La parole franche. Le regard allumé. La Montréalaise Aline Séguin est en parfaite santé. La dame, qui vivra demain son 106e Noël, a accepté de rencontrer La Presse dans sa chambre du centre de santé et de soins de longue durée (CHSLD) Berthiaume-du-Tremblay à Montréal.

Bien assise dans son fauteuil préféré, Mme Séguin rigole quand on la félicite pour ses 105 ans, qu'elle a célébrés le 11 décembre. «Les gens me disent: «Cent cinq ans, que c'est beau! « Moi je leur dis que c'est beau quand tu ne les as pas!» lance-t-elle.

 

À part cette boutade, jamais durant les trois heures d'entretien, Mme Séguin ne se plaint de son âge. Ne prenant aucun médicament et ne souffrant d'aucune maladie, elle s'estime plutôt «gâtée par la vie».

Elle reconnaît toutefois souffrir de solitude. Mme Séguin a toujours été une femme active. Mais il y a deux ans, après une vilaine chute, elle a dû quitter son logement pour s'installer au CHSLD Berthiaume-du-Tremblay.

Elle adore le personnel, «des gens dévoués et aimables». Mais elle s'ennuie. Terriblement. Les autres résidants de son étage souffrent presque tous d'alzheimer.

Mme Séguin les appelle ses «vieux». «J'essaie d'avoir des conversations avec eux. Mais ça me déprime, la plupart d'entre eux ne comprennent rien», dit-elle.

La fille de Mme Séguin, qui a 77 ans, vient régulièrement la visiter. Ses trois petits-enfants, âgés de 47, 49 et 50 ans aussi. «Mais moi, ce que j'aimerais, c'est sortir comme avant. Avoir mes activités. Et jaser avec du monde», dit-elle.

La mort

Même si elle sait «que la mort n'est plus si loin», Mme Séguin n'a pas hâte de mourir. «Je pense que tu n'as jamais hâte à ça», souligne-t-elle. Elle mentionne toutefois que lorsqu'elle sera au ciel, «si c'est vrai qu'il y a un paradis», elle espère rencontrer Philippe Côté, son premier mari. «Lui, je l'aimais et je l'aime encore. Je vais lui dire si je le vois», souffle-t-elle.

Mme Séguin a épousé Philippe Côté quand elle avait 20 ans. Ensemble, ils ont eu trois enfants, dont une seule vit encore. M. Côté a succombé à une maladie inconnue en 1942. «Il ne voulait pas être soigné. C'était la guerre. On n'était pas riches. Il ne voulait pas qu'on paye pour lui. Vous savez, à l'époque, l'assurance maladie n'existait pas. On s'aidait comme on pouvait!» relate Mme Séguin.

En 1954, plusieurs années après la mort de son mari, Mme Séguin a cédé aux pressions d'un prêtre et s'est remariée. «Le prêtre me disait: «Madame, vous n'avez pas le droit d'être heureuse toute seule quand d'autres ont besoin de vous! «» se souvient Mme Séguin.

En bonne chrétienne, elle a épousé un homme de Rigaud. Durant les 20 années qu'elle a passé dans cette ville, le bonheur a été quasi absent de sa vie. «Au moins, j'aimais les enfants de mon mari. Je les considérais comme les miens», dit la dame, qui explique qu'elle «adorait cette famille», mais n'était «pas en amour» avec son époux.

La guerre et la grippe

À 105 ans, Mme Séguin fait partie des derniers Québécois à avoir vécu les deux grandes guerres. Ses souvenirs de ces tristes événements sont clairs. «Chaque fois, la misère venait s'installer», dit-elle.

L'épidémie de grippe A (H1N1), qui a fait les manchettes au cours des derniers mois, fait soupirer Mme Séguin. «Ce n'est rien comparativement à la grippe espagnole. Là, tout le monde mourait», résume-t-elle.

À cette époque, les rares entrepreneurs en pompes funèbres étaient débordés. «Le carrosse du croque-mort était toujours plein. Les gens gardaient leurs morts durant des jours dans leur maison. Ils criaient aux fenêtres: «Venez chercher mon mari! Il est mort depuis trois jours!» Le croque-mort répondait: «Mon carrosse est plein! Je peux seulement vous l'échanger pour un plus frais».»

Promenade en auto

Mme Séguin est née en 1904 dans le quartier Saint-Henri à Montréal, dans une famille modeste, «mais remplie d'amour». «On lisait aussi La Presse. À l'époque, les gens nous trouvaient bien fous de dépenser un sou par jour pour l'acheter!» se souvient-elle.

Avec ses sept soeurs et ses parents, Mme Séguin ne se rappelle pas avoir fêté Noël. «À l'époque, on célébrait plutôt le jour de l'An, dit la dame. On recevait une orange, une pomme et un bonbon clair. Et on était tellement contents!»

Cette année, Mme Séguin a trois souhaits pour Noël. Le premier serait d'avoir 0une chambre plus grande. La sienne, qui ne peut contenir qu'un lit, un fauteuil et deux commodes, est trop exiguë.

Mme Séguin aimerait aussi voir l'Orchestre symphonique de Montréal à l'oeuvre. «Je rêve qu'un jour, un de mes petits-fils m'emmène voir un concert de Kent Nagano», chuchote-t-elle.

Mme Séguin hésite à divulguer son troisième souhait. «Je ne veux pas me plaindre», dit-elle. Après quelques minutes de réflexion, elle finit par avouer qu'elle aimerait «faire des tours de voiture». «Les gens ne font plus ça aujourd'hui, remarque-t-elle. Moi, j'aimerais ça que les gens m'emmènent faire des tours, pour voir dehors. C'est tout.»