Les marchands de la rue Sainte-Catherine qui ont une vitrine le moindrement attirante doivent-ils la doter d'une grille métallique, afin de limiter les dégâts suite à des célébrations qui tournent mal? En sommes-nous vraiment rendus là? Est-ce le genre de visage que nous voulons donner à la Sainte-Catherine et à notre société en général?

Les marchands de la rue Sainte-Catherine qui ont une vitrine le moindrement attirante doivent-ils la doter d'une grille métallique, afin de limiter les dégâts suite à des célébrations qui tournent mal? En sommes-nous vraiment rendus là? Est-ce le genre de visage que nous voulons donner à la Sainte-Catherine et à notre société en général?

À cause de poignées de voyous?

Si nos marchands se mettent à accrocher des grilles à leur vitrine, je vais avoir la même déception que le jour où, en entrant dans la succursale de la banque que je fréquente depuis des années, la gentille caissière se cachait désormais derrière une plaque de verre épaisse comme ça.

Et parlez bien dans le trou, monsieur...

La même déception quand j'arrive à une pompe à essence où, pour faire le plein, je dois payer à l'avance. Je ne sais jamais si je dois tenter de deviner la bonne quantité d'essence qu'avalera mon auto (et peut-être gagner un prix?) ou alors abandonner mes cartes à l'inconnu derrière le comptoir.

La même déception quand en sortant ma Visa, surtout aux États-Unis, on demande à voir une carte d'identité.

Dois-je comprendre que la confiance en autrui a foutu le camp?

La banque se blinde de crainte que parmi ses clients se faufile un braqueur. La station-service se prémunit contre le zozo qui vole une pétrolière. Les marchands ne croient plus que vous êtes le vrai détenteur de votre carte de crédit.

Hé misère, parce qu'il y a des croches dans notre société, on nous traite comme si nous en étions tous.

Rappelez-le moi encore: à cause de combien de malfrats en goguette devrait-on se résigner à défigurer la Main? À envoyer le message aux citoyens et aux visiteurs: ici, on se méfie de vous?

Je pense qu'une autre solution serait de convaincre les marchands de ne surtout pas rendre leur vitrine attirante. Laide, ben laide. Mais on en serait quitte pour un autre type de défiguration et on céderait encore à la tyrannie de la peur.

Parmi les 20 000 spectateurs qui quittent le Centre Bell en liesse, combien sortent de là en se disant: «Bon, maintenant, allons casser une vitrine ou deux»? Ont-ils même assisté au match, les casseurs? Attendent-ils la foule pour profiter d'une cohue?

Quoi qu'il en soit, je me suis imaginé des milliers de fans en train de fêter sur la Sainte-Catherine et les rues avoisinantes. Ça crie, ça chante, ça danse, ça fume, mettez-en, mais tout ça dans une ambiance où l'on respecte des trucs pas trop difficiles à piger comme «la vitrine d'autrui tu ne feras pas voler en morceaux» et «l'image d'un peuple tu soigneras» ou «ne fais donc pas quelque chose qui fasse pleurer ta mère».

Ah mais, c'est vrai, il y en a peut-être parmi nos fêtards qui n'ont pas eu la chance d'intégrer cette moralité de base durant leur enfance. Peut-être alors que les milliers de fans corrects que déversent l'aréna pourraient jouer à la maman et au papa pendant quelques heures? Une douzaine de petits comiques à cagoule se massent devant une trop belle vitrine, mais les voilà repérés et encerclés par 300 citoyens qui n'ont pas envie de se voir traiter de vandales dans les journaux du lendemain. Trois cents personnes enclines à calmer le pompon à une douzaine de délinquants. Et si ça ne suffit, il y en a 300 autres à côté prêtes à participer à ce cours accéléré d'éducation civique.

Je rêve, sans doute. Comme si ça se pouvait des milices bénévoles, sympathiques, prévenantes...

Ne reste qu'une solution: au lieu d'installer des grilles métalliques, les marchands devraient au contraire ouvrir leurs portes. Oui, à 22h. Ils se plaignent que durant les matchs, les affaires agonisent. Mais après le match, on parle de 20 000 clients potentiels: la manne! Et l'atmosphère festive serait totale, les trottoirs bondés, le magasinage de minuit frôlant le surréel. Bien sûr, on embaucherait quelques gardiens de sécurité supplémentaires, juste au cas où, mais ça, c'est normal, j'en croise tout le temps à La Baie, même les jours où le Canadien perd.

Tout le monde serait content, sauf peut-être les poseurs de grille métallique.