S'il y a une chose à ne pas reconstruire en Haïti, c'est le palais national ou, plus clairement, le palais présidentiel.

S'il y a une chose à ne pas reconstruire en Haïti, c'est le palais national ou, plus clairement, le palais présidentiel.

La reconstruction de ce pays ne doit pas être pensée en béton ou en acier uniquement, il faut aussi penser à changer la mentalité des gens. Rares sont ceux qui ne réclament pas un changement radical dans les fondements de ce pays. Certains parlent même d'opportunités. Les idées ne manquent pas, mais les objectifs à atteindre sont à définir. Reconstruire sans un projet commun pour l'avenir signifie qu'on veut aller nulle part. Ce pays a un passé, qui fait la fierté de ses citoyens et où on peut aller puiser des idées. Si ce passé est mémorable, c'est parce que les gens qui l'ont fait pensaient autrement. Ils pensaient «pays» avant tout. C'est le moment de mettre en valeur ce passé.

L'histoire d'Haïti qu'on apprend aux écoliers haïtiens, c'est l'histoire des présidents. On comprend bien pourquoi les Haïtiens aiment tant le palais au lieu d'aimer le pays. L'histoire des présidents, c'est l'histoire qui se déroule autour du palais national. Une histoire de conflits interindividuels, de haines, de déchirements, qui ne fait que conduire le pays dans l'instabilité permanente, dont la principale victime est le pays lui-même.

Les Haïtiens s'entredéchirent pour habiter cette maison, ils se haïssent parce qu'ils croient qu'ils sont destinés à devenir présidents. Ce palais fait oublier aux Haïtiens leur responsabilité envers ce pays qui leur appartient et à eux seuls. Les néo-colonialistes observent le comportement des Haïtiens. Voilà ce qui explique que ce palais devient un instrument de manipulation aux mains des ennemis de ce pays pour contrôler les Haïtiens et les désunir.

Maintenant l'opportunité, c'est de construire des choses qui doivent porter les Haïtiens à aimer leur pays sans démagogie, sans un patriotisme d'apparat, sans ambition personnelle. Combien d'Haïtiens ont donné leur vie pour ce pays, ils sont oubliés, pas une école en leur nom, pas une rue en leur nom, même nos cimetières, mémoire d'un pays, sont détruits.

Un pays sans mémoire est un pays sans avenir - ce n'est pas moi qui le dis.

Il faut changer la mentalité des Haïtiens. On entend souvent dire que l'éducation est le seul moyen efficace pour le faire, ce n'est pas suffisant. Il faut aussi changer la réalité matérielle de ce pays. Il faut mettre en place une nouvelle infrastructure qui va dans le sens de l'intérêt national. Il faut agir sur les sens: la vue, l'ouïe, le toucher...

Au lieu de placer à la vue des gens une bâtisse imposante qui représente le symbole du pouvoir, de la richesse facile, de la supériorité sur les autres, de la force brutale, de l'impunité afférente, etc. Il est important maintenant d'apporter aux gens d'autres manières de voir et de penser. Pour cela, il faut commencer par construire dans du solide, mais un solide qui ouvre de nouvelles perspectives toujours dans le sens de l'amour du pays et qui peut aussi détruire chez l'individu haïtien cet égocentrisme envahissant qui fait très mal au pays.

Les Haïtiens doivent savoir que pour reconstruire ce pays, ils doivent commencer par bâtir maintenant une nation. Il faut qu'ils arrêtent de dire sans cesse «Haïti chérie» alors qu'au fond, ils se chamaillent pour leur intérêt personnel. L'intérêt national n'existe plus, tout est en place depuis bien longtemps pour annihiler complètement le patriotisme chez l'individu haïtien et maintenant la magouille patriotique devient une maladie collective. On peut même dire qu'être patriotard, c'est intelligent parce que c'est rentable politiquement.

C'est évident que pour reconstruire ce pays selon de nouvelles normes, les Haïtiens n'ont ni l'argent, ni les outils, ni même les compétences, il faut absolument faire appel à des compagnies et des institutions étrangères. Mais l'intérêt national, c'est aux Haïtiens de se mobiliser pour le défendre, sinon après, on va se retrouver avec des enseignes: Boulevard Raphael Leonidas Trujillo, École Pauline Bonarparte ou Hôpital Jhon Garmyan Footgrap qui peut être le nom d'un ancien esclavagiste.

À la place du palais présidentiel, pourquoi ne pas mettre un bel édifice imposant qui sera le siège de l'Université d'État d'Haïti. Cet édifice d'où sortiront les meilleurs cadres du pays, doit représenter aux yeux des Haïtiens, le symbole du savoir. On espère qu'il sera une vraie attraction pour les jeunes et leur donnera envie d'étudier pour servir le pays au lieu de vouloir devenir président «pour servir le pays». Dans le cadre de la décentralisation, cette université ne doit pas être seulement à Port-au-Prince, elle aura des facultés éparpillées dans tout le pays.

Pour la gouverne de l'État, le pays doit avoir un bureau administratif permanent avec des employés où le président doit se rendre chaque jour pour aller travailler comme tout le monde. L'État haïtien aura le devoir de loger le président élu durant son mandat dans une maison louée dans un quartier convenable répondant aux exigences d'une telle fonction. Mais ce ne doit pas être un logement officiel où celui qui l'habite, si on ne peut pas le sortir de là, est ipso facto le chef de l'État.