Ça y est. C'est le moment ou jamais. Exit l'hypercommercialisation de Noël, retrouvons l'essence de la fête, et célébrons comme le faisaient nos grands-mères, en famille, dans la joie, le partage et l'allégresse?

Erreur. Au Québec, croyez-le ou non, Noël a toujours été une affaire commerciale. Toujours?

Au bout du fil, le sociologue se bidonne. Si si, mademoiselle la journaliste, croyez moi, c'est très drôle. Voyez-vous, en feuilletant les journaux de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, Jean-Philippe Warren a trouvé des formules du genre: le «traditionnel shopping des Fêtes» (en 1904!), «il faudrait fêter davantage en famille», «éviter de succomber à la frénésie des achats», tout juste si on ne dénonce pas déjà les bébelles «made in China» ...

 

«On n'a jamais dénaturé Noël, parce que Noël a toujours été une fête commerciale au Québec», résume le sociologue et auteur d'une thèse pour le moins «osée» (le qualificatif est de lui), qu'il développe dans l'essai Hourra pour Santa Claus, publié chez Boréal en 2006.

En gros, sa théorie est la suivante. Jadis au Québec, dans la société victorienne, c'est le jour de l'An qui était la grande fête de l'hiver, le 25 décembre et la naissance du «petit Jésus» étant une fête nettement plus marginale. Pour faire mousser leurs affaires (rappelez-vous, nous sommes dans une société puritaine, par définition peu dépensière), les marchands décident de vendre l'idée d'une journée dans l'année où il serait de bon ton de consommer, avançant qu'il s'agirait d'un geste généreux, quasi altruiste. Et ironie du sort, l'Église a encouragé ceux-ci dans leur manoeuvre (histoire d'enlever la vedette au Nouvel An, une fête païenne). Petit à petit, le 25 décembre s'est ainsi imposé, avec son gros bonhomme rouge, ses guirlandes et son défilé (qui date, à Montréal, de 1925).

Alors quand on lui demande si cette année, en pleine incertitude économique, alors que le cabinet Deloitte prévoit le pire Noël (en matière de dépenses) en 15 ans, s'il ne serait pas temps de puiser dans les discours de nos grands-mères, penser simplicité volontaire, histoire de renouer avec une certaine «essence» de Noël, non, le sociologue n'y croit pas.

N'en déplaise au groupe Adbusters, dont le rédacteur en chef Kalle Lasn, en entrevue, a pourtant qualifié le moment d'«historique». Faisant référence à la fois au ralentissement économique et au réchauffement climatique, il a lancé, confiant: «C'est le moment de penser autrement. De changer notre façon de vivre, de célébrer Noël, et pourquoi pas tout le système. Si c'est la fin de l'hyperconsommation? Je crois que oui. J'espère que oui. Je n'ai jamais été aussi optimiste.»

Malheureusement, ces discours de simplicité volontaire ne datent pas d'hier, reprend M. Warren. Dès la fin du XXe, des familles dénonçaient déjà cette hyperconsommation. Et toujours, le mouvement est demeuré marginal.

Nul doute, toujours selon le sociologue, que cette année, faute d'opulence, les Fêtes seront donc un brin «tristounettes». «Ça n'est pas la première fois. Pendant les deux guerres et la crise de 1929 aussi, les gens avaient l'impression qu'ils ne pouvaient pas être autant dans l'esprit des Fêtes qu'ils le voulaient. Le fait de ne pas pouvoir dépenser comme ils le voudraient va rendre les gens moins gais.»

Une lumière (de Noël) dans la grisaille économique

Une bonne nouvelle pour finir. Un économiste de l'Université de Caroline-du-Nord-Greensboro a fait la surprenante découverte suivante: il semblerait que pendant les ralentissements économiques, contre toute attente, les gens auraient tendance à se porter mieux, physiquement. Selon les études de Christopher Ruhm, plusieurs facteurs seraient ici en jeu. Côté environnemental, les gens réduisant leurs déplacements, il y aurait moins de pollution dans l'air. Et puis comme les gens travaillent moins, ils auraient davantage de temps pour faire de l'exercice. Bien sûr, on sait que la santé mentale en prend un coup en temps de crise, mais surprise, la malbouffe aussi. Les gens ayant moins d'argent, ils auraient aussi tendance à moins sortir au restaurant, donc à mieux manger, et moins boire aussi.

Qu'est-ce que tout cela pourrait bien signifier pour nos Fêtes? «Peut-être que pendant cette période, cela veut dire que les familles vont moins se déplacer, rester près de la maison, et finalement être plus en santé», spécule l'économiste.