À quelques rares exceptions – si on exclut quelques prêtres catholiques –, les intellectuels du Québec français se sont donné pour mission d'éradiquer le sentiment religieux. L'école publique fut un dispositif de prédilection de la déchristianisation, l'une des mieux réussies dans l'histoire occidentale.

À quelques rares exceptions – si on exclut quelques prêtres catholiques –, les intellectuels du Québec français se sont donné pour mission d'éradiquer le sentiment religieux. L'école publique fut un dispositif de prédilection de la déchristianisation, l'une des mieux réussies dans l'histoire occidentale.

La lutte est aujourd'hui d'autant plus efficace qu'elle peut compter sur une majorité de parents ayant été socialisés par le magistère scolaire où la dérision a souvent constitué une arme de persuasion ciblant l'apostasie officieuse.

Bref, les boomers et leurs aînés ont appris de Marx que la religion était « l'âme d'une société sans âme, le coeur d'une société sans coeur [...] l'opium du peuple ». Leurs enfants, aujourd'hui adultes, ne sauraient revendiquer la liberté d'une religion dont ils ne sont plus les adeptes.

Il me revient à la mémoire un délicieux petit film français (Credo) où Jean-Louis Trintignant, travesti en sociologue et croyant d'obédience chrétienne, est reconnu coupable d'avoir contaminé ses élèves, sa femme et ses enfants! L'action se termine sur un Notre père, récité à genoux, en présence des gendarmes, avant l'enfermement dans la prison ou l'asile. On ne dit pas si l'action se déroule en Union soviétique ou dans la radicale Albanie.

Si on n'y prend garde, le Québec pourrait bien rééditer l'intolérance extrême de ce petit pays de l'ex-monde communiste. Pourquoi ne sanctionnerait-on pas les élans de ferveur religieuse à la gloire du Créateur si d'aventure ils s'exprimaient à haute voix dans les parcs publics? Faudra-t-il faire taire les mourants exhibitionnistes qui implorent la divinité d'une voix audible dans les hôpitaux publics?

La lutte radicale emprunte divers sentiers: celui de l'égalité des hommes et des femmes, celui de la paix dans le monde parce qu'il est convenu que la guerre trouve souvent son origine dans les rivalités interconfessionnelles. La rectitude intellectuelle d'ici gomme le fait que le XXe siècle, l'un des plus meurtriers de l'histoire, a connu la guerre sans qu'y soit mêlé aucun ingrédient religieux.

Les représentations du prêtre dans la littérature télévisuelle sont généralement caricaturales, Le temps d'une paix faisant figure d'exception. Dans le cinéma, le Séraphin de Binamé se termine sur une invraisemblance: le curé refuse de célébrer les funérailles de l'avaricieux, annonçant à un de ses proches qu'il va rejoindre sur le champ sa bien-aimée à Trois-Rivières. L'incroyant Bernard Émond est peut-être le seul cinéaste moderne à traiter avec respect le sentiment religieux d'ici. Or, La neuvaine n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance nationale de même niveau que celle qui lui fut attribuée en Suisse. Dans la littérature comme dans la vraie vie, les pédophiles sont hyperpublicisés au petit écran comme si ce crime était le fait d'un grand nombre de prêtres. Comme si le refus de faire usage de son potentiel de jouissance cachait nécessairement des désirs pervers ou n'était possible qu'aux moines bouddhistes.

Aux yeux des néo-Québécois et même des anglophones de souche, le combat apparaît comme une poussée d'intolérance sans égal en Occident. Est-ce par ce que je suis chrétien d'obédience catholique que je partage leurs doléances? Je l'ignore, mais je ne doute pas que ce radicalisme pourrait jouer de sales tours à la nation et la priver d'immigrants nécessaires à la survie.

À la mort du président François Mitterrand, incroyant illustre s'il en fut, une femme éplorée s'est écriée en larmes: «Je ne sais pas où il se trouve, mais je prie pour lui.» Jamais un chef de pupitre n'aurait laissé passer ce témoignage sur nos petits écrans. En France, vieux pays de tradition laïque, le christianisme n'est plus vilipendé au petit écran, ainsi que j'ai pu m'en convaincre lors de séjours prolongés. Le jour de l'élection du pape actuel, je me trouvais en Espagne. À la télé française des grands réseaux, les catholiques se réjouissaient. Au petit écran radio-canadien du lendemain, le lecteur des nouvelles, mine renfrognée, annonçait avec affliction la mauvaise nouvelle.

L'extrémisme mène toujours à des réactions malheureuses. Les Américains ne sont peut-être pas très loin de manifester leur ras-le-bol à l'égard de la religion-opium qui encombre les médias. À l'inverse, l'éradication dans la sphère publique de toute croyance en une transcendance extra-terrestre qu'on veut imposer ici pourrait réserver de malencontreuses surprises. Longtemps privés de l'expression publique de leur foi, les orthodoxes russes sont peut-être en voie de ressembler aux fous de Dieu de l'Amérique.

Comme en matière de sentiment religieux, les Canadiens d'ascendance française du Québec ne paraissent pas très éloignés du Ground Zero – à moins qu'il ne soient devenus de nouveaux pratiquants de l'Église du silence jadis vécue par des populations privées de liberté religieuse, la réaction pourrait bien s'amorcer au sein des minorités, juifs et musulmans. Ils ont les chartes des droits nationales et internationales de leur côté.