Les grands projets de mariage liant le monde des technologies et celui des médias, que ce soit AT&T et Time Warner ou Verizon et Yahoo!, visent entre autres à renforcer l'accès à des données pouvant permettre de cibler de la publicité ou des contenus.

Les défenseurs de la vie privée s'inquiètent toutefois de la perspective d'une utilisation sans garde-fous de ces informations en ligne ou hors ligne.

«Pour les médias du XXIe siècle, tout tourne autour de la capacité à collecter des informations sur des individus quel que soit l'endroit où ils se trouvent, qu'ils utilisent leur téléphone portable ou regardent la télévision ou soient dans un magasin», indique Jeffrey Chester, du Center for Digital Democracy, une organisation de défense des droits des consommateurs.

Le PDG d'AT&T, Randall Stephenson, assure que la fusion entre son groupe et Time Warner, qui va réunir l'un des plus grands fournisseurs américains de téléphonie mobile et d'internet résidentiel avec de puissantes marques de contenus (Warner Bros, HBO, CNN, Cartoon Networks), sera bénéfique pour les consommateurs comme pour les annonceurs publicitaires.

«Nous développerons des contenus mieux adaptés à ce que des segments spécifiques du public veulent regarder, quand, où et sur quel appareil», a-t-il indiqué. «Et nous utiliserons les connaissances (sur les utilisateurs) pour de la publicité ciblée», selon lui «beaucoup plus efficace et ayant beaucoup plus de valeur à la fois pour les annonceurs et pour nos clients».

«Redoutables gardiens»

Le sénateur démocrate Ed Markey a prévenu toutefois que l'opération «pourrait augmenter les opportunités pour AT&T de collecter et d'utiliser des informations personnelles et sensibles sur les consommateurs américains».

«Ces informations appartiennent aux consommateurs, pas aux fournisseurs de services en ligne», et devraient donc être protégées, a-t-il fait valoir.

Le régulateur américain des télécoms (FCC) s'apprête d'ailleurs à examiner de nouvelles règles pour les opérateurs comme AT&T et Verizon, qui les obligeraient à demander l'autorisation de leurs clients s'ils veulent combiner des informations venant de différentes sources en vue de cibler des publicités ou d'autres contenus.

Pour Jeffrey Chester, c'est «essentiel pour garantir qu'il y ait des garde-fous», aujourd'hui inexistants.

Analyser les comportements des internautes est ce qui a permis à Google et Facebook de devenir des géants de la publicité en ligne.

Mais Jeffrey Chester juge les mariages entre groupes de médias et technologiques inquiétants à cause du large éventail de données provenant de différentes sources auxquelles cela va leur donner accès, y compris les données de localisation des téléphones intelligents même quand leurs utilisateurs ne sont pas en train de s'en servir.

«Ces entreprises qui contrôlent nos données, de même que les appareils et applications (en particulier mobiles) sur lesquels nous nous reposons, seront de redoutables gardiens», relève-t-il. «Elles seront capables d'influencer les contenus et les communications que nous recevons et envoyons».

Une collecte parfois utile

Beaucoup de consommateurs sont inquiets de la manière dont leurs données sont utilisées pour cibler des messages, mais leur opposition s'assouplit quand ils y voient un avantage tangible, avance Greg Sterling, vice-président de la Local Search Association qui réunit des entreprises faisant du marketing en fonction de la localisation des consommateurs.

«Les gens sont mal à l'aise à l'idée d'être pistés sur internet, mais on entend les gens répéter régulièrement qu'ils veulent que la publicité soit plus adaptée, plus personnelle, il y a de la demande pour cela dans l'absolu», assure-t-il.

Les grands groupes technologiques collectent des informations sur la localisation ou les services en ligne utilisés par les consommateurs pour par exemple «pouvoir faire des recommandations pour des attractions et des restaurants à proximité», ou encore «proposer des promotions et des services».

«Ils essayent d'être des services de conciergerie, et cela dépend dans une certaine mesure de la collecte de ces informations», argumente Greg Sterling.

Il fait aussi valoir que «le marché veut d'autres options» que Facebook et Google, et que les récentes fusions peuvent aider à créer des acteurs suffisamment gros pour rivaliser avec eux.

AT&T restera bien derrière Google et Facebook en termes de publicité mobile, même avec Time Warner, mais Verizon «est dans une position légèrement meilleure» avec les technologies publicitaires d'AOL et le large réservoir d'utilisateurs de Yahoo!.