Même s'il est plus présent dans les cuisines québécoises depuis quelques années, le pigeon est encore davantage associé aux corniches des villes qu'à nos assiettes. Pourtant, cet oiseau urbain est originaire des basses-cours québécoises, dont il s'est tout simplement enfui. Pleins feux sur une volaille que nos ancêtres adoraient et que nous réapprenons - tranquillement - à apprécier.

Il va de soi que le pigeonneau qui se trouve dans les menus dégustation du Toqué!, de Seb l'artisan culinaire ou du Saint-Amour à Québec n'ont pas été capturés au square Saint-Louis ou sur la place d'Armes. Ils ont plutôt été élevés à la ferme familiale Turlo (tout juste à l'extérieur de Québec) et la tout aussi artisanale ferme Miboulay, à Marieville, les deux plus importants éleveurs du Québec.

Pourquoi le pigeonneau et pas le pigeon? Sa viande est beaucoup plus tendre. Les oiseaux adultes finiront le plus souvent en pâté, en rillettes ou en mijoté. Élevés pour leur chair, les pigeonneaux partiront idéalement pour l'abattoir au 30e jour de leur vie. «Après, ils essaient de se mettre à voler et les muscles se raffermissent», explique Nicolas Turcotte, copropriétaire avec sa conjointe Rhéa Loranger d'Élevage de pigeonneaux Turlo.

Ces derniers envoient leurs oiseaux à l'abattoir voisin toutes les semaines. À la ferme Miboulay, toutefois, on ne fait le voyage de deux heures et demie (au même endroit) qu'une fois par mois. La propriétaire Louise-Anne Michaud affirme que la qualité de ses pigeonneaux ne s'en ressent pas, même lorsque ceux-ci vivent jusqu'à huit semaines.

En volière, les couples reproducteurs vivent de quatre à huit ans. C'est d'ailleurs cette longévité et le fonctionnement assez particulier d'un élevage de pigeons qui ont attiré Rhéa et Nicolas. Moins impersonnel qu'un poulailler, plus recherché qu'un élevage de canards. «Les volières s'organisent comme des microsociétés, raconte Nicolas Turcotte. Les couples sont généralement ensemble jusqu'à la mort. On travaille avec les mêmes oiseaux pendant plusieurs années. Ils sont aux petits soins. C'est particulièrement important de bien s'occuper des parents, de leur fournir le gravier et les minéraux dont ils ont besoin, de garder les nids bien propres, d'assurer une bonne ventilation et un bon chauffage.»

Chez Turlo, on chouchoute 1100 couples - 25 mâles et 25 femelles par volière - qui produisent entre 150 et 225 pigeonneaux par semaine. La ferme Miboulay possède pour sa part 400 couples.

Origines et histoire

Au Québec, le pigeon sauvage s'appelait la tourte. Le pigeon domestique est pour sa part l'ancêtre du biset tant répandu dans les villes québécoises. Nos pigeons domestiques proviennent de pigeons migrateurs européens et asiatiques. Sauvages, ils vivaient sur les saillies des falaises rocheuses, ce qui explique leur affection pour les corniches des édifices urbains!

La domestication du pigeon remonte au moins au temps des pharaons, il y a 5000 ans. Ils étaient élevés d'abord pour leur chair. En France, la cohabitation avec cet oiseau remonterait à l'époque gallo-romaine. Au Moyen-Âge, cependant, seuls les seigneurs possédaient des pigeons. Ce privilège fut aboli avec la Révolution française. «Comme c'étaient les serviteurs fermiers qui s'occupaient d'eux, il y avait beaucoup d'élevages clandestins. L'abondance de pigeons finit par créer un tort considérable aux plantations des fermiers environnants. On donna donc le droit de les chasser pour diminuer leur nombre et protéger les récoltes. C'est ainsi que le pigeon est revenu sur la table des Français», peut-on lire dans le troisième tome d'Histoire de la cuisine familiale du Québec, de Michel Lambert.

Ce sont vraisemblablement des colons venus de l'est et du nord de la France, de la Picardie par exemple, de même que les communautés religieuses et Samuel de Champlain lui-même - que l'on disait fin gourmet! - qui ont introduit les pigeons bisets chez nous, au XVIIe siècle.

Au XIXe siècle, on trouvait encore du pigeon biset chez les moins nantis comme sur les tables de la classe dirigeante. Il devait cependant rivaliser avec la tourte sauvage, qui a été chassée au point de disparaître définitivement du paysage québécois. Au même moment, la consommation de pigeonneau d'élevage a aussi presque disparu. Ce seraient les chefs français venus s'installer chez nous, après l'Expo 67, qui l'auraient ramené sur nos tables.

Le retour

Pendant un certain temps, Carol Lebel fut le seul éleveur de pigeonneaux au Québec. Les chefs qui voulaient cet oiseau devaient le commander à l'extérieur de la province, voire du pays. L'élevage de M. Lebel a été racheté en 2004 par Turlo.

Quant à Louise-Anne Michaud, de Miboulay, elle s'est tournée vers le pigeonneau il y a 10 ans, après avoir vendu ses vaches laitières. «J'avais envie de proposer quelque chose de différent. J'ai fait mon étude de marché. La réponse était très positive. Puis le pigeon, c'est un petit animal facile à élever.»

Les premiers clients de ces deux élevages ont été des restaurants gastronomiques comme le Toqué! , le Laurie-Raphaël, le Saint-Amour, L'Initiale. L'enthousiasme contagieux des chefs les a motivés à continuer. Normand Laprise, du Toqué! , a d'ailleurs été d'un grand soutien pour les jeunes éleveurs de Turlo, en achetant les surplus lorsqu'il y en avait. «Il nous a transmis sa philosophie et son obsession de la qualité, se rappelle Nicolas. Il a fixé notre vision. Aujourd'hui, 90% de nos ventes se font en restauration.»

Assez rapidement, Turlo est devenu victime de son succès. «Je m'ennuie du temps où j'allais approvisionner une quinzaine de restos et que j'avais le temps de jaser avec les chefs, raconte Nicolas. Là, on fournit 72 restaurants et on produit en plus du porcelet de lait et de grain pour pouvoir vivre de l'agriculture.»

Cela dit, grâce au travail acharné et à la persévérance de fermiers non conventionnels comme Nicolas, Rhéa et Louise-Anne, qui ne jurent que par la santé et la qualité de leurs bêtes, une viande qui appartient à notre patrimoine culinaire fait un retour discret sur nos tables.

«Aujourd'hui, il y a du pigeonneau au menu toutes les semaines, sauf le week-end du Grand Prix où la clientèle est moins aventureuse! lance Charles-Antoine Crête, chef de cuisine du Toqué! à la langue bien pendue. Les gens sont un peu plus habitués. Il y a moins de retours. Mais lorsque ça revient en cuisine, intouché, c'est désolant. On le met directement à la poubelle.»

Heureusement, l'essayer, c'est l'adopter... pour les occasions spéciales!

Où trouver d'autres recettes de pigeonneau?

Livres

> Toqué! Les artisans d'une gastronomie québécoise

> Le grand Soulard de la cuisine, de Jean Soulard

> L'artisan culinaire, de Sébastien Houle

> Mastering the Art of French Cooking, de Julia Child

> L'Univers gourmand de Jean-Luc Boulay, d'Anne-Louise Desjardins

Autres sources

> Curieuxbegin.telequebec.tv (épisode 43, Les viandes boudées)

> Pigeonneauxturlo.com (une vingtaine de recettes)

Qu'est-ce que ça goûte

Le pigeonneau est une viande rouge. Il ne faut pas trop le faire cuire. On sert les suprêmes rosés, voire saignants. Certains comparent cette viande fine et noble à du foie de veau, à cause de son côté un peu ferreux. Nous préférons évoquer le gibier.

Comment le cuisine-t-on?

On faisait autrefois des crèmes de pigeons comme les crèmes de poulet avec les oiseaux trop coriaces pour être consommés rôtis. On mettait aussi du pigeon en conserve avec de l'oignon, du beurre, des feuilles de céleri, quelques rondelles de carotte. Cette spécialité était mangée froide ou chaude avec des pommes de terre bouillies chaudes et une salade. Dans le temps où les élevages de pigeons étaient nombreux, les familles d'origine britannique se faisaient souvent des steaks de pigeon avec la poitrine et gardaient les cuisses pour faire du ragoût. Le pigeon fricassé à la crème avec des petits pois ou des champignons est également un grand classique dont vous trouverez plusieurs recettes sur l'internet (et une dans le livre du Toqué!). «Les vieilles recettes nous présentent les oiseaux bardés de fines tranches de lard salé ou de bacon, rôtis au four ou en casserole de fer noir, complétés parfois par l'ajout de légumes ou de fruits comme les pois verts, les choux de Bruxelles, les quartiers de chou. Le pigeon cuit à l'étouffée dans une jarre de terre cuite avec des quartiers d'oignons et des pruneaux gonflés est un petit chef-d'oeuvre de goût. Il y a aussi les pâtés de pigeons rôtis ou bouillis, désossés, mélangés à des oeufs durs et de la sauce brune ou à des petits légumes. Il y a enfin les pâtés de boeuf et de pigeon en sauce brune, à la manière anglaise», raconte Michel Lambert, auteur d'Histoire de la cuisine familiale du Québec.

Où acheter du pigeonneau?

La ferme Miboulay est à moins de 30 minutes du pont Champlain. On vous recommande d'aller acheter votre pigeonneau sur place. La ferme élève également des veaux et quelques porcs. Dans la boutique, vous trouverez un très grand nombre de produits de pigeonneau, dont de jolis raviolis, des cuisses confites, des suprêmes, des rillettes. Profitez-en pour stocker votre congélateur de jarrets et de palettes de veau, de côtelettes de porc, de saucisses et de bacon naturel. La famille fait également sa propre farine de blé, cultive la graine de lin et le soya, en plus de vendre des produits de plusieurs autres petites entreprises québécoises. Et comme si ce n'était pas assez, vous pouvez profiter de votre visite dans le coin pour arrêter à la Chevrière de Monnoir ou à l'élevage de canards gavés Aux champs d'Élisé. Si vous ne pouvez vous rendre sur place, joignez la ferme Miboulay (miboulay.com) au 450-460-2307. La boutique est ouverte les vendredis et samedis, ou sur appel.

Quant à Turlo, les gens de Québec trouveront ses produits à la boucherie Aux trois poivres (Lévis), à la boucherie Roset (Sillery) et à la boucherie de la ferme Eumatimi (quartier Saint-Roch). Les Montréalais doivent joindre la ferme pour savoir comment se procurer des pigeonneaux Turlo: pigeonneauxturlo.com.

> Entier, vous paierez environ 35$ le kilo.

> Un pigeonneau pèse entre 290g et 450g.

> Calculez entre 10 et 15$ la portion.