D'abord, elle a lentement poussé dans la tête de son propriétaire. Puis, s'est enracinée dans les terres de Fitch Bay, en Estrie. Cette maison de campagne très personnelle, entre cabane de marin et camp de chasse, a pris tout son temps avant d'éclore. Effeuillage d'un rêve devenu réalité.

Très urbain, attaché à la ville, le propriétaire de cette maison de Fitch Bay n'y avait jamais pensé. Jusqu'à ce qu'il hérite, dans les années 90, de cette cabane de chasseur rudimentaire, sans électricité, ni eau, ni salle de bains. Une demeure qui allait lui faire changer son fusil d'épaule.

Il n'en faudra pas plus pour que le propriétaire prenne goût à ses retraites ponctuelles dans les Cantons-de-l'Est. Tout en gardant un pied-à-terre à Montréal, il s'«arrange» pour que son repaire au fond des bois soit habitable au fil des quatre saisons, même en hiver. Question de s'épargner l'aller-retour au village pour s'approvisionner en eau, il fait creuser un puits à proximité, qui fonctionne à l'aide d'une pompe à main «comme dans l'ancien temps». Il érige également une véranda, qui prolonge la maisonnette et permet d'en doubler la superficie presque six mois par année.

«Je savais que la cabane, c'était en attendant, raconte ce photographe de métier originaire de Magog. En attendant que je me bâtisse une "vraie maison", un projet toujours reporté à l'année suivante... Finalement, ça a pris 10 ans. J'ai eu le temps d'y penser. Ce qui est une bonne chose, au fond. J'ai pu me familiariser avec le terrain. Choisir judicieusement l'emplacement de la maison. Plein soleil, là où est aujourd'hui situé le jardin, ou à l'ombre, entourée de bois. Toutes ces années, ç'a été plutôt bien, finalement.»

En 2000, à l'issue de ce long mûrissement, la maison commence à prendre racine. «Hommage» à la cabane (toujours sur place, mais en pleine cure de rajeunissement à l'heure actuelle), il est décidé qu'une véranda sera le coeur de la nouvelle construction. Après quoi s'arrime l'idée, originale et poétique, d'en aplanir le toit afin de pouvoir y tirer un lit sur roulettes, et ainsi de passer la nuit à la belle étoile, au beau milieu du terrain de 9 acres, en surplomb. «Je voulais que la chambre soit orientée vers l'extérieur. Même à l'intérieur, je voulais qu'on ait le sentiment d'être dehors.»

«Ce sont les deux intuitions de départ. Ensuite, le reste de la maison est apparu, qui est en fait un ramassis de toutes sortes d'éléments qui me plaisent: des fenêtres françaises, un carrelage de briques posées en chevrons, qui rappelle les planchers à l'européenne, une allure contemporaine avec l'espace complètement ouvert, les touches de métal.»

Âme et lames de bois

S'il bricole à ses heures, «par obligation, mû par la satisfaction du travail accompli, le désir d'aboutissement», le propriétaire a fait appel à une équipe de professionnels pour configurer les lieux. Ainsi, la maison porte l'empreinte de deux architectes, qui se sont relayés. Richard Proulx (de Knowlton) a donné le coup d'envoi, avant que Renée D'Amours (de Montréal) ne finalise les plans.

La structure triangulaire de la résidence est librement inspirée des maisons traditionnelles qui jonchent les côtes de la Nouvelle-Angleterre, dites «boîtes à sel» (traduction de saltbox houses). D'aucuns lui trouvent également des affinités avec les habitations typiques du Nord, du Danemark notamment, dans l'épuration de la forme. Le revêtement extérieur est composé de languettes de pin, à la teinte brun chocolat.

«Je rêvais de rénover une vieille maison; je possédais un lot de terre. Je partais de rien. Mon leitmotiv a été de faire en sorte que la maison ne sente pas le neuf, qu'elle ait une âme», explique le propriétaire. Pari réussi? «Un jour, l'entrepreneur est arrivé en compagnie d'un ami. La première réaction de ce dernier a été de me demander ce qu'il y avait ici avant, sans se douter qu'il s'agissait d'une construction récente. Je jubilais. Parfois, il m'arrive aussi de fabuler. Je m'imagine que j'ai retapé une ancienne école de rang, qu'on aurait coupé des deux côtés, niveau mezzanine... Ce qui est impensable! Ce qui est bien avec cette maison, c'est que chacun est libre de lui inventer l'histoire qu'il veut.»

Cinq atouts de charme

1. Les antiquités

«Je suis un passionné de design, mais à un certain moment de ma vie, j'ai perdu l'envie d'investir dans le neuf, raconte le propriétaire. Excepté les fauteuils, la télévision et le système de son, presque tous les meubles sont des antiquités. Et encore! J'hésite à appeler ces vieilleries ramassées au hasard des brocantes des antiquités...»

2. Le plancher

«J'aime le côté vieille maison européenne que le plancher donne à la maison, le côté brut. Et le système de chauffage radiant fait en sorte qu'on y a toujours les pieds bien au chaud.»

3. Les peaux et bois d'animaux

Le décor est essentiellement composé d'éléments organiques: roches, bois, peaux d'animaux, bouts d'os, nids d'oiseaux...

4. La mezzanine

La pièce de résistance de la maison. «Devant mon insistance à vouloir laisser les deux extrémités complètement dégagées, il a fallu se tordre l'esprit pour construire la mezzanine de façon à ce qu'elle soit complètement autonome de la maison.»

5. Le bois peint

«Ici, personne n'a jamais donné un seul coup de pinceau à part moi. Je gardais depuis longtemps une vieille photo d'un Elle Décor, sur laquelle tous les murs de la maison étaient peints en blanc. J'aimais bien le côté marin, dont on trouve un rappel à l'étage, avec les hublots incrustés au mur et dans le plancher comme sur une coque de bateau. J'ai fait le tour des magasins de peinture à la recherche du blanc le plus glacé, afin qu'au soleil, les murs soient comme des miroirs.

Un jardin qui a le champ libre

«Au départ, je n'avais aucun intérêt pour le jardin. Je pensais me contenter de quelques fleurs. J'ai creusé une petite platebande en forme de rein, qui avait l'air complètement ridicule, ainsi dressée au milieu de nulle part. J'ai donc entrepris, en néophyte total, d'habiller un peu plus dignement le terrain. J'ai commencé avec des vivaces, qui ont tout de suite fait leur effet. Il faut dire qu'ici, le contexte est idéal pour la floraison: le sol est bien drainé, élevé en hauteur, direction plein soleil. Je me suis mis à m'enthousiasmer pour les roses; j'en possède maintenant une soixantaine de variétés. L'idée, c'est aussi de laisser la nature reprendre ses droits. Même les carreaux que j'avais dessinés au sol pour me faire un chemin et circuler tendent à disparaître... Je pensais qu'à un moment donné, je m'arrêterais, que le jardin serait terminé. Je réalise qu'il est en perpétuel mouvement, qu'il n'en fait qu'à sa tête. Il fait ce qui lui plaît.»