Il y a quelques semaines, plusieurs journalistes ont souri d'un air entendu en lisant l'entrée Twitter de Jennifer Ditchburn, journaliste à La Presse canadienne. «Mon fou rire du vendredi: un porte-parole m'écrit un courriel off-the-record pour me dire qu'il ne peut pas répondre à ma question.»

Il y a quelques semaines, plusieurs journalistes ont souri d'un air entendu en lisant l'entrée Twitter de Jennifer Ditchburn, journaliste à La Presse canadienne. «Mon fou rire du vendredi: un porte-parole m'écrit un courriel off-the-record pour me dire qu'il ne peut pas répondre à ma question.»

Les journalistes ont ri... jaune. Ce qui n'était au départ qu'un irritant mineur pour les correspondants parlementaires basés à Ottawa est devenu une véritable menace au droit du public à l'information. La plupart des Canadiens ont entendu parler des documents censurés dans le dossier du traitement des prisonniers afghans ou encore du débat entourant les comptes de dépenses secrets des députés, mais le problème est encore plus profond.

Sous le règne du premier ministre Stephen Harper, l'information émanant d'Ottawa s'est tarie. Les ministres et les fonctionnaires sont muselés. Les demandes d'accès à l'information sont ralenties et parfois bloquées après intervention politique. La transparence a cédé le pas à une forme de propagande léchée dont l'objectif est de manipuler l'opinion publique. Résultat: les citoyens disposent d'informations limitées pour comprendre les agissements de leur gouvernement et lui demander de rendre des comptes.

En tant que journalistes, nous craignons que cela n'ouvre la porte à du gaspillage, à l'utilisation à mauvais escient de fonds publics ou encore à des scandales dont les Canadiens ne prendront connaissance que lorsqu'il sera trop tard.

Depuis quatre ans, le premier ministre Harper muselle ses ministres et force les journalistes à s'inscrire sur une liste dans l'espoir d'être choisis pour pouvoir le questionner. Récemment, toutefois, le contrôle de l'information a atteint de nouveaux sommets. L'accès à des événements qui devraient être publics a été interdit. Au travail des traditionnels photographes et caméramans, on préfère maintenant des «communiqués photo» et des «communiqués vidéos» préparés par des employés du bureau du premier ministre et envoyés dans les salles de presse du pays.

Il est de plus en plus difficile d'obtenir le droit qu'un témoin indépendant assiste aux événements pour les montrer tels qu'ils se sont produits et non tels que les politiciens aimeraient qu'ils se soient produits. À titre d'exemple, les ministres conservateurs ont-ils fait la moue lorsqu'ils ont goûté à la viande de phoque à Iqaluit l'été dernier? Les Canadiens ne le sauront jamais car les photographes n'ont pas obtenu l'autorisation d'assister à la dégustation. En lieu et place, une photo du bureau du premier ministre a été envoyée, photo qui a malheureusement été utilisée par plusieurs médias, parfois sans même indiquer sa provenance.

En bout de piste, cela signifie que les Canadiens ne reçoivent qu'une version aseptisée de l'histoire, pas l'histoire véritable.

De la même manière, la qualité de l'information fournie au public se dégrade rapidement. Les fonctionnaires (scientifiques, médecins, responsables d'agence de réglementation, vérificateurs, analystes), ceux qui élaborent les politiques publiques et sont le mieux placés pour les expliquer à la population, n'ont plus le droit de parler aux médias. Les journalistes doivent se rabattre sur une flopée de relationnistes qui connaissent très peu ou pas du tout les dossiers discutés. Ceux-ci répondent par courriel à des questions pointues par de vagues «lignes» ayant dû être approuvées par plusieurs responsables politiques.

Pendant ce temps, le système d'accès à l'information a été «totalement oblitéré» par les délais et les refus, aux dires du commissaire à l'information. Les demandes se soldent par des mois d'attente, du caviardage inutile, et même de l'interférence politique. Le cas le plus patent d'ingérence a été mis à jour récemment lorsqu'un fonctionnaire a littéralement dû courir jusqu'à la salle de courrier pour récupérer un rapport sur les biens immobiliers du Canada dont la publication, d'abord approuvée, a été refusée par un adjoint politique du ministre des Travaux publics, Christian Paradis.

La publication d'informations gouvernementales ne devrait pas dépendre de la volonté des politiciens. Cette information appartient à tous les Canadiens. À titre de contribuables, ils ont payé pour sa production. La publication d'informations devrait obéir au critère de la recherche de l'intérêt public, et non à celui de l'intérêt politique.

Ce genre d'interférence génère du mépris et de la méfiance envers le gouvernement. Comment, en effet, la population peut-elle s'assurer que l'initiative en santé maternelle a fait l'objet d'une réflexion rigoureuse ou encore que les bandes autochtones sont bien gérées si le seul message martelé par le gouvernement est: «Faites-nous confiance»?

Pendant de trop nombreuses années, les journalistes ont hésité à dénoncer ce problème du contrôle de l'information par le gouvernement, pensant que personne ne s'intéressait aux inconvénients que posent ces «pas de commentaire» devenus notre pain quotidien. Il est grand temps que les choses changent. Ce n'est pas de la détérioration des conditions de travail des journalistes dont il est ici question, mais d'une lente et certaine érosion de la démocratie.

Cette sortie n'a rien d'une prise de position idéologique ou partisane de la part des journalistes. Les journalistes ne posent pas de jugement de valeur sur les politiques mises de l'avant par le gouvernement conservateur. Nous voulons au contraire nous assurer que le public puisse obtenir les informations nécessaires pour poser lui-même ce jugement.

Les journalistes sont les intermédiaires des citoyens. Nous faisons de notre mieux pour poser les questions que les citoyens poseraient s'ils avaient le privilège de rencontrer le premier ministre ou d'échanger avec les climatologues chevronnés du ministère fédéral de l'Environnement.

Lorsque les journalistes sont privés des informations de base, nous ne pouvons demander des comptes au gouvernement en leur nom. Sans information, il ne peut y avoir de débat véritable sur les enjeux d'intérêt national. Sans information, les citoyens ne peuvent pas s'impliquer et voter de manière éclairée. Il est grand temps qu'Ottawa en prenne conscience.

* Hélène Buzzetti, présidente de la Tribune de la presse parlementaire canadienne; Brian Myles, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec; Mary Agnes Welch, présidente de l'Association canadienne des journalistes; Réal Séguin, président de la Tribune de la presse du Parlement de Québec; Kim Trynacity, président de la Tribune de la presse de l'Alberta; Karen Briere, présidente de l'Association de la tribune de la presse de Saskatchewan; Christine Morris, présidente de la Tribune de la presse du Nouveau-Brunswick; David Cochrane, président de la Tribune de la presse de Terre-Neuve; Wayne Thibodeau, président de la Tribune de la presse de l'Assemblée législative de l'Île-du-Prince-Édouard.