Une deuxième femme a été expulsée d'un cours de français pour son refus de se dévoiler. En contraste avec l'incident qui a fait les manchettes le mois dernier, cette femme était une étudiante modèle qui collaborait bien avec ses collègues. Son expulsion a laissé perplexes ces derniers et la gestion du centre communautaire. L'effet pervers d'une politique de visages exposés à tout prix nous ramène à examiner le projet de loi introduit récemment par la ministre de la Justice, Kathleen Weil.

Une deuxième femme a été expulsée d'un cours de français pour son refus de se dévoiler. En contraste avec l'incident qui a fait les manchettes le mois dernier, cette femme était une étudiante modèle qui collaborait bien avec ses collègues. Son expulsion a laissé perplexes ces derniers et la gestion du centre communautaire. L'effet pervers d'une politique de visages exposés à tout prix nous ramène à examiner le projet de loi introduit récemment par la ministre de la Justice, Kathleen Weil.

Le projet de loi no 94 définit la notion d'accommodement et autorise le refus de toute demande d'accommodement qui déroge à la pratique voulant qu'une personne ait le visage découvert lors de la prestation de services publics. La ministre nous assure que son projet de loi pondère les droits des individus et les besoins collectifs. Or le projet de loi soulève des doutes sérieux quant à sa validité constitutionnelle.

Le projet de loi risque d'enfreindre la liberté de religion telle que garantie par les chartes canadienne et québécoise. La Cour suprême du Canada a défini la liberté comme l'absence de coercition ou de contrainte. Le projet de loi, d'ailleurs, contraint des personnes religieuses à se dévoiler quitte à être privées des services gouvernementaux.

Admettons que le projet de loi ne réfère à aucune religion particulière. Reste qu'il aurait un effet particulièrement lourd sur ceux qui portent le voile pour des motifs religieux. Il n'est pas question ici d'attribuer une intention discriminatoire au gouvernement. L'effet néfaste pour les pratiquants d'une religion suffit pour soulever une question d'inconstitutionnalité.

Toutefois, même une loi qui restreint le droit à la liberté religieuse peut être valide si elle est justifiée par le gouvernement. Le gouvernement doit démontrer que la loi est une limite raisonnable dans une société libre et démocratique. Qu'en est-il du projet de loi en cause?

Selon le gouvernement, le projet de loi vise à faciliter le fonctionnement des services publics et à subordonner toute demande d'accommodement au respect du droit à l'égalité entre les femmes et les hommes et du principe de la neutralité religieuse de l'État.

Or, soulignons que le Québec n'a jamais reconnu ce dernier principe. La présence de symboles religieux comme le crucifix accroché dans l'Assemblée nationale contredit un tel principe. Le gouvernement agit-il de mauvaise foi?

Je préfère plutôt présumer que le gouvernement s'attaque de bonne foi à un problème sincèrement ressenti. Cependant, même si l'objectif du projet de loi est valide, les moyens adoptés risquent de se heurter aux exigences constitutionnelles.

Une atteinte aux droits et libertés garantis doit être raisonnablement minimale. Les mesures proposées, quant à elles, paraissent avoir une portée trop vaste. Le port du voile en soi n'est pas une base fiable pour identifier ceux qui entravent la prestation de services publics. L'expulsion du cours d'une femme voilée malgré ses bonnes relations avec ceux concernés en témoigne.

Cependant, il reste une possibilité pour justifier le projet de loi. Celui-ci prévoit qu'un accommodement permettant un visage couvert doit être refusé lorsque des motifs liés à la sécurité, à la communication ou à l'identification le justifient. Le projet de loi pourrait se justifier si des interprètes s'assurent qu'il y a vraiment un motif légitime pour chaque cas où ils refusent un accommodement. Devons-nous en être optimistes?

Le discours gouvernemental suggère que de tels motifs sont automatiquement engagés lorsque quelqu'un bénéficie des services publics. C'est vrai que l'on doit s'identifier avant de monter à bord d'un avion. Mais le projet de loi s'étend aux établissements publics dont on peut profiter sans soulever le moindre motif de la sécurité, la communication ou l'identification. Par exemple, il s'applique aux établissements universitaires. Or il n'y a souvent aucun contrôle à l'entrée de leurs bibliothèques et quiconque peut s'y installer pendant les heures d'ouverture sans s'identifier ni communiquer avec qui que ce soit. En principe, une personne voilée ne cause aucun problème dans de tels endroits.

Bref, la constitutionnalité du projet de loi dépend de l'application qui lui sera accordée. Si ses dispositions sont appliquées avec jugement, restreintes au cas par cas, elles pourraient être justifiables et donc valides.

Mais l'expulsion d'une femme voilée qui s'entendait bien avec ses collègues nous laisse anticiper que le projet de loi pourrait porter nos fonctionnaires à sous-estimer leur responsabilité de bon jugement.