Vous rêvez d'habiter dans une maison ancestrale? Vous pourriez la trouver aufin fond d'un village, puis la démonter,la numéroter, la déménager et la remonter sur votre terrain. Une opération pas si simple, mais qu'un couple a répétée trois fois en banlieue de Montréal.

Acheter une robe sur un coupde tête en quelques minutes? Passe encore. Un voyage? Aussi. Mais une maison ancestrale? Quand on en possède déjà une? Et qu'elle est à des centaines de kilomètres de chez soi? Voilà qui est plus original. Et encombrant. Surtout quand elle vous est livrée dès le lendemain en pièces détachées...

Même les propriétaires, Daniel Joannette et Nancie Ferron, semblent avoir encore du mal à croire ce qu'ils ont fait, il y a quelques années, en acceptant l'offre saugrenue d'une amie agente d'immeubles,qui les a appelés pour les alerter au sujet d'une maison ancestrale qui était à vendre dans les plus brefs délais, sous peine d'être démolie. C'était un vendredi soir.Le lendemain, le soleil n'était pas encore couché quand un camion remorque est débarqué dans leur cour avec la pile de pièces de bois oùelle devrait passer les deux hivers suivants.

«Nous l 'avons achetée sans trop savoir ce qu'on en ferait, dit franchement Daniel Joannette. Ça nous a pris deux ans avant de nous décider.» Une folie? Oui et non. L'homme, ancien journaliste du réseau TQS, avait déjà une certaine habitude de la chose... Il en était alors à sa troisième maison démontée,déplacée puis remontée pièce par pièce!

Premier achat: agrandissement d'époque

Leur premier achat d'une maison en pièces détachées était venu combler un besoin. Daniel Joannette et Nancie Ferron venaient de changer de carrière et d'acheter un terrain pour se lancer dans la production de lavande (ils sont propriétaires de la Maison Lavande, à Saint-Eustache).Une maison ancestrale y était déjà installée, mais elle était nettement trop petite pour les accueillir avec leurs deux filles et construire en neuf était hors de question. Après des semaines de recherches, ils trouvent finalement leur bonheur sur la terre d'un fermier de Saint-Gervais-de-Bellechasse. La maison de 1830 est démontée en plusieurs centaines de pièces numérotées,avant d'être reconstruite à des centaines de kilomètres de là, en banlieue de Montréal... Comme un jeu de blocs LEGO.

Cette «nouvelle» maison n'a pas été accolée directement à celle déjà en place, ce qui aurait eu pour effet d'accentuer leurs différences, mais les propriétaires l'ont plutôt installée à quelques mètres de l'autre. Elles sont réunies par un hall d'entrée formé, à gauche et à droite,des murs latéraux d'origine des deux résidences, en larges poutres de bois. On distingue encore, sur plusieurs d'entre elles, les numéros inscrits avant leur démontage. Un petit studio a aussi été aménagé au sous-sol, avec une entrée indépendante, pour leur fille cadette, étudiante à l'université.

Deuxième achat: la boutique

Une deuxième maison supplémentaire fut achetée en Beauce,sauvée in extremis avant qu'elle ne serve à un exercice des pompiers volontaires. Quand Daniel Joannette l'a visitée, cela dit, il était loin du coup de foudre. Sous les multiples couches de papier peint et de lattes de bois, les poutres étaient criblées de centaines de chevillettes de bois, une méthode utilisée par nos ancêtres pour faire tenir le plâtre, ont appris les propriétaires au fil de leurs recherches auprès d'historiens. «Ça nous apris des heures juste pour les enlever», se rappelle Daniel Joannette.

Toutes, sauf celles d'une portion d'environ un mètre carré mise en évidence pour les visiteurs, carla maison abrite désormais une boutique de produits à la lavande. Ainsi, ce fragment du patrimoine bâti québécois ne sombrera pas dans l'oubli.

Troisième achat: lot incomplet

La troisième maison achetée fut la plus difficile à remettre d'équerre, même si Daniel Joannette commençait à avoir l'habitude des déménagements et des reconstructions . Ceci explique bien simplement cela :le lot de pièces livré était... incomplet et la peinture utilisée pour les numéroter n'avait pas résisté aux deux hivers passés dehors!

Il a fallu courir les antiquaires et faire aller le bouche-à oreille pour trouver, enfin, un démolisseur possédant les pièces requises. Deux planchers ont été utilisés pour n'en construire qu'un seul. «Il faut s'armer de patience, prendre du temps pour trouver les matériaux pour respecter l'esprit de la maison.»

À l'intérieur, la décoration est sobre. La résidence familiale n'a que peu de meubles, choisis avec soin, surtout des antiquités grappillées ici et là au fil des ans. Des murs dépouillés ont été peints en blanc, pour alléger l'effet tout bois. Les matériaux nobles ont le dernier mot.

Le respect de l'époque

Construites avec des matériaux d'une qualité aujourd'hui introuvable, les maisons patrimoniales sont solides et durables.

Malgré tout, le passage des saisons et des rénovations pas toujours bien avisées ont pour la plupart laissé des traces. Et quand vient le temps de remplacer une poutre, d'isoler des murs ou de colmater des fuites du toit sans dénaturer une maison ancienne, le défi peut s'avérer imposant.

Les trois maisons reconstruites par Daniel Joannette et Nancie Ferron ont ainsi été isolées à l'uréthane de l'extérieur pour éviter d'avoir à recouvrir les poutres de bois à l'intérieur.

Sur une des maisons, un deuxième toit a aussi été construit sur le premier, en tôle, pour limiter les pertes de chaleur et juguler les infiltrations d'eau.

«Il fallait aussi choisir tout de suite où seraient installées toutes les prises électriques, les lumières. C'était difficile de tout prévoir comme ça», relève Nancie Ferron.

Plusieurs fenêtres ont dû être remplacées - en bois, bien sûr, malgré les coûts élevés - pour respecter l'esprit d'origine.

Pour rebâtir ses trois maisons, le couple a eu l'aide d'artisans, mais c'est Daniel Joannette qui a fait les plans de la troisième maison, livrée en pièces détachées. «Ce n'est pas si compliqué, mais il ne faut pas se tromper, je mesure 10 fois au moins avant de passer à l'acte.» Il s'est d'ailleurs permis quelques changements. «Si la maison est vieille de 100, 200 ans, des modifications le plus souvent malheureuses ont été apportées au fil du temps, comme des lucarnes mal proportionnées, des murs coupés, des fenêtres remplacées et agrandies à outrance. Il faut corriger ça, remarque-t-il. Il y a des puristes qui font tout à la lettre pour remettre la maison telle qu'elle l'était au moment de sa construction. Moi, j'y vais plutôt dans le respect de l'époque, c'est ça le plus important.»

La dernière maison a par exemple été légèrement agrandie sur l'arrière pour permettre l'installation de magnifiques comptoirs de magasin général, dénichés encore une fois en Beauce.

Une construction neuve aurait coûté beaucoup moins cher, et certainement nécessité moins de travail. «On ne l'a pas fait exprès pour sauver des maisons anciennes du Québec, remarque Nancie Ferron, mais si on a pu le faire, alors on en est fiers.»

«Quand on vit dans une maison vieille de 200 ans et que certaines pièces de bois font 22 pouces de large, on se dit que l'arbre duquel venaient ces pièces a bien dû prendre 200 ans à pousser. Du coup, on fait un retour dans l'histoire de 400 ans, du temps où cet arbre est né, du temps de Champlain, de la naissance du Québec et de l'Amérique. Rebâtir une maison ancienne, c'est peut-être tout simplement comme faire de la généalogie et chercher ses origines.»

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Les maisons sont ancestrales et les meubles sont à l'avenant.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

À l'intérieur de la troisième maison, des murs dépouillés ont été peints en blanc pour alléger l'effet tout bois.