Ils vivent pour Noël. Décembre est le point culminant de leur calendrier. Mais comment y survivent-ils?Rencontre avec ceux qui façonnent la magie de Noël, année après année.

Le blues du père Noël

Le 30 juin 1995, à 8 h, il a décidé qu'il arrêtait de se raser. Plus de 20 ans plus tard, Claude-Henri Breton, 83 ans, en a vu passer des enfants sur ses genoux.

Entre le Village du père Noël et le défilé de la rue Sainte-Catherine, sans oublier le centre Laval, duquel il a dû donner sa démission pour cause de «burn-out».

«Les enfants, ils prennent le père Noël pour un psychanalyste!», confie celui qui a entendu son lot d'histoires de jouets, mais aussi de suicide, de maladie, de solitude. Imaginez: huit heures par jour, un mois et demi de temps, pendant 22 ans.

S'il refuse désormais certains contrats, le beau barbu continue tout de même de prendre son rôle très au sérieux.

«Pour l'amour de l'humanité. J'aime l'humain», dit-il.

Le conteur frileux

Frank Sylvestre est comédien, auteur et, ces jours-ci, surtout conteur.

C'est en effet la deuxième année qu'il participe à Noël dans le parc, sillonnant l'avenue du Mont-Royal en carriole, pour faire découvrir des contes traditionnels aux passagers. Les balades durent de 20 à 40 minutes chacune, à raison de cinq à six par jour.

A-t-il froid, malgré les couvertures généreusement prêtées? Le Parisien d'origine martiniquaise ne le cache pas: «ah oui! pouffe-t-il de rire. J'ai mis longtemps avant de me décider à accepter.»

Mais la magie de Noël (et plusieurs tisanes) aidant, il dit aujourd'hui «adorer» l'aventure. «C'est l'impact de Noël, on est porteur de ce plaisir-là», dit-il d'un sourire contagieux, fendu jusqu'aux oreilles.

Jusqu'au 24, la carriole des Contes et Légendes part du parc des Compagnons tous les samedis et dimanches, entre 13 h et 17 h.

Photo Olivier Jean, La Presse

Frank Sylvestre sillonne l'avenue du Mont-Royal en carriole, pour faire découvrir des contes traditionnels aux passagers.

L'emballeur minute

Cela fait depuis la mi-octobre qu'André Nadeau, gérant de la boutique de jouets Chat perché, fait des emballages de Noël.

La semaine prochaine, il s'attend à en faire plus de 200 par jour. Et avec ses 10 km de rouleaux de papier, disons qu'il est fin prêt. C'est qu'il est aussi un pro, emballant une boîte en 35 secondes en moyenne.

Les cadeaux les plus compliqués à emballer? Tout ce qui est rond en général, et les toutous en particulier.

Mais contre toute attente, même s'il en rêve la nuit, l'emballage n'est pas un moment désagréable (sauf peut-être quand les clients y vont de leurs petits commentaires et autres suggestions non sollicitées).

Au contraire. «C'est un moment relax. Les gens n'ont pas le choix d'attendre», dit-il avec philosophie.

Photo Olivier Jean, La Presse

Pour André Nadeau, gérant de la boutique de jouets Chat perché, emballer une boîte c'est l'affaire d'une trentaine de secondes.

Le rush de chocolat

Noël, c'est le «méga rush», «ultra concentré». C'est ainsi que Chloé Gervais-Fredette, propriétaire des Chocolats de Chloé, résume le temps des Fêtes.

«On produit en une journée ce qu'on fait en une semaine l'été.»

Entre les clients en magasin et les commandes d'entreprises, oui «c'est un gros stress», dit-elle. «Alors je suis dans un état d'extrême vigilance, je répète, je radote, je mets des post-it partout!»

Comment elle survit? Tout simple: elle n'a plus de vie! Elle travaille jusqu'à 12 heures par jour et se couche tous les soirs à 21 h.

«Je suis plate en tabarouette.» Mais rassurez-vous, le reste de l'année, elle est «festive», rit-elle. «C'est une discipline que je me donne en décembre.»

Photo Olivier Jean, La Presse

Chloé Gervais-Fredette, propriétaire des Chocolats de Chloé, travaille jusqu'à 12 heures par jour durant le «méga rush» de Noël.

Des sapins et des lutins

Yvon Céré ne fait pas que vendre des sapins. Il raconte aussi des histoires de lutins, il fait des blagues aux enfants, bref, il met de l'ambiance, nous raconte l'homme, attrapé au marché Saint-Jacques, mais habituellement installé au marché Atwater.

«C'est le fun, sourit-il. C'est l'esprit de Noël!»

La semaine, parfois, il ne vend pas plus de 20 sapins. Mais la fin de semaine? Plus de 200. «La deuxième semaine de décembre est la plus grosse. On peut en vendre 400.»

Et les 13 heures debout dans le froid pendant plus d'un mois ne refroidissent pas ses ardeurs. Il s'habille bien (avec des bons bas pas trop épais «parce que ça garde l'humidité») et sa bonne humeur ne le lâche jamais.

«Vous savez, j'ai la paralysie cérébrale, moi, alors le froid... Moi, j'ai pris une gageure, que je ne finirais jamais en fauteuil roulant. Et je vais gagner ma gageure!»

Photo Olivier Jean, La Presse

Yvon Céré peut passer jusqu'à 13 heures debout dans le froid par jour pour vendre ses sapins.

Urgence décorations

Caroline Doucet dirige la boutique Noël éternel, dans le Vieux-Montréal. Toute l'année, elle vit entourée de décorations.

Ces jours-ci, le magasin est toutefois pris d'assaut par des clients plus pressés qu'à l'habitude. «C'est le "SOS urgence Noël"! Les gens arrivent avec des demandes du genre: "Ma petite fille a brisé un ornement que j'ai acheté ici il y a huit ans"», raconte la directrice en riant.

Comme pour lui donner raison, plusieurs clients frappent à la porte frénétiquement pendant l'entrevue, même si le magasin est fermé.

Mme Doucet saute tout de même à pieds joints dans la magie des Fêtes. Elle décore d'ailleurs quatre sapins de Noël chez elle!

«On ne négocie pas la paix mondiale, mais - je vais être super cheezy, je sais - on est comme des ingénieurs de la joie. C'est peut-être le seul mois de l'année où l'on peut se permettre de ne pas être cyniques.»

Photo David Boily, La Presse

Caroline Doucet, qui dirige la boutique Noël éternel, dans le Vieux-Montréal, se voit comme étant «une ingénieure de la joie».

Douce générosité

Nous rencontrons Ann St-Arnaud, directrice des communications pour Jeunesse au soleil, le jour de La grande guignolée des médias.

«Désolée du retard, il fallait que j'aide un bénévole qui s'était perdu», lance-t-elle en arrivant.

L'organisme amasse des fonds toute l'année pour venir en aide aux plus démunis, mais en décembre, la directrice et ses collègues ne comptent plus leurs heures.

Près de 13 000 personnes comptent sur l'aide de l'organisme dans le temps des Fêtes.

«Mon mari aussi travaille chez Jeunesse au soleil. On doit trouver un équilibre entre aider les autres et le bien-être de notre famille, explique, Mme St-Arnaud. C'est sûr qu'on voit beaucoup de gens qui vivent des difficultés, mais on voit aussi beaucoup de solidarité, surtout cette année. C'est aussi ça, la magie de Noël. On se sent soutenus, et les personnes qui ont besoin d'aide aussi.»

Photo David Boily, La Presse

Ann St-Arnaud, directrice des communications de Jeunesse au soleil.

Au nom de la magie

«Bravo à tout le monde!» Caroline Johnson, la directrice de la programmation du Grand marché de Noël, à Montréal, nous attend sur l'esplanade de la Place des Arts entourée de dizaines d'artisans qu'elle salue chaleureusement.

L'organisation de l'événement lui a demandé un temps fou les jours précédant l'ouverture, le 1er décembre. Après le coup d'envoi donné, la directrice fait le plein d'énergie auprès des exposants.

«Je suis là depuis trois ans, et c'est tellement de travail que parfois, je me demande pourquoi je fais ça», confie-t-elle.

La magie survit-elle à tout ce travail? Absolument, ajoute-t-elle. «On dirait que les gens sont plus dedans, cette année, comme si on en avait besoin. On ne sauve pas des vies, mais qu'on en a besoin, de cette magie!»

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Caroline Johnson, directrice de la programmation du Grand marché de Noël.

Une deuxième famille

Pierrette Rochette célèbre cette année ses 30 ans comme bénévole chez Opération Nez rouge. Surnommée «madame sourire» par ses acolytes de Québec, la dame de 75 ans s'implique «là où on a besoin d'elle», résume-t-elle en riant.

Elle est fidèle au poste cette année encore aux moments les plus occupés pour le service de raccompagnements: les fins de semaine, mais aussi les 24 et 25 décembre. Pas question pour elle de prendre une pause ces soirs-là.

«Vous savez, on est dans l'ambiance de Noël quand même! Il y a des chansons de Noël à la radio et puis on est un peu comme une famille», raconte celle qui a déjà pris des vacances pour être bénévole pour Nez rouge.

Elle assistera à des fêtes de famille, mais plus tard. «Si on peut sauver des vies en empêchant les gens de conduire quand ils ont bu... c'est tout ce qui compte.»

Photo Pascal Ratthe, collaboration spéciale

Pierrette Rochette est bénévole chez Opération Nez rouge depuis 30 ans.