L'histoire de la communauté irlandaise de Montréal, comme celle de l'Irlande elle-même, en est une de résilience. Elle s'est bâtie en même temps que le pont Victoria et le canal Lachine, au milieu du XIXe siècle, à coup d'épreuves et de sacrifices.

Installés dans le Sud-Ouest, à Griffintown, Sainte-Anne ou Goose Village, ces Irlandais avaient le sens des célébrations, malgré la pauvreté, les famines et les épidémies. Majoritairement catholiques, leurs traditions étaient proches de celles des Canadiens français, avec des danses et de la musique qui se ressemblaient beaucoup. Et les Fêtes se prolongeaient jusqu'à l'Épiphanie, le 6 janvier.

«Les Irlandais appellent cette journée Little Christmas, explique Jane McGaughey, spécialiste de la diaspora irlandaise à l'École d'études irlandaises de l'Université Concordia. C'est la fin des célébrations et la tradition exige qu'on ait enlevé toutes les décorations avant la fin de la journée sous peine d'attirer le mauvais sort!»

Proches des Canadiens français par la religion et certains traits culturels, les Irlandais leur étaient aussi souvent opposés, rappelle Mme McGaughey. «Les Canadiens français voulaient la messe en latin et en français, alors que les Irlandais la voulaient en latin et en anglais. Cela explique qu'il y ait eu des églises voisines dans le Sud-Ouest.»

C'est aussi vrai que les Irlandais n'avaient pas toujours bonne réputation. On les disait buveurs, violents et, au bout du compte, ils se retrouvaient souvent tout en bas de l'échelle sociale à Montréal.

La générosité de Joe Beef

Malgré leurs maigres ressources, ces Irlandais avaient un sens poussé du partage, à l'exemple de l'un des plus célèbres d'entre eux, Charles McKiernan, mieux connu sous le nom de Joe Beef.

«Joe Beef est vraiment un héros typique de la communauté irlandaise, souligne Mme McGaughey. Né en Irlande, il avait aussi servi dans l'armée britannique et avait fait la guerre de Crimée avant d'être envoyé au Canada avec son régiment, où il était responsable des cantines à la garnison du fort Stewart sur l'île Sainte-Hélène.»

«Il a ouvert sa taverne en 1866 et elle est vite devenue un lieu de rassemblement pour les Irlandais et les ouvriers du port, même si elle avait mauvaise réputation auprès des classes plus aisées [un article du New York Times la décrivait comme «un repaire du péché»]. La Joe Beef's Canteen offrait aussi nourriture et gîte à tous ceux qui étaient dans le besoin.»

McKiernan a fait encore davantage à l'approche de Noël 1877, pendant une grève des ouvriers du canal Lachine. Le 20 décembre, il a envoyé 3000 pains et 500 gallons de soupe aux ouvriers, un appui spectaculaire qui a beaucoup contribué à sa légende.

«Joe Beef était aussi un homme très strict, en raison de son passé militaire sans doute, insiste Mme McGaughey. À sa taverne, les soûlons étaient mis à la porte et il y avait un couvre-feu dans le gîte du deuxième étage. Et lors de la grève, il a aussi nourri les soldats qui surveillaient les ouvriers.»

Ce sens du partage, Joe Beef l'a visiblement hérité de ses racines. À Noël, les Irlandais ont l'habitude d'allumer une chandelle à leur fenêtre. «Cette chandelle a plusieurs significations, explique Mme McGaughey. En Irlande, à une époque où la religion catholique était interdite, elle indiquait à ses pratiquants qu'il y aurait une messe dans cette maison. Au Canada, à Montréal, cette chandelle est aussi devenue un symbole, une invitation au partage.»

De nombreuses associations bénévoles irlandaises ont perpétué l'héritage généreux de Joe Beef. Fondée la même année que la Société Saint-Jean-Baptiste (1834), la St. Patrick's Society distribue chaque année à Noël des paniers de nourriture aux plus démunis.

Du poisson le 24 décembre

Au XIXe siècle, les Irlandais ont dû affronter de terribles famines et plusieurs milliers ont immigré au Canada simplement pour survivre. La pauvreté limitait déjà leur menu, mais les catholiques respectaient l'obligation de ne pas manger de viande le 24 décembre. Le poisson était donc au menu et tous ceux qui étaient venus des comtés du sud-ouest de l'Irlande préparaient sûrement les chaudrées traditionnelles. La petite ville côtière de Dingle, dans le comté de Kerry, est réputée pour sa cuisine, sa chaudrée de poisson en particulier. La recette de base est toute simple, mais on dit qu'il y a autant de variantes en Irlande qu'il y a de cuisiniers!

Chaudrée de poisson de dingle

Ingrédients

- 3 tasses de fumet de poisson (idéalement préparé avec les restes de poissons)

- 1 tasse de lait

- 1 tasse de crème (35 %)

- 1 kg de chair de poissons et fruits de mer au choix

- 5 pommes de terre épluchées et coupées en cubes

- 1 oignon

- 2 c. à soupe de beurre

- Sel et poivre au goût

Préparation

1. Dans une casserole, avec le beurre, faire suer les oignons, puis ajouter les pommes de terre et le fumet et laisser cuire 15 minutes à feu moyen.

2. Ajouter la chair de poisson en gros cubes et le lait et laisser cuire encore 10 minutes.

3. Ajouter la crème, assaisonner au goût et vérifier la cuisson du poisson avant de servir.

Photo Musée McCord

La taverne de Charles McKiernan, dit Joe Beef, vers 1870