Nous assistons depuis quelques années à une dernière mode sociale: l'obligation pour une victime de pardonner à son agresseur. Entre Oprah et Dr Phil, Christiane Charrette ou Deux filles le matin, les émissions consacrées au sujet se multiplient.

Nous assistons depuis quelques années à une dernière mode sociale: l'obligation pour une victime de pardonner à son agresseur. Entre Oprah et Dr Phil, Christiane Charrette ou Deux filles le matin, les émissions consacrées au sujet se multiplient.

La recommandation est unanime: le pardon de la victime est une libération pour elle et favorise le retour à un état de sérénité. Et alors que le Québec tout entier est ému par les deux drames familiaux tragiques qui se déroulent devant nos tribunaux, la pression pour les victimes survivantes de pardonner n'a jamais été aussi forte.

Bien que reconnaissant l'effet thérapeutique du pardon, je ne peux toutefois que m'insurger et constater les effets pervers de cette nouvelle obligation sociale envers les victimes.

D'abord parce que la recommandation est simplissime et se résume à «pardonne et tu seras guéri». Mentionnons que la convalescence post-traumatique prend plusieurs avenues toutes personnelles. Le rythme de chaque victime est unique et les moyens pour parvenir à la sérénité, multiples.

Mentionnons aussi que la colère est souvent très thérapeutique et fait souvent partie d'une étape saine du deuil. La révolte, le sentiment de vengeance sont des étapes cruciales qu'il convient de ne pas court-circuiter par des dictats sociaux artificiels. Il est très légitime que la victime crie sa colère envers la vie, envers Dieu, envers son agresseur et qu'elle se révolte face à l'horreur et la dégueulasserie de ce qu'elle a vécu.

Ensuite, parce que cette nouvelle «obligation» du pardon découle d'autres influences sociales majeures qu'il convient de soulever: d'abord, la mode actuelle du «zen» et du «think positive». La colère est vue comme un état «conflictuel laid» dont il faut se débarrasser pour «parvenir à la plénitude». Et puis, socialement, il est très difficile de tolérer une victime en colère... C'est dérangeant, la colère, face à l'adversité ou la violence, on se sent impuissant et remis en question...

Et alors qu'une grande majorité de victimes sont des femmes, une femme en colère est souvent perçue comme une «enragée» puisque notre idéal de femme-victime consiste en une «grande âme», noble, magnanime, pleine de sagesse, bref, qui pardonne...

Enfin, comment ne pas penser que cette obligation du pardon soit la résultante de notre politique sociale pénale et mette (encore) le poids de la «tâche» sur les épaules des victimes? Or, que demande-t-on aux agresseurs? Que font-ils pour demander pardon à celui ou celle qu'ils ont marqué à jamais? Est-ce vraiment trop politiquement de droite que de leur demander ce qu'ils sont prêts à faire pour le mériter?

Vous me direz que le pardon est souvent une étape libératrice pour la victime elle-même. Et c'est tout à fait vrai. Pour certaines. À un certain moment. Pour les autres, il convient de revendiquer leur droit à la colère. Qu'on respecte leur rythme, leur besoin de passer par cette étape essentielle et légitimante, sans qu'elles soient jugées comme «n'ayant pas assez évolué». Et on devrait accueillir le choix (posé, réfléchi, assumé) de certaines de ne jamais pardonner...

D'autant plus que, contrairement aux idées reçues, cette décision n'est pas obligatoirement un frein à la paix intérieure. Certains rescapés célèbres de camps de concentration et écrivains (Primo Levi en tête) se positionnaient d'ailleurs déjà contre ce dictat social «miraculeux».

Certaines personnes choisiront de tenter de comprendre pourquoi leur agresseur a commis ce geste. D'autres accepteront de ne plus entretenir de colère à son égard et ainsi elles couperont le dernier lien qui les unissait à lui. Ces deux stratégies auront le pouvoir de leur redonner un sentiment de liberté et de sérénité... et ce, même si elles décident de ne jamais pardonner.

L'auteure est psychologue spécialisée en stress post-traumatique à la Clinique des troubles anxieux de l'hôpital Sacré-Coeur de Montréal. Elle a rédigé les livres «Se relever d'un traumatisme» et «Comment aider les victimes souffrant de stress post-traumatique?»