Le printemps a ses hirondelles et la période de Noël, ses panettones, qui apparaissent en pyramides colorées dans les épiceries fines et les supermarchés. Mais qui a dit qu'il fallait se contenter d'acheter les brioches importées d'Italie? Un boulanger en fabrique dans la plus pure tradition à Montréal et livre ses secrets pour en faire à la maison. Cette année, on déguste du panettone local!

De tous les pains et pâtisseries qu'il a dégustés dans les plus grands restaurants du monde, jamais Jeffrey Finkelstein n'a connu de goût meilleur que celui du panettone artisanal.

Mais jamais le boulanger prodige n'a trouvé plus grand défi non plus.

«C'est LE pain le plus difficile à faire, tranche-t-il. Cela prend de la patience, une touche très particulière au pétrissage, du doigté.»

Il faut le voir aller dans son atelier du boulevard Saint-Laurent, en cet après-midi d'automne. Tendu. Nerveux. Quand le photographe de La Presse réclame le temps de prendre quelques clichés de plus, le voilà qui résiste. «On ne peut plus attendre, il faut enfourner», lâche-t-il en poussant son chariot rempli de panettones. Ils enflent depuis 12 heures déjà dans leur petit moule de papier doré, mais ne toléreront pas quelques minutes de plus. Ce qui gonfle menace toujours de redescendre.

C'est pour cela que l'étape suivante est si délicate. Sitôt sortis du four, voilà que les panettones entament une chute vertigineuse. Leur chapeau boursouflé se dégonfle à la vitesse de l'éclair. Si rien n'est fait, dans quelques minutes, ce ne seront plus que des galettes.

Le chef boulanger n'a pas de temps à perdre, il faut saisir chaque moule brûlant à mains nues, y planter des tiges de métal et le retourner pour le faire sécher tête en bas sur un support improvisé de manière à laisser la gravité faire son oeuvre et de garder une mie constellée de bulles d'air allongées.

«Normalement, je fais ça seul, dans une pièce fermée», lâche-t-il. Même sa chef pâtissière n'a pas le droit d'y mettre la main encore.

Parfois, un support tombe, emportant avec lui une, deux, trois de ses brioches. Des dizaines de dollars envolés. «On n'en fait pas tous les jours, c'est si long et délicat...»

Jeffrey Finkelstein est l'un des rares - sinon le seul - chefs de Montréal à produire des panettones artisanaux à Montréal. Il n'est pas italien, c'est vrai, mais il a appris à la bonne école: chez Oriol Balager, l'un des pâtissiers les plus réputés d'Europe, lui-même formé auprès de maîtres italiens.

«Oriol Balager ne l'enseignait pas à tout le monde. C'était une marque de confiance, comme un père qui transmettait un savoir-faire particulier à son fils», raconte Jeffrey Finkelstein. L'Espagnol lui a même fait cadeau d'une part de son levain à panettone, qu'il était lui-même allé chercher en Italie, et que Jeffrey nourrit et utilise toujours aujourd'hui à Montréal.

«Je n'avais jamais mangé quelque chose d'aussi bon. Il y a un mélange d'acide, d'amertume, de douceur: la profondeur des saveurs est exceptionnelle.»

L'an dernier, Jeff a eu l'envie d'en savourer de nouveau et s'est mis en tête d'en préparer dans son atelier du boulevard Saint-Laurent. Quelques dizaines, qui se sont tous envolés en quelques jours. Il remet donc ça cette année: les Montréalais ont visiblement un faible pour le délice italien.

Où acheter du panettone?

Un bon panettone se remarque à sa liste (courte) d'ingrédients. «Moins il y en a, mieux c'est, dit Maria Loggia, professeure de cuisine italienne à Montréal. Il doit sentir bon le beurre, les oeufs frais, la vanille: les bons magasins vous en feront goûter, profitez-en.» La mie doit être élastique, bien alvéolée, humide, ajoute Stanislao Porzio. À défaut d'aller à Milan visiter ses adresses chouchous, recherchez ses marques favorites: (parmi celles offertes au Québec) Loison, Corsini et Flamigni.

Où en acheter à Montréal?

• Hof Kelsten 4524, boulevard Saint-Laurent

• Épicerie Milano 6882, boulevard Saint-Laurent

• La Baie des fromages 1715, rue Jean-Talon Est

• Fouvrac 1451, avenue Laurier Est 1404A, rue Fleury Est

La mère patrie

La démarche de Jeffrey Finkelstein trouve écho dans la mère patrie du panettone: Milan, où renaît l'engouement pour cette recette plusieurs fois centenaire. «Les pâtissiers de la nouvelle génération s'en servent pour montrer leur habileté, car même si le gâteau est simple, il s'agit d'une préparation très difficile à faire», note Stanislao Porzio, «monsieur Panettone» à Milan, auteur de livres sur son histoire et instigateur d'un festival en son honneur (et dont la troisième présentation a lieu ce samedi).

Info: www.repanettone.it

Les recettes sont plus riches que jamais. La quantité de beurre, par exemple, qui ne dépassait traditionnellement pas les 400 g kilo de farine, atteint maintenant les 700 g! Les ingrédients ajoutés sont plus variés et plus raffinés aussi: un panettone coûte maintenant jusqu'à 40 euros le kilo à Milan dans les meilleurs établissements, dit Stanislao Porzio, contre une poignée de dollars au supermarché.

Il faut dire que Noël sans panettone n'est pas tout à fait Noël à Milan. «Il y en a dans toutes les familles pour Noël. On en achète pour la maison, pour offrir en cadeau, pour le petit-déjeuner (avec un café) ou l'apéro (avec un verre de Moscato d'Asti).»

Peu de familles en font pourtant à la maison. «Le vrai panettone se prépare avec une "levure mère" (un type de levain) qu'il faut entretenir pendant des semaines, la préparation est longue et délicate: les gens n'ont plus le temps d'en faire.» D'où l'importance des artisans qui continuent à faire vivre cette tradition, dit-il. Et ce sera vrai, cette année, à Milan comme à Montréal!

Panettone maison

Faire son panettone à la maison

S'il est rare que les Italiens préparent le panettone à la maison, la chose est loin d'être impossible. Jeffrey Finkelstein en propose une version simplifiée pour épater la galerie à coup sûr à Noël cette année.

Recette de Jeffrey Finkelstein

INGRÉDIENTS

Pour 1 panettone de 1 kg ou 2 de 500 g

• 420 g de farine

• 135 ml d'eau

• 10 g de levure fraîche

• 1 oeuf et 1 jaune

• 20 g de yogourt grec

• 70 g de beurre non salé, en pommade

• 6 g de sel

• 1 gousse de vanille

• 23 g de miel

• 45 g de sucre

• 100 g de raisins secs

• 50 g d'écorces de citrons confits

• 70 g d'écorces d'oranges confites

• 80 ml de vin de glace

Pour décorer:

• 10 g de beurre par panettone

• 1 oeuf

• amandes coupées en deux (au goût)

• sucre perlé (au goût)

PRÉPARATION

1. La veille, porter le vin de glace à légère ébullition, ajouter les raisins secs et retirer du feu. Laisser macérer.

2. Tiédir le lait. Ajouter 30 g de sucre, la levure et laisser gonfler 4 minutes dans un grand bol.

3. Ajouter tous les liquides (incluant le yogourt et le miel), puis le sucre restant, le tiers du beurre et la farine, et battre jusqu'à ce que le mélange soit bien lisse (de 3 à 5 minutes à basse vitesse ou 1 à 2 minutes à haute vitesse). Ajouter le beurre ramolli en dés: la pâte doit être homogène, souple et légèrement brillante.

4. Égoutter les raisins. Ajouter à la pâte, avec les fruits confits.

5. Déposer dans un bol et laisser gonfler à température ambiante pendant 45 minutes. Dégazer la pâte et laisser gonfler 45 minutes de plus.

6. Façonner en boules et placer dans des moules beurrés et chemisés de papier parchemin, ou des moules ronds en papier enduit (vendus dans certaines épiceries fines).

7. Réfrigérer les moules recouverts d'une pellicule plastique lâche, pendant de 8 à 12 heures. Les pâtes devraient avoir triplé de volume. Dans le cas contraire, laisser gonfler, couvert, de 1 à 3 heures dans une pièce chaude (22 à 25ºC). Attention: à ce stade, les panettones sont très fragiles et il faut éviter les chocs.

8. Le jour de la cuisson, préchauffer le four à 190ºC (375ºF.) Pendant ce temps, mélanger les oeufs battus et le sucre. Napper généreusement, mais délicatement, le dessus des panettones. Saupoudrer de sucre perlé et d'amandes coupées en deux. À l'aide d'une paire de ciseaux, inciser très légèrement en X le dessus des panettones pour insérer 10 g de beurre et enfourner délicatement.

9. Cuire les panettones de 500 g pendant 28 minutes ou ceux de 1 kg pendant 35 minutes, soit jusqu'à ce que le centre des pains atteigne 85ºC (185 ºF). Laisser refroidir de 3 à 4 heures.