Si la fermeture de la raffinerie Shell dans l'est de Montréal est une mauvaise nouvelle pour tous les travailleurs directement et indirectement affectés, il est vain de vouloir se battre pour renverser la décision de Shell.

Si la fermeture de la raffinerie Shell dans l'est de Montréal est une mauvaise nouvelle pour tous les travailleurs directement et indirectement affectés, il est vain de vouloir se battre pour renverser la décision de Shell.

Celle-ci est basée sur une stratégie internationale qui depuis longtemps n'accorde aucune importance au Québec: nous ne sommes plus une porte d'entrée sur l'Amérique du Nord pour le pétrole de la mer du Nord, nous ne sommes pas un centre de production, et notre consommation est moins intense que celle de tous nos voisins. Le Québec fait en effet partie du petit nombre d'États dans le monde dont le bilan énergétique repose aussi peu sur les hydrocarbures.

Garder cette raffinerie en vie impliquerait un nombre de concessions qu'il serait parfaitement inconséquent d'accorder.

Tout d'abord, les différents paliers de gouvernements devraient offrir des incitatifs financiers à Shell (ou aux nouveaux acheteurs) pour que la transaction puisse se faire. On se retrouverait alors dans une situation où des fonds publics seraient versés à une industrie qui est déjà l'une des plus profitables sur Terre. Les profits de Shell, comme ceux d'Exxon (Esso), BP, Chevron et Total, se chiffrent en effet en dizaines de milliards de dollars par an depuis plusieurs années déjà. Doit-on vraiment donner davantage à ces riches compagnies, alors que les finances publiques sont dans le rouge?



En second lieu, garder cette raffinerie nous mettrait le pied dans un engrenage dangereux. Une des raisons qui pousse à la fermeture de cette raffinerie est le déplacement vers l'ouest de la production de pétrole: les approvisionnements de la mer du Nord sont en irrémédiable déclin. C'est de là qu'est venue une grande part du pétrole utilisé au Québec, mais les puits se vident.

Beaucoup de nouveaux projets voient plutôt le jour en Alberta, qui exporte son pétrole au sud, plutôt que vers l'est. Se battre pour garder cette raffinerie à Montréal, c'est en même temps s'obliger à soutenir un forage au large des côtes est du Canada. Ce pétrole pourrait en effet être raffiné ici, utilisant le seul avantage comparatif qu'il resterait à Montréal: la proximité.

Les autres atouts stratégiques, économies d'échelle et réglementation environnementale permissive, sont «malheureusement» perdus pour de bon. Mais veut-on vraiment faire la promotion du forage en haute mer? Veut-on vraiment se mettre en position de devoir encourager des entreprises à explorer toujours davantage, toujours plus en profondeur? Nous devrions plutôt tirer quelques leçons des tristes événements actuels assombrissant le golfe du Mexique.

Enfin, alors que le gouvernement provincial s'est donné l'objectif de réduire de 20% nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2020, il serait complètement absurde de maintenir artificiellement en vie l'industrie qui est au coeur de ces émissions. En effet, 40% des émissions québécoises sont directement liés au secteur du transport... c'est-à-dire aux produits pétroliers sortant des raffineries de Shell et Petro-Canada, à Montréal, et de celle d'Ultramar, à Lévis.

Pire, au moment où l'on annonce en grand l'électrification du transport - un projet qui va coûter très cher à notre société - on maintiendrait notre capacité de raffinage au Québec? Si l'ambition est rarement un défaut, il faut qu'elle soit cohérente. On ne peut pas financer toutes les industries à coup de subventions, surtout si l'objectif est d'en faire des industries rentables. Il faut choisir, surtout dans notre contexte fiscal déficitaire, où une majorité de citoyens veut garder le prix de l'électricité proche du coût de production (comme nous le faisons au Québec), tout en refusant de se porter volontaire pour payer plus d'impôt.

Tous les efforts devraient être tournés pour soutenir les malheureux travailleurs qui vont perdre leur emploi, et pour accélérer la reconversion de l'est de Montréal. Nous payons déjà assez cher l'essence: notre énergie devrait plutôt être dépensée à se soustraire de cette dépendance, plutôt qu'à tenter de raffermir les liens avec une industrie qui ne nous fera aucun cadeau.

* Professeur agrégé à HEC Montréal, l'auteur est membre du comité scientifique des Rendez-vous de l'énergie, une initiative qui vise à consulter la population sur notre dépendance envers le pétrole (www.rdvenergie.qc.ca)

Photo: Reuters