En 1970, Robert Jasmin s'installe à Neuville dans une maison québécoise âgée d'à peu près 165 ans. «Mais vu l'état délabré de la propriété, personne n'en voulait, explique M. Jasmin en entrevue. Le toit s'affaissait et la façade était tellement bombée qu'on aurait dit le ventre d'une femme enceinte. Me voyant, à l'époque, comme un sauveteur du patrimoine québécois, je me suis dit : «Je vais la restaurer.»» Or, le chantier s'est étalé sur presque 30 ans et «ce n'est jamais fini, lance cet ancien commissaire du travail, parce qu'une maison de 206 ans a toutes sortes de petits caprices».

La propriété située sur la route 138 entre Saint-Augustin et Neuville a été habitée pendant un siècle et demi par les Rochette et leurs descendants. Une famille à revenus modestes qui vivait sur une ferme, mentionne M. Jasmin. La maison était à leur image. Une bâtisse de deux étages en pierre recouverte de crépi à laquelle on a ajouté, plus tard, une cuisine d'été. À l'intérieur, des poutres traversent les pièces de part en part, les planchers sont en pin et un âtre immense occupe un pan de mur entre la cuisine et le salon. «Un foyer extraordinaire que j'ai eu la surprise de découvrir en démolissant une armoire», tient-il à préciser.

Le trésor : son histoire

Mais le vrai trésor de cette maison, c'est son histoire : les joies, les peines, les anecdotes qui forgent la trame de toute une vie. Robert Jasmin a d'ailleurs découvert des bouts d'histoires à travers des objets restés sur place, comme ce clou fiché dans une poutre du grenier. Des voisins lui ont raconté que le clou servait en réalité de crochet pour suspendre les enfants quand ils étaient trop tannants. Une explication qu'il juge plausible. Et dans le sous-sol, un cimetière de bouteilles vides enfouies sous quelques pouces de terre. C'étaient probablement des bouteilles d'alcool qu'on dissimulait pour répondre aux diktats de l'Église catholique qui, à l'époque, prêchait la tempérance.

Photo: Patrice Laroche, Le Soleil

À l'étage, la chambre principale est traversée de poutres qui soutiennent le toit.

Enfin, la cuisine d'été aujourd'hui transformée en bureau-bibliothèque était la place réservée au quêteux, que Robert Jasmin décrit comme un journaliste itinérant dont la mission consistait à colporter l'information qu'il collectait de village en village. «Intuitivement, j'ai fait de cette pièce mon lieu d'études et d'écriture», dit-il. C'est d'ailleurs ici qu'il passe quatre heures par jour à travailler sur son prochain livre après avoir publié en 1989 Le temps d'Alexandre, dans lequel il racontait l'histoire de son fils atteint de la maladie Wiskott-Aldrich. Ce livre a d'ailleurs été un véritable succès de librairie et fut réédité sept fois.

La maison possède aussi un deuxième étage qui a longtemps servi de grenier avant qu'on y installe deux chambres à coucher, pour le plus grand malheur des occupants, qui ont vu la façade de leur maison sortir de ses gonds à cause d'une erreur attribuable à un des descendants qui avait scié une des poutres porteuses. Un problème que Robert Jasmin a dû corriger en priorité.

Après 40 ans dans une résidence aussi ancienne, Robert Jasmin y trouve encore beaucoup de plaisir, notamment pour la vue sur le fleuve, mais aussi à cause de l'immense terrain qui compte des arbres matures. «Et plusieurs d'entre eux, c'est moi qui les ai plantés», dit-il. Une maison qui continuera d'accumuler des souvenirs parce que Robert Jasmin est papa d'une petite fille de trois ans.

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Photo: Patrice Laroche, Le Soleil