Les grands-mères cuisinent différemment, avec les années qui passent. Il y a moins de monde à table, elles perdent le goût de passer du temps derrière les fourneaux et elles essaient aussi de nouvelles recettes, inspirées par Josée ou Ricardo.

Entre deux générations, des recettes se perdent. «Quand mes enfants étaient petits, ils faisaient des beignes avec leur grand-mère», raconte Louise Tanguay, mère, bientôt grand-mère et femme d'affaires occupée. Elle a tout de même pris le temps, l'année dernière, de confectionner un recueil des recettes familiales, qu'elle a imprimé pour tous les enfants et petits-enfants de la famille.

 

Le dimanche soir, il y avait toujours un rosbif sur la table de sa belle-mère, dit-elle, mais comme les temps n'ont pas toujours été faciles, il y avait surtout mille et une façons d'apprêter le boeuf haché. Pour ne pas que tout ce patrimoine se perde, Louise a demandé à sa belle-mère de recopier toutes ses recettes, à la main. Pourquoi ne pas simplement avoir photocopié les recettes des livres originaux? «Ce n'est pas la même chose, raconte la mère de famille. Quand je vois l'écriture de Jeanine, j'ai l'impression que ça sent déjà quelque chose. Et je pense que la recette va être meilleure si elle est écrite de sa main. En plus, elle ajoute plein de détails qui ne se retrouvent pas dans les livres.»

Les souvenirs culinaires sont très émotifs, confirme le sociologue de l'alimentation Carl Witchel. On pense à une recette et on se transporte à une autre époque. «On a même tendance à ne voir que le côté rose de notre nostalgie alimentaire, dit ce spécialiste. On oublie que les légumes étaient souvent trop cuits et qu'il y avait toujours un oncle tannant à table.»

Ce qui nous laisse devant un déchirant dilemme: faut-il être fidèle à la recette originale ou alors l'actualiser avec les ingrédients qui sont désormais disponibles?

«Ce n'est pas le moment de sortir votre curcuma!» tranche Louise Tanguay, qui est de l'école de la fidélité. Si on fait une recette chargée de souvenirs, il faut la faire telle quelle.

Les fameuses boules de guimauve aux Rice Krispies de sa belle-mère, par exemple. Certains jeunes de la famille les ont rebaptisées «les gosses du père Noël», à l'insu de leur grand-mère, qui leur donne un nom plus passe-partout. Les enfants ont vieilli, mais ils cherchent encore les gosses dans le congélateur de leur grand-mère dès qu'ils entrent dans la maison de Lac-Mégantic, durant le temps des Fêtes.

La vérité, sans offense aux amateurs, est que ces petites boules de guimauve sont plutôt quelconques. Ni particulièrement savoureuses et pas vraiment chic sur un plateau. Mais pour les petits-enfants de Jeanine, ces boulettes collantes sont un pur souvenir gustatif. Ils en font maintenant chez eux, fidèles à la recette, et ils en feront un jour à leurs enfants.

On sait qu'on est sentimentalement attaché à un plat si aucune modification à la recette n'est tolérable. Dans le cas des gosses du père Noël, par exemple. Utiliser un chocolat noir bio et équitable ou de la guimauve artisanale tiendrait du crime de lèse-majesté pour ceux qui ne jurent que par la recette de leur grand-mère.

L'important, insiste le sociologue Carl Witchel, est de garder ces traditions vivantes. C'est bien de ressortir des recettes de grand-mère à Noël, c'est mieux de les cuisiner à longueur d'année, quitte à les moderniser. C'est le meilleur moyen qu'elles se transmettent d'une génération à l'autre.

Frédéric Blaise, président de la firme-conseil Enzyme, croit aussi qu'il faut chérir les traditions culinaires, sans hésiter à les actualiser, pour assurer leur survie. Lui-même fera une dinde pour Noël. Un vrai repas traditionnel. Mais il fera une farce très contemporaine, alors que d'autres plats sont sacrés. La soupe de sa mère, par exemple, à laquelle il est si attaché qu'il ne changerait jamais un ingrédient. Ses enfants l'adorent et un jour, ils la feront aussi. Peut-être pour leur père. Ainsi va la transmission de la tradition culinaire. Un bol de soupe à la fois.

POUR GARDER BIEN VIVANTES LES TRADITIONS CULINAIRES FAMILIALES

Demandez les vieux livres de recettes de vos mères et de vos grands-mères, ceux qui traînaient dans la cuisine lorsque vous étiez jeunes. À la mort d'une grand-maman, il faut absolument récupérer les livres de recettes. Les livres de nos mamies sont pleins de trésors: bons de réduction égarés, échantillons de couleurs pour la maison, lettres oubliées entre deux pages, notes personnelles. Ce sont des souvenirs précieux.

Récupérez aussi des assiettes, des magnifiques Tupperware des années 60 pleins de couleurs, les vieilles cuillères de bois, les chaudrons Creuset, surtout s'ils sont usés. Vous allez penser à votre maman ou votre grand-maman chaque fois que vous allez les utiliser.

Cuisinez avec vos parents, leurs spécialités, surtout. Demandez-leur de refaire une recette qu'ils n'ont pas faite depuis très longtemps.

Prenez des photos des tables de Noël. Prenez aussi des photos des gens qui cuisinent. Avez-vous une photo de votre mère derrière les fourneaux? Non, alors à vos appareils!

Cette année, discutez popote lors d'un repas des Fêtes en famille. Demandez à vos frères et soeurs quel était leur plat préféré et celui qu'ils détestaient. Faites l'exercice avec vos parents et faites-le aussi entre amis. C'est surprenant de réaliser que les modes en alimentation lient des générations. Qui se souvient de l'aspic?

GOSSES DU PÈRE NOËL

1. Faire fondre six tablettes Caramilk dans un bain-marie.

2. Y ajouter une boîte de lait condensé et 4 cuillères à soupe de beurre.

3. Trempez ensuite des grosses guimauves dans ce mélange chocolaté tiède et enrobez chacune des gosses de céréales.