Au Québec, plus d'un million de personnes vivent seules. Si beaucoup fêtent Noël en famille, d'autres se retrouvent sans invitation au réveillon. Pourtant, quand il y a à manger pour quatre, il y en a pour douze. Portrait de familles qui reçoivent à bras ouverts.

«J'ai vu une lueur dans ses yeux»

La veille de Noël, l'an dernier, Sonyja Hart, une mère de quatre enfants d'Ormstown, en Montérégie, est allée à l'épicerie. Elle y a aperçu un vieil homme sirotant son café. Seul. «Il avait l'air si malheureux», se souvient-elle.

Sonyja - ou est-ce plutôt la mère Noël? - aurait pu continuer ses courses. «Après tout, j'étais pressée, dit-elle. Mais je suis allée le saluer et lui souhaiter un joyeux Noël.»

En discutant, elle a appris que l'homme venait de perdre sa femme. «Je lui ai tenu la main et je lui ai proposé de venir célébrer avec nous, se souvient Sonyja. Sur le coup, bien sûr, il a refusé. Mais après un sourire et une invitation sincère, il a accepté. Juste d'avoir une belle assiette chaude, d'être entouré de joie... J'ai vu une lueur revenir dans ses yeux.»

Donner des cadeaux pour en recevoir

L'entraide de Noël, Sonyja est tombée dedans quand elle était petite. «Mes parents invitaient toujours un oncle, une tante ou un voisin pour les sortir de la solitude», se rappelle la dame. Dans la vingtaine, alors qu'elle habitait à Montréal, elle profitait des Fêtes pour offrir des cafés et des chocolats chauds aux sans-abri rencontrés dans les parcs et le métro.

«Je faisais juste jaser avec les gens dans la rue, pour leur donner du réconfort et un peu de chaleur humaine.»

Aujourd'hui, ses quatre enfants - Gerard, 3 ans, Stella, 6 ans, Vikthor, 8 ans, et Laetitia, 12 ans - participent aussi à la tradition de partage. «Ils doivent donner des cadeaux pour en recevoir», indique la maman. Ainsi, des jouets de la maisonnée sont offerts à des organismes ou des familles dans le besoin. «Mes enfants adorent savoir que ça aide à la fois quelqu'un et les lutins du père Noël», témoigne-t-elle.

Plus de 1 million de Québécois - exactement 1 094 405 en 2011 - vivent seuls. C'est une tendance en hausse constante. En 1961, à peine 7 % des ménages étaient formés d'une seule personne, selon l'Institut de la statistique du Québec. Cinquante ans plus tard, c'est le cas de 32,3 % des ménages. Évidemment, tous ne fêtent pas en solo. Cela fait tout de même bien des gens pouvant reprendre à leur compte les paroles d'une chanson du groupe de folk-rock 3 gars su'l sofa: «Jingle Bells, je serai seul à Noël, comme le père Noël dans le ciel»...

Témoignage: seule aux Fêtes

Julie Deneault, massothérapeute à L'île-Bizard, l'a vécu. «Je suis enfant unique et, comme beaucoup de gens, divorcée, avec deux enfants», explique-t-elle. Sa mère est morte. Son père fêtait avec sa copine de l'époque. «Cela faisait en sorte que soit la veille de Noël ou le jour de Noël, j'étais seule, car mes enfants étaient chez leur père pour une des deux fêtes, et avec moi pour l'autre, raconte Julie. Même scénario pour la veille ou le jour de l'An. Thank God, chaque année, une amie ou une cliente m'invitait chez elle, avec sa famille.»

Chaque fois, Julie en a été émue. «J'étais heureuse d'être à ces soupers, souligne-t-elle. Surtout quand je pensais aux gens vraiment seuls, comme les itinérants. En même temps, j'ai pu me sentir mal à l'aise. J'ai été seule à d'autres fêtes, mais la veille et le jour de Noël, c'est différent. Ça me rend contente et, ironiquement, triste.»

Cette année, Julie passe les Fêtes avec son père. Pas seule, «mais c'est tout comme», dit-elle, puisqu'il souffre d'un début de démence et de problèmes cognitifs. La veille de Noël, la massothérapeute est invitée chez une amie très chère. «Elle est devenue comme de la famille, indique-t-elle. J'y reçois un très bel accueil, sans jugement. Que de l'amour inconditionnel.»

Seul et joyeux

Passer Noël en solo sans avoir l'air penaud du renne Rudolphe, c'est possible. Il suffit de voir le bon côté des choses. On peut manger et boire ce qui nous fait vraiment plaisir. Aller au cinéma ou au spa. Lire dans le bain. Se coucher tôt - ou tard. Skier dans des stations quasi désertes. Bruncher à l'hôtel. Parler via Skype aux amis ou à la famille au loin. Même planifier un repas entre amis, le 27 ou le 28 décembre, quand bien des gens sont encore en congé...

Le réveillon avec un étudiant mexicain, chinois ou burkinabè

Vers le 23 décembre, sitôt les derniers travaux de session remis, les 40 000 étudiants de l'UQAM fileront fêter Noël en famille. Tous? Non. Plusieurs des 3500 étudiants étrangers inscrits cet automne resteront au Québec. Sans canot de la chasse-galerie pour les ramener au bercail par enchantement.

Pour briser leur isolement, l'UQAM propose à ses étudiants, employés et diplômés d'accueillir un étudiant étranger chez eux à Noël ou au jour de l'An. Seuls cinq étudiants ont été parrainés la première année (en 2007), mais ce nombre a atteint 54 l'an dernier.

«Ce qui est important pour nous, c'est que les étudiants vont chez les gens, souligne Gilda Elmaleh, instigatrice de ce projet de parrainage des Fêtes. Ils vivent un Noël québécois, qu'il soit pure laine ou métissé.» La Presse s'est rendue à un dîner organisé pour permettre aux étudiants et aux parrains de se rencontrer avant le réveillon.

Bérengère Baldini

Pour la troisième année de suite, la famille de Bérengère Baldini parraine un étudiant étranger à Noël. Peut-être même deux, «pour que ce soit plus sympa, moins gênant, explique la jeune femme, elle-même étudiante à l'UQAM. Le temps des Fêtes, si on enlève la partie surconsommation, c'est un moment de partage. C'est ça, l'esprit de Noël».

Installés à Montréal depuis neuf ans, les Baldini ont l'habitude de célébrer Noël loin de leurs proches, qui vivent en France. «En accueillant quelqu'un de l'étranger, tout le monde est gagnant, observe-t-elle. Notre famille n'est pas là, la leur non plus. Autant être ensemble.»

Catherine Martel

«C'est important de se rassembler à Noël, dit Catherine Martel, qui a décidé de parrainer un étudiant étranger cette année. Mon conjoint vient d'Australie, j'ai habité là-bas. Je sais comment on se sent, quand on passe les Fêtes loin de chez soi.»

Le jour de Noël, Catherine se promet d'inviter l'étudiant à participer une activité hivernale avec ses deux enfants, avant de rentrer se réchauffer autour d'un bon repas. «Il y a une patinoire près de chez nous, on espère pouvoir en profiter», glisse-t-elle.

Scarlett Hao

Chinoise, Scarlett Hao étudie à l'UQAM depuis la rentrée de septembre. «En Chine, on ne célèbre pas Noël, si bien que je ne sais pas à quoi m'attendre», dit-elle en anglais.

Qu'espère-t-elle de ce premier temps des Fêtes au Québec? «Je veux profiter de l'atmosphère de Noël, répond-elle. Essayer de nouvelles activités, goûter à des nourritures délicieuses et pratiquer mon français.»

Roland Ouedraogo

Non, Roland Ouedraogo ne rentre pas au Burkina Faso, d'où il est originaire, aux Fêtes. «C'est loin, c'est cher», résume l'étudiant au doctorat en droit à l'UQAM. Au Burkina, il fête Noël en famille, avec ses parents et ses sept frères et soeurs. «Mes quatre grands frères sont mariés, dit-il. Ils viennent avec leurs femmes et leurs enfants, ce qui fait qu'on est plusieurs. On fait la fête.»

A-t-il déjà goûté à la tourtière, à la bûche? «Non, ce sera mon premier Noël ici», répond-il. L'hiver, par contre, Roland connaît: il est arrivé en janvier dernier.

Maria Hernandez

Mexicaine, Maria Hernandez est arrivée au Québec en août, dans le cadre d'un programme d'échanges. Pourquoi passer les Fêtes ici? «Parce que ce sera différent, répond la jeune femme en français. Je veux voir comment les gens d'ici fêtent. Ce que je trouve intéressant à Montréal, c'est que c'est très multiculturel.» Comment célèbre-t-elle Noël à Mexico, où sa famille vit? «On mange beaucoup le soir du 24, on chante, on danse», décrit-elle.

Maria est heureuse d'avoir vu ses premiers flocons. «J'ai aimé la première neige, mais je ne crois pas que je veux en voir plus», confie-t-elle. Heureusement pour elle, son retour à Mexico est prévu dès janvier.

Zola Leslie Mbimbi

C'est Zola Leslie Mbimbi qui joue la fée des étoiles, en jumelant étudiants et parrains aux Fêtes. «Il y a des étudiants étrangers qui sont très sociables, mais ce n'est pas le cas de tous», constate la conseillère au bureau de l'accueil et de l'intégration des étudiants étrangers à l'UQAM.

Pour les plus réservés, le temps des Fêtes peut être long. Zola Leslie l'a elle-même vécu, quand elle étudiait en Angleterre, loin de sa famille. «À Noël, t'es devant ton ordinateur, tu regardes des films en attendant que ça passe, décrit-elle. Mon université n'avait malheureusement pas de programme de parrainage...»

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

La Presse s'est rendue à un dîner organisé par l'UQAM pour permettre aux étudiants étrangers et de rencontrer de potentiels parrains des Fêtes avant le réveillon.

«Ça fait remonter les émotions de façon surprenante»

Il est plus difficile d'être seul à Noël - et lors du réveillon - que les autres jours de l'année, confirme Yves Dalpé, psychologue. La Presse l'a joint à Québec.

La solitude est plus dure à vivre à Noël?

Oui, bien sûr. Pendant les vacances des Fêtes, et à Noël particulièrement, c'est plus difficile pour les gens qui sont seuls, qui sont tristes, qui viennent de se séparer, etc. Je fais de la psychothérapie autant en individuel qu'en couple, et je le vois dans les confidences que les gens me font. La littérature scientifique nous le confirme aussi. Aux Fêtes, les personnes qui vivent des moments pénibles se sentent encore plus mal. Ça fait remonter les émotions de façon surprenante.

Ces gens doivent prendre la chose au sérieux, contacter des proches. Ne pas rester isolés, seuls chez eux. Il faut avoir l'humilité de contacter des gens, de faire cette démarche. Ça peut faire une grande différence.

Ce n'est pas sain de rester seul?

Je ne pense pas.

Même si on est séparé ou veuf depuis peu de temps et qu'on n'a vraiment pas le coeur à la fête?

Si la personne n'a pas le coeur à la fête, peut-être qu'elle peut rester seule. Mais il y a un danger: s'enfoncer dans une espèce de nostalgie, qui peut être déprimante. Les recherches le démontrent clairement : les gens qui sont seuls sont plus à risque de maladies. On sait même que selon les statistiques, ils vont décéder plus tôt. Ça démontre l'importance des liens.

Si on a un différend avec quelqu'un et qu'on sait qu'il sera seul à Noël, vaut-il mieux tenter de passer par-dessus le désaccord et l'inviter?

C'est une bonne occasion de tenter un rapprochement. Un moment particulièrement significatif pour faire la paix, si vous en êtes capables.

Ça m'est arrivé, je peux vous le confier. Je me suis séparé de ma première épouse quand j'étais à San Francisco, pour faire mon doctorat. On s'était séparés en août. J'avais un enfant qui était resté avec moi à San Francisco, tandis que notre autre enfant était avec mon épouse à Montréal. Aux Fêtes, j'étais censé rester à San Francisco. Mais à la dernière minute, j'ai cherché fébrilement un billet d'avion. Il fallait absolument que j'aille à Montréal pour voir mon épouse. Même si on était séparés, ce n'était pas réglé. On s'est retrouvés les quatre ensemble pour fêter Noël. C'était devenu trop dur.

Aujourd'hui, on sait que le tiers des ménages québécois sont formés d'une seule personne. Beaucoup de gens ne sont-ils pas heureux seuls?

Oui. C'est sûr que si la personne est habituée à vivre seule, ce n'est pas aussi difficile. Ces gens ont leur réseau. L'important, ce n'est pas de vivre en couple, c'est d'avoir un réseau social proche. Si ce réseau est bien organisé, ça va aller.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

«Aux Fêtes, les personnes qui vivent des moments pénibles se sentent encore plus mal», indique Yves Dalpé. Surtout si elles sont seules pour le repas du réveillon.