Zut, je crois qu'on vient de dépasser la dernière sortie pour l'Holocène!

Zut, je crois qu'on vient de dépasser la dernière sortie pour l'Holocène!

Désolé chéri, je ne regardais pas !

Il faut qu'on quitte cette autoroute. C'est quoi la prochaine sortie ?

Elle est dans longtemps. Elle mène à un endroit qui s'appelle Perdition.

Choeurs saccadés venant de la banquette arrière : "On arrive quand, papa ?"

L'ère holocène est une époque bénie, avec un climat stable, chaud, mais pas trop, et un niveau des océans constant, au cours de laquelle la civilisation humaine est née et s'est développée jusqu'à sa taille actuelle. En dix mille ans, la population de la terre a été multipliée par mille environ. Mais il se pourrait qu'on soit sur le point de quitter l'holocène, et ce serait bien dommage. Il n'existe pas d'autres conditions climatiques qui nous permettraient d'être aussi nombreux. Et les décès en série, ce n'est pas réjouissant du tout.

James Hansen, directeur du Goddard Institute for Space Studies (GISS) de la NASA à New York, est l'un des scientifiques les plus respectés en matière d'études climatiques. C'est son fameux discours, il y a vingt ans, devant le Congrès des États-Unis qui a inscrit le changement climatique à l'ordre du jour politique des États-Unis et a indirectement conduit au Sommet de la Terre, à la Convention cadre de l'ONU sur les changements climatiques de 1992 et au protocole de Kyoto de 1997. Aujourd'hui, il a un complément d'informations à nous livrer.

Pendant la majeure partie de la décennie passée, James Hansen a adhéré au consensus émergent parmi les climatologues selon lequel la concentration maximale admissible de dioxyde de carbone dans l'atmosphère est de 450 parties par million (ppm). Ce plafond était censé nous donner 50 % de chances d'augmenter la température moyenne de la terre de seulement 2 ºC par rapport au début des années 1990. Aujourd'hui, Hansen ne croit plus au plafond de 450 ppm.

L'objectif de 450 ppm a d'une part été choisi parce qu'il semblait impossible de fixer une limite plus exigeante - nous sommes déjà à 387 ppm, avec une augmentation de près de 3 ppm par an - et d'autre part parce que cette limite paraissait relativement raisonnable. Deux degrés Celsius de plus entraîneraient la désertification d'une grande partie des régions subtropicales, causeraient des ouragans plus violents et transformeraient la plupart des grands fleuves d'Asie en cours d'eau saisonniers secs en été. Mais les calottes glaciaires ne fondraient pas... Du moins, c'est ce que pensaient les climatologues, même si tout le monde savait que les seuils définis n'étaient pas assez stricts.

Les modèles climatiques sont extrêmement utiles, mais la Terre n'a pas connu une concentration de dioxyde de carbone (CO2) de 450 ppm depuis environ 35 millions d'années. James Hansen et ses collaborateurs ont donc décidé d'étudier précisément cette période. Leurs conclusions ne sont guère réjouissantes. Si on laisse le monde émettre ne serait-ce que 425 ppm de CO2 pendant longtemps, la fonte des glaces est probable : le Groenland, l'Antarctique, tout devrait fondre ! Et le niveau de la mer monterait de 70 à 80 mètres.

Risqué

Qu'est-ce qui leur fait dire ça ? Il y a plus de 35 millions d'années, la terre a connu des températures extrêmement élevées et était complètement dépourvue de glace pendant longtemps, mais la quantité de dioxyde de carbone dans l'atmosphère chutait progressivement. Quand elle a atteint 425 ppm, l'Antarctique a commencé à se recouvrir de glace. Par conséquent, si les premières glaces permanentes sont apparues à ce niveau, alors que le niveau de CO2 baissait, c'est probablement lorsque le CO2 refranchira ce seuil que les dernières glaces permanentes disparaîtront.

Cependant, quand on parle de 35 millions d'années en arrière, la marge d'erreur est grande : plus ou moins 75 ppm, dans le cas présent. Cela signifie que le chiffre fatidique pour la disparition des glaces pourrait être 500 ppm, comme 350 ppm. Si TOUTE la glace du monde risque de fondre à l'intérieur de cette fourchette, et que vous appréciez de vivre sous l'holocène (l'époque actuelle), il peut être risqué de tout miser sur un plafond de CO2 de 450 ppm.

C'est pourquoi James Hansen est désormais le fer de lance d'une campagne pour faire admettre 350 ppm comme le véritable objectif à atteindre à long terme. Un objectif ambitieux, sachant que nous sommes déjà à 387 ppm, et que ce chiffre augmente rapidement. Pourtant, lorsque je l'ai interrogé, la semaine dernière, à la conférence annuelle du Forum de Tällberg en Suède, il m'a expliqué : "Calculer le niveau optimal prendra un certain temps, mais le point fondamental [dans cet objectif de 350 ppm] et ce qui change complètement la donne, c'est précisément le fait que c'est moins que le niveau actuel."

"Même si le niveau optimal s'avère être 325, 300 [ppm] ou un autre chiffre, nous devons passer par 350 [ppm] pour y arriver. Nous savons donc dans quelle direction il faut aller, et c'est la différence fondamentale. Cela signifie que nous devons commencer à agir presque immédiatement. Même si nous supprimons entièrement les émissions liées au charbon, le CO2 augmentera quand même jusqu'à au moins 400, voire 425 ppm. Il faudra ensuite le faire baisser, et ce sera sûrement dans les décennies à venir."

Mais nous avons le temps. Les océans et les plaques de glace réagissent si lentement aux changements de température ambiante qu'on peut dépasser la limite pendant un moment, à condition de refaire baisser la température avant l'intervention de changements irréversibles. On peut fixer une limite de 450 ppm pour dans vingt-cinq ans, puis descendre en dessous de 400 ppm après encore vingt-cinq ans pour enfin atteindre 350 ppm d'ici, disons, 2075...

gdyer@ledroit.com