Il y a une dizaine d'années, j'ai passé deux semaines en Égypte, dont une semaine au Caire. La ville compte près de 20 millions d'habitants, dont plusieurs vivent dans une grande pauvreté, notamment dans la vieille ville. J'avais 24 ans à l'époque.

Il y a une dizaine d'années, j'ai passé deux semaines en Égypte, dont une semaine au Caire. La ville compte près de 20 millions d'habitants, dont plusieurs vivent dans une grande pauvreté, notamment dans la vieille ville. J'avais 24 ans à l'époque.

Outre les ruines, l'indolence et les ânes, j'avais été impressionné par les enfants et les familles de la vieille ville: des meutes de jeunes qui patrouillaient le quartier sous le regard distrait des femmes qui discutaient dans l'embrasure des portes et des hommes qui travaillaient dans leur atelier. Quand un enfant avait besoin d'attention, un adulte intervenait rapidement et avec autorité - dans la majorité des cas, visiblement, un voisin ou une voisine qui, comme ses semblables, avait une responsabilité diffuse pour les enfants du quartier. Les accrocs se réglaient vite, après quoi les adultes retournaient à leurs occupations et les enfants à leur ouragan. Les vieux, jamais loin, gravitaient autour de cette vie.

Dix ans plus tard, je suis père d'un garçon de 3 ans, à Montréal. Je travaille à temps plein, j'habite seul, je connais peu mes voisins. J'ai des parents, des frères et soeurs et des amis dispersés dans toute la ville, tous accaparés par leurs propres tracas. Ma situation n'a rien d'exceptionnel.

Mais il m'arrive de me demander ce qui arriverait si je mourais subitement chez moi quand j'ai la garde de mon fils: il ne peut pas téléphoner, il ne peut pas ouvrir la porte de l'appartement, il ne connaît pas ses voisins. Dans ces moments d'angoisse, je repense parfois à la vie communale du Caire.

Évidemment, je n'envie pas la pauvreté de l'Égypte, ni ses statistiques sociodémographiques, et je n'endosse pas la corruption, l'oppression et les injustices qui ont cours dans ce pays.

Mais je l'avoue, il m'arrive de rêver d'une vie où mes voisins seraient en partie responsables de mon enfant, et moi des leurs. Plus souvent encore, j'imagine un monde où mes frères et soeurs, parents et amis, habiteraient en haut, en bas et à côté de chez moi, facilement disponibles en cas de besoin, et moi réciproquement.

Dans une société libre, et à l'heure où la conciliation travail-famille obsède toute une génération, on pourrait croire qu'il suffit de s'organiser entre parents et amis pour mettre en place certains éléments de vie communale qui facilitent la garde et l'éducation des enfants et le soin des personnes âgées.

Malheureusement, ce n'est pas si simple. Je donnerai deux exemples. Il y en aurait certainement d'autres.

Supposons que je veuille acheter un triplex à Montréal avec mon frère et ma soeur, qui ont chacun des enfants de l'âge de mon fils. Ensemble, nous ne formerions évidemment pas un village, mais une petite organisation communale de trois familles qui permettrait à nos enfants de jouer ensemble et de grandir sous la supervision diffuse de plusieurs adultes.

Est-ce possible? Non. La Régie du logement ne le permet pas. Ensemble ou séparément, mon frère, ma soeur ou moi ne pourrions pas reprendre des logements du triplex pour y loger nos frères et soeurs (et encore moins des amis). Nous sommes donc essentiellement contraints par la loi à vivre tous séparément, jusqu'à ce qu'une occasion extraordinaire se présente.

Deuxième exemple. Supposons que mon frère, ma soeur et moi, avec d'autres amis, décidions de faire garder nos sept enfants ensemble dans une de nos maisons. Est-ce possible? Non. Le ministère de la Famille et des Aînés exige un permis à partir du moment ou plus de six enfants sont gardés ensemble, permis dont l'obtention dépend notamment de plans d'architecte et de certifications allant de la hauteur des murs au système d'éclairage au taux d'humidité en hiver. Avec comme résultat que, même en période de pénurie de places en garderie, la débrouillardise entre parents et amis est essentiellement interdite.

Évidemment, personne n'est obligé d'élever ses enfants «à l'égyptienne», et le modèle communal ne convient pas à tout le monde. Mais alors que des milliers de parents angoissent dans l'isolement, rêvent d'un réseau de soutien de proximité et s'épuisent pour concilier travail et famille, l'option communale ne devrait pas être aussi sévèrement restreinte au nom d'un modèle social loin de faire l'unanimité.