C'est tout un débat que celui de l'euthanasie. Je suis préposé aux bénéficiaires dans un centre de réadaptation physique de Montréal. Évidemment, dans un tel endroit, la mort est rarement au rendez-vous, mais la souffrance y est bien présente.

C'est tout un débat que celui de l'euthanasie. Je suis préposé aux bénéficiaires dans un centre de réadaptation physique de Montréal. Évidemment, dans un tel endroit, la mort est rarement au rendez-vous, mais la souffrance y est bien présente.

Nous vivons de plus en plus vieux. Cela comporte donc de bons et de moins bons côtés. Lorsque j'ai débuté, il y a 27 ans, les patients opérés pour une fracture de la hanche, par exemple, dépassaient rarement les 70 ans. Aujourd'hui, il n'est pas rare que je dispense des soins à des personnes de plus de 90 ans ayant subi une fracture de la hanche, du bassin ou autres.

Or ces personnes arrivent à mon centre après avoir passé plusieurs jours dans un milieu hospitalier à la suite d'une opération majeure. Après sa chirurgie, le patient demeure alité dans la plupart des cas, par faute de temps et par manque de personnel. On lui revêt, pour les mêmes raisons, une culotte d'incontinence, communément appelée couche. Cette personne passera donc de longues et interminables journées dans ce lit, dans sa couche et trop souvent dans sa solitude. Une fois rétablie (!?), elle est envoyée dans un centre comme le mien afin de retrouver son autonomie, dit-on. Mais voilà que sa semaine d'immobilité l'aura rendue amorphe, ses muscles sont atrophiés. Même l'appétit n'est plus au rendez-vous.

Le rôle des intervenants étant de remettre cette personne sur pied est donc difficile sinon impossible, dans plusieurs cas, car les dommages engendrés par l'immobilité et l'indifférence du réseau de la santé (qui va bien, selon le ministre de la Santé) sont irréversibles.

Cet être humain qui était autonome avant sa chute devient donc totalement dépendant à partir du moment où l'équipe multidisciplinaire décide qu'il n'y a plus rien à faire pour lui.

S'ensuivent donc les démarches afin de «placer» le patient dans un CHSLD. La liste d'attente étant de plus en plus longue, on ne peut trouver une place en quelques jours. Une fois son nom placé sur la liste, nous ne pouvons le garder car nous aussi avons une liste d'attente interminable de personnes qui attendent d'être réhabilitées. Nous retournons donc M. Tremblay ou Mme Lizotte à l'hôpital qui les a opérés. Encore au lit, des jours sinon des semaines durant, une couche aux fesses et des plaies de lit qui se forment au gré des jours passés sur le dos. Dans certains cas, il y a déshydratation, dénutrition et même la mort avant même d'être rendus au CHSLD.

Les plus chanceux (!?) qui se rendront en CHSLD ou en résidence privée vont survivre, dans la plupart des cas, dans ce système indigne d'une société dite civilisée. Ils seront réveillés au lever du jour et demeureront au lit, ou seront assis dans un fauteuil gériatrique. Par la suite, un succulent (!?) déjeuner préparé la veille dans une cuisine satellite leur sera servi. Après avoir passé quelques heures dans une couche souillée, celle-ci sera enfin changée. Viens ensuite le diner composé, dans bien des cas, de viande et de légumes en purée. Le bain? Non, le bain, c'est une fois par semaine. Avant même le coucher du soleil et sans avoir digéré complètement leur succulent souper, nos aînés sont couchés pour la nuit.

Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, la même routine se répète et devient le quotidien pour des dizaines de milliers de nos concitoyens. Voilà comment certaines de nos personnes âgées qui étaient autrefois autonomes se surprennent parfois à supplier la mort de venir les chercher.

C'est donc là le sort qui attend certains des bâtisseurs de notre société. Société qui se vante d'avoir l'un des meilleurs systèmes de santé au monde. Vraiment? Je suis heureux de la mise sur pied de ces auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité. Mais ne croyez-vous pas qu'il faudrait aussi pouvoir vivre dans la dignité?