Il y a plein de choses qui m'ont fait enrager à La Presse pendant toutes ces années. La pire? Je n'avais pas les deux pieds en dehors de l'ascenseur et une voix me criait: «On n'a pas d'espace!»

Un jour, je suis retournée directement chez moi. J'ai refusé de répondre au téléphone de M. Pas d'espace. Il voulait savoir sur quoi j'allais écrire ce jour-là. Il attend toujours la réponse.

J'ai adoré ce travail de chroniqueur de télévision. Parce que j'y ai longtemps connu une liberté totale. Comme si j'avais eu ma PME à moi. Quand j'ai été nommée au milieu des années 70, mon patron de l'époque, Jean Sisto, était contre. «Pas vrai que je vais sacrifier une bonne journaliste (merci boss) à couvrir ce média de débiles mentaux!»

Il a finalement consenti quand je lui ai offert un essai de six mois. Un matin, j'ai trouvé sur mon bureau un poème en alexandrins que j'avais écrit sur Elaine Bédard qui animait une émission d'été, avec le même dédain que Marie-Antoinette professait pour les manants. «Ils n'ont plus de pain, mais qu'ils mangent du gâteau!» Jean Sisto avait entouré mon texte au gros crayon rouge et commenté: «Maudite folle!» J'ai toujours adoré ce boss-là.

Pas compliqué comme définition de tâche. Cinq chroniques par semaine. 55 lignes max. Un patron strict m'a déjà coupé deux lignes parce que j'avais dépassé à 57. Les lecteurs sont restés une patte en l'air.

Mes tâches se sont complexifiées. Je devais couvrir aussi la radio, la partie business de l'industrie, ce qui comprenait les audiences du CRTC. Une vraie misère! Couvrir ces audiences et regarder le gazon pousser: même excitation. Radio-Canada m'a filmée endormie pendant une audience. Parfois, on arrivait à rigoler. Lorsqu'un digne commissaire a annoncé qu'il s'ennuyait des Joyeux troubadours, on a bien apprécié. De beau, de bon, de bonne humeur! Une autre fois, un commissaire de Québec a fait une scène carabinée parce que le signal de Radio-Canada n'était pas clair du côté de Sainte-Foy. Le problème, c'est que Radio-Canada avait installé son antenne sur l'île d'Orléans, donc à l'opposé de Sainte-Foy. Et que le signal se heurtait aux immeubles de Québec.

Je suivais la colère avec passion quand Michel Désautels, mon voisin à la table de presse, m'a dit  à l'oreille: «Rassure-toi: Radio-Canada a trouvé le remède. Ils vont changer l'île d'Orléans de place!»

Rappelez-vous les grand'messes plates de notre enfance et les fous rires qu'elles déclenchaient parfois. Ouf, on était encore vivants! J'ai tellement ri que j'ai dû sortir de la salle, sous les regards incompréhensifs des gens dans l'assistance. J'imaginais les boss de Radio-Canada tirer des plans - et l'île - pour racheter leur incompétence passée. Je me demande si le problème est réglé. Heureusement, le câble existe. Mais il faut le payer.

Mes patrons devaient penser que j'avais du temps de reste quand ils m'ont demandé de gérer aussi le Télé-Presse. Mes collègues se poussaient quand j'allais leur offrir une collaboration. Même avec cachet. Heureusement, l'été arrivait avec nos stagiaires si dociles. Mais l'été à l'époque, c'était la dèche à la télé. On avait les esclaves, mais pas la matière.

En scannant les horaires, je découvre à Télé-Québec un film extraordinaire sur les échecs que j'avais vu à Paris avec feu mon collègue du cinéma Luc Perreault. La diagonale du fou. Je lève la tête à la recherche d'un volontaire. Un petit jeune passe à ma portée. Je lui demande s'il connaît les échecs. Bien oui. En plus, il avait vu le film. Je lui dis: écrivez-moi un texte tout de suite. Il a dit non. «Je dois revoir le film.» Luc Perreault l'a déniché quelque part, et mon volontaire est parti chez moi avec ma clé le regarder. J'avais repéré un gars plein de talent qui ne prenait rien pour acquis avant d'écrire. C'était Yves Boisvert. Je n'ai jamais cessé de l'admirer et surtout de l'aimer. Un être d'une rare qualité.

On a beau avoir trippé sur des scoops, passé des nuits à se demander si on s'est fait berner, rencontré des gens extraordinaires ou abominables, ce dont je me souviens après toutes ces années à La Presse, c'est le plaisir que j'y ai eu. Le pot qu'on fumait dans les années soixante en pleine salle de rédaction sous le nez peu averti de nos patrons. Un lundi matin, la météo en une annonçait «Ensoleillé cette nuit». Heureusement, c'était avant les courriels tant pratiqués de nos jours par les «petits pères la virgule» qui adorent nous faire des reproches pour tout et pour rien.

J'ai toujours eu du mal avec l'autorité. Les seuls patrons que j'ai aimés sont ceux qui m'ont laissée aller parce qu'ils avaient confiance. Mon meilleur a été Jean-Claude Dussault, surnommé par moi le Gourou. Il était allé au Népal bien avant les modes et en était rentré avec une égalité d'humeur imbattable. J'avais beau être super occupée, je n'ai jamais refusé une de ses demandes. C'est ainsi que j'ai fait un grand papier sur le magazine CROC, et hérité de la série au complet des magazines. Qui ont fait mon bonheur et celui de ma fille.

Ce n'est pas de travailler fort qui fatigue. C'est plutôt de travailler pour des imbéciles. Heureusement, cela ne m'est pas arrivé souvent.