Les médecins québécois sont actuellement plus que choyés si on les compare à la moyenne de la

Les médecins québécois sont actuellement plus que choyés si on les compare à la moyenne de la

population. Il est difficile d'avoir accès à des chiffres objectifs et récents sur la rémunération des médecins, mais si l'on se fie aux dernières données publiques de l'Institut canadien d'information sur la santé, les médecins qui travaillaient à plein temps au Québec en 2004-2005 avaient des revenus moyens de 168 148$ pour les omnipraticiens et de 272 642$ pour les spécialités chirurgicales (certaines spécialités frisent les 360 000$).

Depuis, les médecins, particulièrement les spécialistes, ont obtenu des augmentations significatives. À la même époque, le revenu moyen par habitant au Québec était de 28 595$. Comme on peut le voir, on s'approche d'un facteur de 10 entre le revenu moyen de l'ensemble de la population et le revenu moyen des spécialistes. C'est d'autant plus considérable que, quel que soit le mode de financement des soins, le revenu des médecins vient de la poche de l'ensemble des Québécois. C'est une forme de redistribution qu'aurait admirée le shérif de Nottingham.

Beaucoup de Québécois étudient longtemps, font des travaux difficiles et importants, et pourtant ne gagnent qu'une fraction de ce qu'empochent les médecins. Les médecins étudient longtemps. C'est vrai! Mais moins longtemps que les professeurs d'université ou, à vrai dire, que n'importe quel titulaire d'un doctorat, qu'il soit en musique ou en science sociale. Et pourtant, les médecins gagnent considérablement plus. Les médecins font un métier difficile et exigeant. C'est aussi vrai! Mais du policier au travailleur de la construction en passant par l'infirmière ou l'enseignante en milieu très défavorisé, ils ne sont pas les seuls et l'écart de revenu reste considérable. À vrai dire, aucun argument purement fonctionnaliste ne permet d'expliquer le niveau de rémunération des médecins.

Payer plus les médecins ne fera rien pour contrer l'exode, au contraire. C'est probablement l'argument le plus important et le plus méconnu. Les syndicats qui représentent les médecins utilisent régulièrement l'argument que sans augmentation de leurs revenus, plusieurs professionnels vont quitter la pratique ou la province. Or, il faut bien comprendre que la majorité des médecins sont payés à l'acte. Ce que ces syndicats réclament en pratique, c'est donc une augmentation du prix unitaire des actes. À ce sujet, il est fondamental de tirer des leçons des précédentes augmentations du tarif des actes au Québec où l'on a pu observer deux mouvements simultanés. D'une part, une augmentation modérée de la rétention (moins de médecins partent), mais simultanément une diminution significative du nombre d'actes par médecin (les médecins qui restent travaillent moins). Ceci s'explique facilement. Bénéficiant déjà de revenus confortables, beaucoup de médecins font le choix, légitime et compréhensible, de profiter de l'augmentation du tarif des actes pour travailler moins tout en gagnant autant. Mais l'effet net c'est que les augmentations précédentes du tarif des actes au Québec se sont traduites par moins de soins offerts et ce déficit était plus important que les bénéfices dus à l'amélioration de la rétention. Collectivement, les Québécois ont payé plus pour en avoir moins.

Augmentons la rémunération des médecins pour une bonne raison. Est-ce que tout cela signifie qu'il faille refuser toute augmentation? Pas forcément. Des incitatifs financiers peuvent servir à convaincre les médecins de s'impliquer dans des expériences différentes de production de services.

On peut par exemple penser au déploiement prochain des infirmières praticiennes spécialisées en première ligne. De même, de l'argent additionnel peut servir à inciter des médecins à modifier certains aspects de leur pratique, par exemple pour diminuer l'attrait d'une pratique de première ligne de clinique privée en formule sans rendez-vous. Des incitatifs peuvent aussi être développés pour modifier l'attrait relatif de certains actes ou de certaines spécialités. Sur ce dernier point, le déficit structurel de médecins omnipraticiens et l'incapacité chronique à pourvoir les postes en médecine de famille est un exemple évident. Finalement, des sommes additionnelles peuvent servir à encourager le passage d'une rémunération exclusivement à l'acte vers des modes hybrides plus performants.

Mais si, collectivement, les Québécois décident de donner plus d'argent aux médecins, au moins que ce soit pour une raison valable dans le contexte d'un plan d'ensemble cohérent orienté vers la santé de la population. Ne payons pas plus pour en avoir moins!



* Les auteurs sont respectivement professeur agrégé à la faculté des sciences infirmières de l'Université de Montréal et professeure agrégée à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke.