À l'aube de la Révolution tranquille, en 1960, les deux tiers des jeunes Québécois de 30 ans n'avaient aucun diplôme. Notre taux d'emploi était en baisse. Nos infrastructures étaient honteusement déficientes. Le salaire moyen des francophones unilingues équivalait à seulement 51% de celui des anglophones unilingues. Même rapport qu'entre Noirs et Blancs aux États-Unis. Pierre Vallières avait raison: nous étions les «nègres blancs d'Amérique».

À l'aube de la Révolution tranquille, en 1960, les deux tiers des jeunes Québécois de 30 ans n'avaient aucun diplôme. Notre taux d'emploi était en baisse. Nos infrastructures étaient honteusement déficientes. Le salaire moyen des francophones unilingues équivalait à seulement 51% de celui des anglophones unilingues. Même rapport qu'entre Noirs et Blancs aux États-Unis. Pierre Vallières avait raison: nous étions les «nègres blancs d'Amérique».

À partir de 1960, le gouvernement Lesage exprima l'intention de se servir à fond de l'État afin de scolariser les jeunes, de créer la richesse, de la mieux répartir et d'encourager la maîtrise francophone de l'économie. Nos dépenses publiques provinciales et municipales sont passées de 13% du revenu intérieur en 1961 à 34% en 2007. Elles dépassent aujourd'hui de 30 milliards de dollars le montant que nous aurions à débourser annuellement si nous dépensions au même rythme que l'Ontario.

Est-ce que cette implication massive de l'État québécois a permis d'atteindre les objectifs de 1960? Oui, dans une grande mesure. Nous sommes allés à l'école en plus grand nombre. En 2006, seulement 12% des jeunes Québécois de 30 ans restaient sans diplôme. Selon l'OCDE, nos enfants se classaient tout près du sommet mondial en performance académique. En niveau de vie, notre retard sur l'Ontario est passé de 21% en 1960 à 8% en 2008. Cet écart de 8% est d'ailleurs en grande partie volontaire: nous acceptons volontiers un revenu monétaire moindre afin de conserver plus de temps libre. La productivité de notre économie vient de dépasser celle de l'économie ontarienne.

Au plan social, la pauvreté et les inégalités du revenu sont aujourd'hui moins prononcées au Québec que partout ailleurs en Amérique du Nord. Le plus riche 1% de la population québécoise est 43% moins riche et 11% plus taxé que le plus riche 1% des autres provinces canadiennes. Enfin, l'amélioration de la position relative des francophones dans l'économie du Québec a été fulgurante en termes de revenu comme de propriété des entreprises.

Nous avons raison d'être fiers de ces progrès. Néanmoins, de nouvelles questions se posent aujourd'hui. Comment retrouver la société de confiance et d'entraide que nous formions autrefois hors des tentacules de l'État? Sommes-nous satisfaits de la performance des grandes bureaucraties administratives, syndicales et professionnelles qui contrôlent la santé, l'éducation et la fonction publique? Notre système de santé sera-t-il capable, dans les années qui viennent, de prendre soin de nos baby-boomers vieillissants sans condamner nos enfants à un carcan fiscal? Le gouvernement doit-il continuer d'être à ce point la nourrice des entreprises et le père Noël des régions ? Est-il condamné à traverser des crises financières qui reviennent tous les 14 ans (1982, 1996, 2010)? Notre préférence pour les grands monopoles (électricité, agriculture, construction, santé, etc.) sert-elle encore le bien commun? Allons-nous continuer à accepter que la sous-tarification de l'électricité nous incite à gaspiller 20 milliards de kilowattheures par année? Avec la majorité de ses membres dans le tiers le plus riche des salariés, le syndicalisme sert-il encore aussi bien qu'autrefois la cause des vrais «mal pris» de la société? Notre pratique du consensus et de l'unanimité est-elle devenue source d'immobilisme? Accordons-nous trop d'importance à la sécurité aux dépens de la liberté, à la protection aux dépens de la responsabilité? Avons-nous le goût d'accélérer notre performance économique (sans réduire notre temps libre) afin de surmonter l'écart de 25% entre notre niveau de vie et celui des États-Unis?

Nous avons ici un devoir d'autocritique. Devant le monde qui change et les nouveaux défis qui apparaissent, c'est la seule pratique qui soit respectueuse du glorieux passé de la Révolution tranquille.

* Cette quatrième de huit conférences sera prononcée par Pierre Fortin le mardi 11 mai à 19h30 à l'Auditorium de la Grande Bibliothèque dans le cadre de la série La Révolution tranquille 50 ans d'héritages, présentée jusqu'en décembre 2010 par l'Université du Québec à Montréal et par Bibliothèque et Archives nationales du Québec.