Dans le vrombissement assourdissant des vuvuzelas sud-africains, l'équipe de France de foot s'est effondrée. Sur le plan sportif, le bilan est pitoyable et sans appel. Aucune victoire, deux défaites et un but en trois matchs. Ces Bleus rentrent à la maison et personne ne les regrettera.

Dans le vrombissement assourdissant des vuvuzelas sud-africains, l'équipe de France de foot s'est effondrée. Sur le plan sportif, le bilan est pitoyable et sans appel. Aucune victoire, deux défaites et un but en trois matchs. Ces Bleus rentrent à la maison et personne ne les regrettera.

Mais plus qu'une Coupe du monde ratée, c'est un drame national qui s'est joué ces dernières semaines sous nos yeux. En politique, on manque rarement l'occasion de faire du capital politique sur le dos des victoires sportives. Mais les défaites aussi ont un sens. Et on ne peut s'empêcher de voir dans celle-là un mal plus profond, le symbole d'une société française divisée.

En France, comme dans les médias étrangers, on tire à boulets rouges sur les Bleus. Début mai 2010, un sondage annonçait que moins d'un Français sur deux aimait les Bleus. Comme souvent, on tire d'abord sur le pianiste. En l'occurrence le sélectionneur, Raymond Domenech. Depuis plusieurs années, sa cote de popularité n'a rien à envier à celle de Nicolas Sarkozy. Condamnable dans sa stratégie de jeu (en avait-il une?), entêté dans ses choix et arrogant dans son discours, il n'a pas ménagé ses efforts pour descendre aux enfers.

Les joueurs non plus. Entre les salaires indécents, les ego surdimensionnés, un brin d'arrogance, des caprices de stars, la main d'Henry en barrage (celle du Brésil a fait couler moins d'encre), l'affaire de proxénétisme et les complots dans les vestiaires, l'image des Bleus était déjà passablement écornée. À la liste s'ajoutent désormais une humiliation sportive, l'exclusion d'un joueur (fait rarissime) à la suite des insultes proférées à l'encontre du sélectionneur, la mutinerie des joueurs et autres joyeusetés. Le jeu de massacre peut commencer.

Mais comme si le fait de mal jouer ne suffisait pas, les Bleus ont surtout commis un crime bien plus grave: ils ont contesté l'autorité. Et voilà qu'on avance les chiffres de leurs salaires pour prix de leur silence. Mais on devrait plutôt se réjouir de ce «coup de gueule» dans un monde du ballon rond réputé pour son image aussi policée qu'hypocrite. Quant au déshonneur du maillot tricolore, on voit mal qui pourrait reprocher aux Bleus de pratiquer avez zèle le seul sport national français: la grève. Voilà donc un geste patriotique! Allez, avouons-le, en guise de coup d'État, nos p'tits gars se sont surtout fait avoir comme des bleus.

Et c'est bien ça, le problème. En faisant leurs choux gras des querelles intestines de l'équipe de France, les médias n'ont pas seulement réussi à vendre du papier. Ils ont oublié que les responsabilités de ce fiasco sportif étaient partagées. Une fois de plus, les caciques de la Fédération française de football (FFF) et de la Direction technique nationale (DTN) auront su faire oublier leurs errements. Reconduire Domenech dans ses fonctions, engranger les redevances publicitaires de l'équipe de France et ripailler rue de Grenelle, c'est dans l'intérêt de la nation peut-être? Cette petite clique n'a jamais eu d'autre projet pour le foot français que celui de se maintenir à la tête d'un système qui sert (grassement) ses intérêts.

Si l'équipe de France fait aujourd'hui honte au pays, c'est surtout qu'elle en est le reflet. Divisée comme le reste de la société. Sur le terrain, on retrouve les couches populaires, les «banlieusards». Vous vous souvenez des «blacks-blancs-beurs» de 1998, symbole glorifié du «succès» bien connu de l'intégration à la française, à qui on pardonnait à l'occasion un petit coup de boule (l'Italien l'avait bien mérité!). Eh bien, dans la défaite, point de salut. Ces joueurs-là ne sont au mieux que des enfants gâtés. Au pire, ils sont redevenus les « racailles » qu'il faut «nettoyer au karcher», selon les bons mots du président.

Et c'est à ces gamins de cité que l'on demande de représenter la nation, de chanter la Marseillaise et d'être des modèles pour nos enfants? Des jeunes qui précisément n'ont pas eu d'enfance et sont passés des centres de formation à 13 ans à une vie de star à 20 ans? Soyons sérieux. C'est aux responsables politiques, aux élus, aux parents et aux enseignants qu'incombe la responsabilité de proposer des repères et des perspectives aux jeunes d'une société. Quant aux Bleus, demandons-leur simplement d'être des joueurs de foot. Visiblement, ce n'est déjà pas si simple.

* Français d'origine et grand amateur de foot, l'auteur est professeur de science politique à l'Université de Sherbrooke et directeur adjoint du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix.