Au milieu du XIXe siècle, quelques dizaines de Canadiens d'origine écossaise détenaient plus de la moitié des richesses au pays et la plupart vivaient à Montréal dans le Mille carré doré, appelé aussi Golden Square Mile.

Les familles Redpath, Stephen, McIntyre, McGill, McDonald, Angus ou Allan résidaient dans de somptueuses demeures, construites «uptown» au pied du mont Royal, qui témoignaient de leur fortune et de l'importance de leur famille.

Elizabeth Cain, la petite-fille d'Ann Farrell (l'héroïne de notre premier volet, publié la semaine dernière), avait épousé l'un de ces riches Canado-Écossais, Thomas Porteous, l'héritier de l'un des fondateurs de la Banque de Montréal. Après avoir grandi dans les faubourgs ouvriers délabrés, elle vivait vers 1880 dans une maison cossue de la rue University, voisine de la famille Birks.

Elle pouvait, comme les autres dames de la bourgeoisie anglophone montréalaise, prendre le thé chez Lady Allan, dans les salons de Ravenscrag, l'une des plus riches maisons de l'époque. Elizabeth devait aussi assister, avec son mari, au bal annuel de la Société St. Andrew's ou aux nombreux banquets organisés à l'hôtel Windsor lors des visites de dignitaires à Montréal.

La grande bourgeoisie canado-écossaise formait une société un peu fermée sur elle-même. La période des Fêtes était ainsi une occasion où tous se retrouvaient pour des célébrations traditionnelles, comme le Hogmanay, dans la nuit du 31 décembre.

Dans son livre sur l'élite anglo-protestante du Golden Square Mile, Margaret Westley rappelle que les hommes devaient alors visiter tous leurs amis et associés: «Du claret [vin de Bordeaux] était servi à toutes les maisons, bien que la tradition originale exigeait de la bière et du pain blanc. Un homme pouvait consacrer plus de cinq à six heures à cette activité, même si chaque visite était courte, car il devait s'arrêter chez tous ses amis, partenaires d'affaires et plusieurs dignitaires.»

La «Noëlisation»

À l'approche des Fêtes, Elizabeth Cain pouvait faire ses emplettes dans les premiers grands magasins créés par les S. Carsley, Henry Morgan, James A. Ogilvy, tous des hommes d'affaires nés en Écosse, qui ont rapidement compris le potentiel commercial de Noël.

Selon l'historienne Joanne Burgess: «La société victorienne découvre et valorise l'enfance. Elle y voit aussi un nouveau champ de consommation. Chaque enfant bourgeois représente une infinité de besoins à combler: vêtements, jouets, littérature juvénile...»

Les grands magasins étaient là pour combler ces besoins. L'idée d'un père Noël généreux avait déjà fait sa place dans les familles bourgeoises et les enfants recevaient maisons de poupées, ensembles de porcelaine miniatures, lanternes magiques, wagons miniatures, traîneaux, patins, livres à système élaboré (pliages en trois dimensions).

Dès 1882, Carsley a lancé le premier catalogue de ventes au détail au Canada, vite utilisé par les épouses et leurs enfants pour dresser des listes de cadeaux. Et tous les excès étaient permis dans le Golden Square Mile.

Plusieurs historiens n'ont pas manqué de souligner cette «Noëlisation» de la fête religieuse. Selon l'ethnohistorien Yvan Fortier, c'est à l'ère victorienne «que l'on est passé des étrennes, petits présents offerts la main sur le coeur et gages de bonheur, aux cadeaux commerciaux».

On s'éloigne ainsi de l'esprit de partage, même si les riches Canado-Écossais ont financé la construction de l'Université McGill et de plusieurs hôpitaux. Au quotidien, ces magnats de la finance et de l'industrie exploitaient des milliers d'ouvriers, des Irlandais notamment, dans la construction du pont Victoria ou du canal de Lachine.

Catholiques, alors que leurs patrons étaient surtout presbytériens, ces Irlandais s'entassaient dans les quartiers populaires du sud-ouest de Montréal, à Griffintown en particulier. Au milieu du XIXe siècle, Noël y avait un tout autre sens que dans le Mille carré doré.

La semaine prochaine: Les Noëls irlandais de Griffintown

Les Mince Pies de l'hôtel Windsor

Ouvert en 1878, l'hôtel Windsor a longtemps été l'un des centres mondains de la bourgeoisie anglophone de Montréal. Les registres de l'hôtel, conservés au musée McCord, recensent la liste des invités prestigieux - de Mark Twain à Sarah Bernhardt -, mais aussi les menus des banquets. À Noël, les incontournables Mince Pies étaient décorés avec soin par le chef de l'hôtel. Dans les résidences du Golden Square Mile, les cuisinières et cuisiniers de l'époque étaient familiers avec la recette du Mrs Beeton's Book of Household Management, la référence de l'époque sur la cuisine britannique. La voici: 

Mince Pies

Ingrédients

Pour la farce

- 2 tasses de suif de boeuf

- 3/4 de tasse de groseilles

- 3/4 de tasse de steak haché (environ 3 oz)

- 1/2 tasse de raisins

- 3/4 de tasse de cassonade

- 2 c. à table de brandy

- 3 c. à thé de zeste de citron confit

- 1 1/2 c. à thé de zeste d'orange confit

- Le zeste d'un demi-citron

- 1 c. à thé de jus de citron

- 1/4 de c. à thé de muscade

- 1 1/2 pomme Granny Smith en cubes

- Une pâte à tarte

Préparation

1. Dans un bol, combiner tous les ingrédients de la farce. Mélanger bien, couvrir, ou mieux encore, transférer dans un gros pot couvert. Réfrigérer pendant au moins deux jours et jusqu'à deux semaines.

2. Réchauffer le four à 180 °C (350 °F).

3. Préparer la pâte à tarte, avec un fond et un couvert. Garnir une assiette à tarte de la pâte, ajouter la farce, puis la pâte du dessus.

4. Enfourner pendant environ une heure, jusqu'à ce que le Mince Pie soit bien doré.