnes qui se révèlent d'une naïveté exemplaire. Jamais une loi pénale, aussi répressive soit-elle, ne pourra empêcher les gens mal intentionnés d'agir.

En revanche, en ne criminalisant plus les pratiques des travailleuses du sexe, nous leur donnons le choix de pouvoir porter plainte, d'être défendues légalement en tant que citoyennes et d'être mieux protégées. C'est d'ailleurs le cas en Nouvelle-Zélande où les travailleuses du sexe peuvent, en vertu de la loi, refuser un service sexuel, obliger le port du condom ou encore traduire en justice les propriétaires de bordels qui n'offrent pas des conditions de travail adéquates.

Les études récentes montrent à cet égard que 90% des travailleuses du sexe interviewées là-bas s'estiment aujourd'hui mieux protégées. N'est-ce pas là l'objectif premier dans ce débat?