J'ai tué ma mère de Xavier Dolan, Le Banquet de Sébastien Rose, La route des Cieux de Jean-Pierre Lefebvre. Que peuvent bien avoir ces trois films en commun? L'un a été réalisé par un très jeune réalisateur de 20 ans, l'autre par un homme de 41 ans et le dernier par un homme qui aura 69 ans cet été. Je n'ai pas choisi ces trois cinéastes et ces trois films par hasard. Ils m'ont été imposés par une discussion durant un atelier de scénaristes et aspirants scénaristes: certains étaient très jeunes et d'autres approchaient ou avaient l'âge de la retraite.

J'ai tué ma mère de Xavier Dolan, Le Banquet de Sébastien Rose, La route des Cieux de Jean-Pierre Lefebvre. Que peuvent bien avoir ces trois films en commun? L'un a été réalisé par un très jeune réalisateur de 20 ans, l'autre par un homme de 41 ans et le dernier par un homme qui aura 69 ans cet été. Je n'ai pas choisi ces trois cinéastes et ces trois films par hasard. Ils m'ont été imposés par une discussion durant un atelier de scénaristes et aspirants scénaristes: certains étaient très jeunes et d'autres approchaient ou avaient l'âge de la retraite.

En l'espace de quelques minutes, et dans la même foulée, Dolan, Rose et Denys Arcand ont été mis à la poubelle. Dolan est trop jeune (en plus, c'est le fils de Tadros), Rose est le fils de son père connu Hubert-Yves Rose, c'est pour ça qu'il peut faire des films, Denys Arcand est «celui qui a fait Le Déclin de l'empire américain, est trop bavard, il m'insupporte» (je cite), par contre La grande séduction est une oeuvre d'art (je ne suis pas d'accord, mais ici n'est pas mon propos).

Dolan n'a pas eu de subvention de Téléfilm, son expérience était de zéro, Devant le succès qu'a rencontré J'ai tué ma mère (à l'étranger, l'analyste de Téléfilm se réfugie derrière cet argument: Dolan était jeune, il a perdu des points au pointage à cause de ça. Oui, mais encore? Mieux vaut ne pas lui poser cette question, et je la comprends. Comment admettre qu'elle s'est trompée sans reconnaître que le système est foireux.

Sébastien Rose a eu plus de chance: il a eu des sous. Mais on n'aime pas son film.

Jean-Pierre Lefebvre devait être trop vieux et avoir trop d'expérience et de prix à son actif (eh oui, à Cannes aussi). Un refus de subvention, dans le cas de Jean-Pierre Lefebvre, ne peut être imputé à son jeune âge ou à son manque d'expérience. Le scénario a donc dû être jugé insatisfaisant par les analystes.

Cela me rappelle une intervention de Denys Arcand à la télévision qui disait que lorsqu'une jeune analyste de 30 ans lui disait, «vous devriez changer ça...», il avait envie de lui répondre, «ça fait 40 ans que je fais des films». Des jeunes peuvent être très brillants et prometteurs, la preuve en est Xavier Dolan. Le problème n'est pas l'âge, Rimbaud écrivait ses premiers poèmes à 16 ans et sa carrière prenait fin à 20 ans. Pourtant, son talent est indéniable et incontesté, encore aujourd'hui.

En lisant l'article d'Anabelle Nicoud dans La Presse du 22 juin («Le film qui n'avait aucune chance»), j'ai poussé un soupir de soulagement: enfin, quelqu'un parle des vrais problèmes. En citant des passages des rapports, Anabelle Nicoud révèle la gravité du problème: le manque d'humilité et la critique de goût.

Tout artiste sait combien il est effrayant de présenter une oeuvre en devenir. Cela exige beaucoup de courage et d'humilité. Les analystes ont le gros bout du bâton, leur rapport va décider de l'avenir d'une oeuvre. La question est de savoir si ces analystes sont compétents: qu'ont-ils fait, quels sont leur parcours, leurs motivations? Ont-ils les connaissances, l'intelligence et l'humilité nécessaire pour ne pas céder à l'arbitraire.

En lisant le rapport de l'évaluatrice de Téléfilm sur J'ai tué ma mère, on est en droit de se poser la question. Qui peut affirmer qu'un scénario «n'a aucune chance de se démarquer tant sur les marchés nationaux que dans les festivals»? Quels sont les arguments de la lectrice? «Dolan n'avait rien fait d'autre que du doublage et n'avait pas réalisé ni produit un court métrage de même pas dix secondes.» Ce n'est pas écrit dans le rapport, mais je l'ai entendu dans une salle de cours. J'assistais à une formation en scénarisation donnée par une analyste de Téléfilm... Le système est foireux parce que ces analystes refusent des scénarios, donnent des formations un peu partout et noyautent le système. Je n'ai rien contre un cinéma subventionné, mais il a ses limites.

Dans un cercle fermé, où tout le monde connaît tout le monde, une loi du silence s'instaure. Je suis heureuse qu'Anabelle Nicoud ait entrouvert la porte. Elle n'a pas mentionné les enveloppes à la performance (50% du budget de Téléfilm): des primes destinées aux producteurs ayant engrangé des recettes importantes au guichet. Elle n'a pas parlé non plus du comité de diffuseurs qui procède à une première sélection des scénarios. Elle n'a pas abordé la situation du réalisateur (ou du scénariste-réalisateur) qui dépend entièrement du producteur, le seul interlocuteur reconnu et admis par les institutions.

Cela engendre des situations parfois intolérables et inacceptables. Un réalisateur que je connais attend son cachet depuis trois ans. Le producteur prétend ne pas avoir d'argent pour le payer et ne prend même pas la peine d'aller chercher une subvention qui lui a été accordée par la SODEC pour terminer le film et donc... payer le réalisateur. Abus de pouvoir évident que seul le système actuel permet. Et cet abus commence dans le rapport de certains analystes (pas tous, heureusement) pour se répercuter tout au long de la chaîne.

Il est grand temps de remédier à cet état de fait en responsabilisant chaque intervenant dans le processus d'écriture, de réalisation et de production d'un film. Le réalisateur est le seul dont le nom est largement divulgué et le seul à porter le succès ou l'échec de son film. Il est le plus vulnérable et le moins protégé alors que sans lui les analystes et les producteurs seraient réduits au chômage.