Vive le vin en chantant Vive le vent autour du sapin! Mais qui a vraiment envie de voir sa grand-mère soûle à Noël ? Autant l'alcool est capable de faire lever une fête, autant il peut la plomber, que l'on soit ridiculisé parce qu'on en a trop pris ou ostracisé parce qu'on a dit «non merci». L'alcool, mine de rien, peut causer de gros malaises.

Pendant des années, entre Michèle et sa mère, les célébrations avaient lieu entre 10h et 15h30 exclusivement.

C'est que Michèle avait exigé de sa mère que plus jamais elle ne boive en sa présence. Plus jamais, jamais, jamais. Aussi allait-elle la chercher chez elle à 9h pour la ramener en milieu d'après-midi, sachant que la prenait alors l'envie irrépressible de consommer de l'alcool.

«Entre 10h et 15h30, c'était magique, dit Michèle. Nous rigolions et avions de vraies conversations.»

Puis, un certain jour de l'An, Michèle a trouvé sa mère ivre morte dès le matin. L'entente n'a plus tenu. Michèle a dit à sa mère de la rappeler quand elle serait sobre. Elles ne se sont plus revues depuis quelques années déjà.

Michèle parle de l'alcoolisme comme d'une tare familiale qui touche plusieurs de ses proches et qui en a même tué quelques-uns. Noël ou pas, l'alcool, ça ne la fait pas rigoler.

Ça n'amuse pas Stéphane non plus. Lui non plus ne boit pas. Ainsi, il voit tout, il entend tout et, après le troisième verre de ses proches, ce n'est plus du plus grand cru.

Comme d'autres n'aiment pas la soupe aux huîtres, lui n'a pas le goût de l'alcool. Et il n'a pas insisté: la mort prématurée d'un grand-père et d'un oncle qui levaient trop le coude a causé un certain traumatisme dans la famille.

«Ne pas aimer l'alcool, c'est grave, ça!» lance-t-il, sarcastique. «Quand tu ne bois pas, soit on te prend en pitié parce qu'on pense que tu es un ex-alcoolique, soit on te prend pour un curé. Par contre, une fois qu'ils se sont bien moqués de toi, les amis sont bien contents, en fin de soirée, d'avoir un Nez rouge de service pour les ramener à la maison en toute sécurité!»

Autant on a diabolisé l'alcool à une certaine époque, autant le fait de ne pas boire vous fait aujourd'hui passer pour un être étrange, relève aussi Andrée Demers, professeure de sociologie à l'Université de Montréal. «Aujourd'hui, la déviance, c'est de ne pas boire, relève-t-elle. Quelqu'un qui ne boit pas, ça étonne.»

Dans un cabinet d'avocats, essayez de dire à vos partenaires que vous, l'alcool... C'est mal vu, «au même titre que d'arriver au bureau avec les cheveux bleus», note Mme Demers: «L'alcool fait partie de la sociabilité. Il est associé à des activités festives, et le fait de ne pas boire vous place en dehors de la norme.»

C'est d'autant plus vrai que l'alcool est même devenu une marque de distinction dans la foulée d'efforts marketing particulièrement bien réussis de la Société des alcools. S'y connaître en vins, ou alors boire du vin plutôt que de la bière, ou du champagne plutôt que du vin mousseux, ça fait bien, «comme le fait de boire du café équitable» dans certains milieux, note Mme Demers.

Catherine, elle, doit s'abstenir parce que, à Noël, dans sa famille, c'est la honte: «Quand ce n'est pas ma mère qui perd la carte, c'est un beau-frère qui devient susceptible», explique-t-elle. Le seul bon côté à tout cela? À la fin de la nuit, dit-elle, les rares personnes encore fonctionnelles se fendent de chaleureuses étreintes et se déclarent le plus grand amour filial...

Et les Alcooliques anonymes, ça fête? Oui, ça fête, assure Lyne, elle-même abstinente depuis neuf ans et responsable des relations avec les médias de l'organisme. «Nous, les alcooliques, on n'est pas du monde plate!»

Elle relève que le site internet des Alcooliques anonymes annonce quantité de soirées sans alcool pour ceux dont la sobriété est encore toute fragile et qui veulent éviter d'aller dans leur famille.

C'est que, comme le dit bien le nom de l'organisme, quantité de personnes alcooliques ne s'affichent pas. Une grosse gastro, prétexteront certains. Les routes ne seraient pas un peu trop glissantes? Vous m'excuserez, j'ai un autre party.

«Pour ma part, j'étais très ouverte sur la question et je disais très franchement la raison pour laquelle je déclinais l'invitation, dit Lyne. Il ne faut pas que les gens prennent cela personnellement.»

Mais quelle est l'éthique de tout cela, quand on a un alcoolique déclaré dans son entourage? Le régime sec pour tout le monde? «Je trouve très important de ne pas imposer son abstinence à ses proches», dit Lyne.

Encore faut-il que les gens ne versent pas dans l'autre excès. «Je me souviens de soirées où l'on me disait: «Allez, prends donc un verre, juste un, ça n'a jamais tué personne.» Ça, c'est une très mauvaise idée. Il faut respecter la personne qui dit non merci.»

Que ce soit pour l'alcool ou pour la soupe aux huîtres.