Ines et Elkahna Talbi ont écrit pour La Presse une histoire de Noël du genre qu'on ne voit pas assez souvent. Celle d'une famille de Montréal-Nord, celle du Montréal d'aujourd'hui, celle où les valeurs de générosité, de partage et de compassion, qu'on croit avoir vues pousser avec le traditionnel sapin de Noël, nous viennent, souvent, d'ailleurs. Noël, c'est l'ouverture et la découverte.

Dans la maison des soeurs Talbi, le temps des fêtes n'était pas comme chez les autres amis. Le père, le 24 décembre de jour, vendait des bijoux et remettait le temps au poignet des gens. La mère, le 24 de nuit, travaillait dans une maison secrète qui tendait la main aux mamans. 

Chez nous pas de sapin, pas de lumière en flocon, mais les yeux illuminés de deux petites filles en congé. 

En mode Guerre des tuques au parc Pilon devant la maison. 

"One piece" d'hiver fluo et bottes Sorel bien chaudes. 

Glissade, patin à volonté et films en rafale. 

Le 24, c'était pizza et cinéma en pyjama. 

Mais pendant des années, nous, les soeurs Talbi, avions un doute à propos des vraies raisons derrière l'embargo sur le party de Saint-Nicolas. À la maison, on ne fêtait pas le 24 ni le 25 décembre. Jamais. 

À un moment donné, entre deux Contes pour tous et un lait de poule, on a découvert le grand secret qui voguait depuis si longtemps : au fond, nos parents étaient des lutins, rien de moins que les bras droits du père Noël... 

C'était tellement plausible, même évident. 

Notre petite taille et nos oreilles décollées étaient le résultat de cette union féérique. 

Leur silence autour de cette fête magique était certainement pour nous protéger. Avoir des parents qui «chillent » avec le père Noël, ce n'est pas rien. C'est top secret. 

Nos parents aidaient le père Noël afin que tous ceux faisant partie de la famille du petit Jésus puissent fêter son anniversaire. 

Parce que nous, on le connaissait le petit Jésus. 

C'était écrit dans un gros livre qu'on avait à la maison. 

Notre grand-mère Mimi nous avait raconté que Jésus, c'était un cousin éloigné de Mohamed, le Prophète. Que dans le fond, depuis le début des temps, les humains étaient tous cousins et cousines. Une famille. 

Notre papa comme par hasard s'appelle aussi Mohamed. 

Mais nous on l'appelle Mister Mo ou Papounet. C'était notre code. 

Bref les héritières Talbi avaient compris! Nos parents étaient occupés le jour de Noël afin que les parents des autres puissent festoyer. 

D'abord le jour, Mister Mo à la Plaza Côte-des-Neiges, le 24 décembre, tranquille derrière son comptoir était prêt à aider les cousins pressés à trouver la perle rare. 

Il pouvait passer des heures dans son atelier au sous-sol à polir une bague pour que Mr Jean-Guy se fasse répondre oui. 

À fondre l'or de Mme Smith, pour en faire un bracelet qu'elle offrira à sa première petite-fille. 

À son kiosque, telle une boussole, notre Papounet donnait la direction du Zellers à monsieur et madame Dernière-minute. 

Expliquait à un nouvel arrivant déstabilisé comment se retrouver à Montréal/où acheter des bottes d'hiver. 

Prenait son café avec les autres proprios des boutiques de la Plaza. 

Mister Mo était l'homme de la situation du haut de sa côte enneigée. 

Toujours prêt à calmer l'hystérie des gens en pleine crise de cadeaux. 

Il avait un fun fou à faire douter un client qui arrivait en disant : 

- Ma montre marche plus. 

- Monsieur, votre montre n'a jamais marché! 

- Mais si, je vous le dis, elle a arrêté tout à l'heure, mais elle marchait avant. 

- Mais monsieur, c'est impossible. 

- Ben si, je vous le dis! 

- Elle ne peut pas marcher. Elle n'a jamais eu de jambes, votre montre. 

Et le rire du client, la détente qui s'en suit. Comme une brèche dans le temps. Une pause dans la folie de la course du temps des Fêtes. 

Une pile plus tard, le temps redémarre pour monsieur grâce à un Mister Mo tout sourire. 

Il avait même pris l'habitude de fermer boutique seulement si le silence total régnait dans le centre d'achat. Juste au cas. Il aimait être une bouée pour les autres. Travailler n'a jamais été une torture pour lui. Aider son prochain a toujours été un de ses plus grands bonheurs. 

Ensuite le soir, Madame Talbi était toute souriante à l'accueil, dans cette maison pour les femmes qui même si elles avaient été gentilles risquaient de recevoir une tempête en plein visage et des bourrasques au ventre. 

Maman accueillait bras ouverts celles qui avaient décidé. 

Que ce soir-là c'était la dernière fois, ç'en était fini d'être le "punching bag". 

Que de partir de leur chaumière, était le plus beau cadeau qu'elles pouvaient se faire à elles et à leurs enfants. 

Maman Talbi allait les couvrir d'amour et les protéger contre les vrais méchants. 

Son sourire plein de douceur qui leur disait bonjour et joyeux Noël avec un accent méditerranéen. Des mots qui réchauffaient tel le soleil de Tunis. 

Les yeux de Maman Talbi comme un répit pour ces femmes fortes. 

Elle était là pour s'assurer que ce premier Noël loin de la violence ne soit pas leur dernier. 

Même si Maman Talbi avait les larmes aux yeux en accueillant ses femmes, elle était au poste chaque 24 et 25 décembre. Son coeur plus grand que sa colère. 

Elle savait que sa présence lors de ce passage difficile à la Maison d'hébergement pouvait faire la différence pour plein de femmes en détresse et d'enfants brisés. 

Oui, nos parents, c'était des lutins. On en était certaines. 

Ils étaient généreux, travaillants et farceurs. En plus, Maman Talbi est tellement petite que certains manèges de la Ronde lui sont encore interdits. 

Nos parents voulaient que leur secret soit bien gardé. Alors durant le temps des Fêtes, des cadeaux apparaissaient un à un, par magie sous notre table de salon. Tranquillement mais sûrement, cette pièce devenait la caverne d'Ali Baba. 

Et le 31 décembre, après avoir mangé de la fondue chinoise et de la bûche italienne, 

on déballait nos cadeaux comme deux Diable de Tasmanie dans Bugs Bunny. 

C'était pour fêter la nouvelle année, que Maman disait. Pour que les deux petites frisées au teint hâlé puissent, elles aussi, faire l'étalage de leur récolte dans la cour d'école en janvier. À la façon des enfants de ce pays qui était maintenant leur maison. Car Monsieur et Madame Talbi avaient pris en 1978 un traîneau direction l'Occident. Rien dans les poches et rien dans leurs sacs. Juste des sourires et des rêves. 

Et 39 ans plus tard, alors que ces deux lutins ont réussi à créer deux tsunamis d'humaines, ils préfèrent encore rester dans l'ombre, ils adorent toujours nous submerger de cadeaux au jour de l'An. Parce que Mohamed et Hasna sont discrets et magiques comme ça. 

Et depuis quelques années déjà, à chaque 25 décembre les soeurs Talbi célèbrent un Noël bien à elles. 

Un repas entre orphelins du party de Saint-Nicolas 

parce que la famille est peut-être trop loin 

trop rushante 

trop disparue 

trop lourde 

parce que la vie est ce qu'elle est. 

Un souper entouré d'amis proches et d'amis virtuels qui deviennent réels. 

Pour ainsi offrir aussi de l'amour et du temps en cadeau, et suivre l'exemple des lutins Talbi. 

Parce qu'au fond, le solstice d'hiver fait se coucher le soleil tellement trop tôt, qu'on se doit de se coller entre cousins pour faire resurgir la lumière.

QUI SONT LES SOEURS TALBI ?

Ines Talbi

Artiste multidisciplinaire. Dans le cas d'Ines Talbi, ça signifie qu'elle écrit et qu'elle dirige, qu'elle joue, chante et danse autant sur écran que sur scène. Cet automne, on a vu ses multiples talents exploser, entre autres, avec sa soeur Elkahna au Théâtre de Quat'sous (À te regarder, ils s'habitueront) et à La Licorne (La foirée montréalaise).

Elkahna Talbi

Aussi connue sous le nom de Queen Ka, Elkahna Talbi est slameuse, comédienne et diplômée en beaux-arts ! Cette année, elle a préparé l'exposition De la poésie au slam à la Place des Arts, célébré la diversité montréalaise lors de l'événement Nova Stella en août et était il y a quelques jours au festival Noël dans le parc à la place Émilie-Gamelin.