Voilà 25 ans que j'exerce la profession de médecin de famille. Au cours de ces nombreuses années, j'ai pu voir la régression des effectifs de façon très nette.

Voilà 25 ans que j'exerce la profession de médecin de famille. Au cours de ces nombreuses années, j'ai pu voir la régression des effectifs de façon très nette.

Lorsque je me suis installé en 1985, il a fallu environ deux ans pour que j'arrive à remplir mes bureaux... et pourtant, je n'étais pas au centre-ville de Montréal, mais bien dans une ville autrefois petite de la Rive-Sud de Montréal.

Aujourd'hui? Un nouveau médecin qui s'installe affiche complet avant même d'avoir mis les pieds dans la clinique qu'il a choisie!

Le déclin de la population des médecins de famille frappe aux yeux. Il n'y a pas une journée où je ne refuse pas d'accepter un nouveau patient parmi ma clientèle. C'est donc dire qu'en plus de devoir s'occuper de bien traiter sa clientèle, le médecin de famille doit gérer l'agonie de sa profession.

Déchiré entre le désir de servir la population, de plus en plus exigeante parce que vieillissante, et sa propre disponibilité de façon à préserver un équilibre précaire, le médecin de famille des années 2010 travaille dans des conditions de plus en plus difficiles, voire démotivantes (le taux d'épuisement professionnel chez les omnipraticiens est en nette croissance).

Mais... pourquoi?

En fait, il faut revoir tout le processus depuis l'entrée en faculté jusqu'à l'installation en cabinet.

Tout d'abord, le corps professoral. Celui-ci est composé essentiellement de médecins spécialistes.

Ceux-ci, malgré toute la bonne foi qu'ils puissent avoir, voient tout de même la médecine au travers leurs lunettes de spécialistes, c'est-à-dire le champ dans lequel ils exercent. C'est normal, on ne peut leur demander davantage. Il faut modifier les effectifs pour avoir plus de médecins de famille à la base et non seulement en résidence lorsque les choix de carrière auront été faits, il sera trop tard, les jeunes médecins boudant l'omnipratique.

La médecine familiale au Québec est vraiment l'enfant pauvre de la médecine. Méprisée par beaucoup de professeurs, elle est nettement sous-payée par rapport aux spécialités.

Il existe en 2010 un écart d'environ 55% entre les revenus moyens d'un omnipraticien et ceux d'un spécialiste, et ce, sans compter les frais de bureau que le médecin de famille doit payer pour opérer sa clinique, ce que la plupart des spécialistes n'ont pas à défrayer puisqu'ils travaillent en milieu hospitalier.

C'est inacceptable.

Comprenons-nous bien: les médecins de famille ne sont pas des élèves de second ordre. En général, l'omnipraticien ne va pas en médecine familiale par dépit après avoir essuyé un refus en spécialité, il s'inscrit dans cette discipline par choix, parce qu'il veut s'occuper de première ligne, de prévention.

Il n'est pas plus «facile» de faire de la médecine familiale qu'une spécialité. Il est au moins aussi complexe sinon plus de «gérer» un patient dans sa globalité avec la pléiade de problématiques de toutes sortes, versus un problème unique pour lequel le patient est dirigé en spécialité.

L'omnipraticien fait de la première ligne. Il fait de la prévention. Pas besoin d'être actuaire pour comprendre qu'il coûte moins cher à l'État de payer les médicaments pour réduire le cholestérol chez un patient encore en bonne santé que de financer un quadruple pontage coronarien. Sans compter l'arrêt de travail prolongé qui va suivre parce qu'une prévention adéquate n'aura pas été faite...

Le gouvernement doit «comprendre» et valoriser le médecin de famille, qui a un rôle primordial à jouer pour garder la population en santé et préserver l'équilibre budgétaire de la société. En traitant l'omnipraticien de la même façon qu'un spécialiste, il y a fort à parier que les problèmes de recrutement en médecine familiale vont s'estomper. Dès lors, c'est toute la population qui en sortira gagnante. Et le patient et le contribuable.