L'Affaire Coca-Cola n'a pas fini de créer des remous. La campagne Killer Coke, au coeur du film qui sera en salle le 26 février, appelle au boycottage tout en pointant un doigt accusateur contre le géant soupçonné d'être impliqué dans l'enlèvement, la torture et l'assassinat de chefs syndicaux, notamment en Colombie. Le film ne résume malheureusement pas la situation de la répression syndicale dans ce pays.

L'Affaire Coca-Cola n'a pas fini de créer des remous. La campagne Killer Coke, au coeur du film qui sera en salle le 26 février, appelle au boycottage tout en pointant un doigt accusateur contre le géant soupçonné d'être impliqué dans l'enlèvement, la torture et l'assassinat de chefs syndicaux, notamment en Colombie. Le film ne résume malheureusement pas la situation de la répression syndicale dans ce pays.

La Colombie remporte le déshonneur d'être le pays le plus dangereux au monde en ce qui a trait à l'exercice syndical. Lors des 23 dernières années, tous les trois jours, un travailleur syndiqué est assassiné.

Dans le contexte actuel du conflit armé déchirant le pays et de la présente crise économique qui ne peut qu'exacerber les revendications des syndicats, le portrait ne tend pas toujours à s'enjoliver. Afin d'améliorer la sécurité des syndicalistes, le gouvernement colombien a institué un programme de protection fournissant gardes du corps, véhicules, vestes pare-balles et téléphones cellulaires.

Les défenseurs des droits de la personne s'étaient réjouis des progrès, plus particulièrement en 2007, où il y avait eu 39 homicides comparativement à 76 l'année précédente. Toutefois, tel que le mentionne le rapport de l'École nationale syndicale (ENS), il importe de considérer le contexte transitoire de négociation entre les groupes paramilitaires et le gouvernement Uribe.

En d'autres termes, l'accalmie a coïncidé avec le processus de démobilisation des paramilitaires amorcé en 2003 et avec le moment où la Colombie faisait des pieds et des mains pour faire bonne figure alors qu'elle espérait un potentiel accord de libre-échange avec ses voisins.

Les progrès n'ont pas duré. Si, en 2008, une baisse globale des homicides en Colombie a pu être enregistrée, la violence antisyndicale a toutefois connu une hausse de 73%. Cette même année, l'ENS enregistrait une augmentation de 43,6% de la violence perpétrée contre les femmes syndicalistes. Parmi les cas répertoriés figurent ceux d'Emerson Iván Herrera Ruales et de Luz Mariela Díaz López, de l'Institution éducative La Concordia, affiliée à l'Association syndicale des éducateurs de Putayamo (ASEP). Toutes deux furent tuées par balle en avril 2008, alors qu'elles se dirigeaient à leur lieu de travail. Luz Mariela était alors enceinte de sept mois. L'enfant qu'elle portait est mort in utero quelques heures après son décès, lequel a aussi fait trois orphelins d'âge mineur.

Parmi les nouveaux modes de violence, les tactiques d'intimidation visent les enfants de syndicalistes. Des menaces dans l'autobus ou dans le sac à dos, aux menaces annonçant aux syndicalistes que leurs proches y passeraient d'abord, on s'attaque à la famille pour faire taire ceux qui dérangent.

Et la justice?

Force est de constater, quand on se penche sur le dernier rapport de l'ENS, que la négation demeure la norme: la réalité tend vite à être tordue, les chiffres revus à la baisse, les cas reclassés dans d'autres catégories et les enquêtes avortées. À la suite de la parution de rapports sur la Colombie établis par Human Rights Watch et Amnistie internationale, le chef d'État colombien a taxé cette dernière organisation d'«aveuglement», de «fanatisme» et de «dogmatisme» et accusé publiquement le directeur de Human Rights Watch d'être un partisan et un complice de la guérilla des FARC, peut-on lire dans le rapport 2009 d'Amnistie internationale. Le rapport de l'ENS de novembre dernier fait aussi état d'une impunité généralisée la chiffrant à 98%, tous types de violations confondus.

Quand des sentences sont rendues (207 en 10 ans), dans presque tous les cas, seulement l'homme de main est condamné. Souvent, il demeure impossible de connaître les condamnations ou d'en obtenir les détails. Cet accès très limité à l'information est une insulte de plus aux vies perdues.

Dans un pays où les deux tiers des travailleurs ne sont pas syndiqués, où ceux qui le sont ont des droits limités (parfois les revendications salariales sont interdites!), où l'exercice syndical présente trop souvent un danger, il n'est pas évident de revendiquer, de manifester et encore moins d'assurer une relève. Dans ce contexte, le mouvement syndical colombien ne risque-t-il pas de s'effriter davantage? N'a-t-il pas déjà perdu trop de ses piliers?

À l'ère de la globalisation, la communauté internationale a le devoir d'utiliser son influence afin de contrer ces plans d'extermination du mouvement syndical. Ce droit à l'exercice syndical est garanti par les lois internationales. Or, quand la garantie n'est pas appliquée, il faut agir et dénoncer l'illégalité. Et si les voix sont étouffées, il en faut d'autres pour réclamer justice.

Portrait sombre? Certes, mais pas complètement noir. Sur ma table de travail repose le rapport de l'ENS duquel émane une lueur d'espoir, témoin du courage et de la détermination de mes frères et soeurs syndicalistes colombiens. En son coeur vibrent les mots «No Es Muda la Muerte»: la mort ne nous fera pas taire.