Le patrimoine bâti résidentiel de Montréal n'a pas toujours droit au meilleur des traitements. Certains métiers dont on peut encore admirer les prouesses passées sont aujourd'hui presque oubliés, ce qui rend difficile la restauration. Mais qui veut peut.

Quand il a voulu faire réaliser une petite réparation sur le toit de l'ancienne maison victorienne de ses grands-parents, dont il venait d'hériter, François-Pierre Gingras a mis le doigt dans un engrenage qui allait lui coûter 140 000$, lui demander d'innombrables heures de recherche et... lui valoir un prix de l'Opération patrimoine architectural de Montréal. «Je ne savais pas dans quoi je me lançais, mais je suis très fier du résultat aujourd'hui», raconte ce professeur retraité de l'Université d'Ottawa.

L'expérience de M. Gingras est typique des rénovations de maisons patrimoniales. La facture n'est pas toujours aussi salée, mais conserver le cachet d'époque d'une résidence peut être long, compliqué et plus coûteux que lorsqu'on rénove avec des matériaux neufs.

Ainsi, le professeur a dû traiter tour à tour avec des entreprises et artisans spécialisés dans les toitures de cuivre et d'ardoise, les fenêtres de bois, les vitraux et les rampes en fonte. De désistements en retards - tous ces spécialistes sont très occupés et pas toujours faciles à trouver -, il lui a fallu près de deux ans pour redonner à sa maison de l'ouest du centre-ville de Montréal son lustre d'antan.

Plusieurs rétorqueront que le jeu en vaut la chandelle: ces propriétaires contribuent à embellir les quartiers, à garder le patrimoine vivant et, élément non négligeable, ils donnent de la valeur à leur maison et à leur quartier au complet. «Ma plus grande fierté, c'est que des voisins ont eux aussi entrepris des travaux de restauration et m'ont dit que c'est moi qui les avais inspirés», dit d'ailleurs François-Pierre Gingras.

La renaissance des métiers

Pas facile, donc, pour les propriétaires de maisons patrimoniales de trouver des ouvriers et des artisans qui ont les compétences pour travailler à la restauration de leur petit bijou dans les règles de l'art. Or, pour leur faciliter la tâche, le Conseil des métiers d'art du Québec (CMAQ) prépare un répertoire des artisans liés à l'architecture et au bâtiment, qui sera lancé d'ici la fin de l'année.

Non seulement le grand public aura-t-il les coordonnées de ces spécialistes, le CMAQ s'assurera aussi qu'il s'agit d'artisans compétents. «Pour faire partie de ce réseau de professionnels reconnus, il faudra être membre du Conseil, donc faire évaluer sa production, et répondre à certaines normes. Ce sera plus qu'une simple liste», explique France Girard, ébéniste et responsable du dossier au CMAQ.

Derrière ce projet, il y a la volonté de mettre les propriétaires en lien avec des artisans qui savent mettre en valeur le patrimoine architectural, mais aussi le désir de contribuer au développement des métiers d'art liés à l'architecture et au bâtiment, explique Mme Girard. «Nous sommes préoccupés par le risque de perte de savoir-faire, dit-elle. Il n'existe même pas au Québec de formation pour les forgerons ni pour les artisans du vitrail. Autrefois, ça se transmettait d'une génération à l'autre, mais ce n'est plus toujours le cas.»

Le CMAQ offre donc maintenant de la formation et du perfectionnement aux artisans, par exemple en histoire du bâtiment ou en architecture, pour assurer la «pérennité de certains métiers».

Main-d'oeuvre européenne

En raison du manque d'expertise local, plusieurs artisans vont chercher la formation nécessaire à l'étranger. Patricia Desjarlais, une ébéniste qui se spécialise dans la restauration des portes et fenêtres anciennes et donne des cours à l'École nationale du meuble et de l'ébénisterie, est allée se perfectionner en France.

Jean-François Lachance, propriétaire depuis 10 ans de l'atelier L'établi, dans le quartier Rosemont, qui fait des reproductions d'anciens éléments architecturaux, a dû recruter aussi en France deux employés qui se joindront sous peu à son atelier.

À cause du manque d'expertise locale et de l'absence de réseau permettant aux artisans de se faire connaître, les propriétaires ne réussissent pas toujours à restaurer leur maison dans le respect du patrimoine. «Certains entrepreneurs disent aux propriétaires que restaurer ou reproduire les éléments d'origine, ça coûte trop cher ou que ce n'est pas possible, parce qu'ils ne savent pas ce qui existe», déplore Jean-François Lachance. Heureusement, des formations sont maintenant offertes pour venir en aide aux propriétaires qui veulent se lancer dans la restauration patrimoniale.

«Les gens sont de plus en plus conscients de la valeur que donnent à leur maison des rénovations de qualité, qui respectent le style d'origine. Ils sont prêts à payer plus cher pour conserver le cachet d'époque», souligne Nathalie Charbonneau, chercheuse au Laboratoire d'histoire et de patrimoine de l'UQAM, qui a sillonné pendant deux ans les rues de Montréal pour publier le livre Les ouvertures dans le patrimoine résidentiel montréalais, présentant des centaines de photos de portes et fenêtres bien conservées.

Pourtant, restaurer ce qui est en place, bien souvent, ne coûte pas plus cher que de remplacer par du neuf, croit Patricia Desjarlais. «Mais plusieurs ne réalisent pas le potentiel de leur maison, dit l'ébéniste. Il suffit d'un peu de grattage, un peu d'amour, pour faire ressortir des choses magnifiques.»