Toute maison a son histoire. Elle aura été le théâtre de grandes joies. Ou bien de disputes, de drames, d'affrontements ou de quelque affaire troublante. Une mort tragique, peut-être, y a eu lieu.

«En 1982, quand j'ai amorcé ma carrière d'agent immobilier, les gens ne voulaient pas d'une maison où un divorce s'était produit. Ils appréhendaient les mauvaises ondes», se souvient Bernard Desgagnés, courtier immobilier et président de RE/MAX 1er Choix B.D. de Québec.

 

De nos jours, blague-t-il, si le commun des mortels avait la même idée fixe, le marché immobilier n'en mènerait pas large. Il y a beaucoup de maisons qui resteraient sur le carreau.

Quand on est sous le charme d'une propriété située dans un arrondissement historique, dit-il, on veut mordicus en connaître le pedigree. Mais le passé d'une maison commune ne passionne pas grand-monde. À moins qu'elle n'ait été habitée par une personne de renom.

Ce qui nous intéresse au premier plan, c'est son charme, sa valeur intrinsèque, sa qualité de construction, ses déficiences et son environnement.

Parce qu'une démarche d'achat va de soi et qu'elle est fondée sur un grand capital de confiance, on n'interroge pas expressément le vendeur à savoir si des drames conjugaux, des vols par effraction ou des décès y ont eu lieu. L'acheteur prend, avec une sorte d'innocence, le relais. Il n'est pas porté à «se faire des peurs».

Déontologie

Mais si un suicide, un meurtre ou la découverte du corps en décomposition s'est avéré, là, c'est une autre paire de manches. L'aspirant acheteur doit savoir. Car, l'image qu'il s'en fait le remplit souvent de frayeur.

«En vertu du Code de déontologie de l'Organisme d'autorèglementation du courtage immobilier du Québec [OACIQ] - jusqu'à récemment l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec [ACAIQ] - , le courtier a obligation de le lui révéler», continue Bernard Desgagnés. Dans la mesure, cependant, où le vendeur ne le lui ait pas caché lors de la passation du contrat de courtage.

En revanche, le courtier doit, en tout temps, prendre les devants auprès de l'aspirant acheteur qui, lui, n'éprouve pas le besoin de demander si une mort tragique est arrivée. Car il est normal qu'il ne s'imagine pas que pareille chose ait pu se produire.

«Le courtier est tenu d'être proactif, c'est-à-dire de ne pas attendre les questions de l'acheteur», insiste l'OACIQ. Même au risque de perdre sa vente. D'autant, dit l'organisme qui a pour raison d'être la protection du public, qu'il doit, sans exagération, dissimulation ou fausse déclaration, communiquer tout «ce qui peut affecter défavorablement les parties».

Aucun pli

M. Desgagnés est d'avis qu'un courtier qui se garderait de dire pareille information à un aspirant acheteur se mettrait la tête sur le billot. Car si son client est tenu dans l'ignorance, il l'apprendra le fait tôt ou tard de ses voisins. Tandis que ce peut être un motif sérieux de résiliation du contrat, même durant l'occupation des lieux.

«Certaines gens ne supportent pas même l'idée de coucher dans une chambre où une personne serait décédée. Même paisiblement», pense le notaire et planificateur financier successoral de Québec, Jacques Bouffard. Si elles savent, suppute-t-il, elles n'achètent pas. Bien qu'à d'autres, cela ne fait aucun pli.

«Quand on annonce à un acheteur qu'il y eut, dans la maison, mort tragique, il en profite souvent pour négocier une baisse de prix. Ce qui induit, au fond, que le drame passé lui est complètement indifférent. Le rabais, ô miracle! chasse soudainement sa peur», trouve-t-il.

Contresens

En effet, estime la directrice générale de la Chambre immobilière de Québec, Gina Gaudreault, lorsqu'une mort tragique dans la maison qu'on voudrait acheter nous traumatise profondément, on renonce tout simplement à l'achat. Et on se met en quête d'une autre.

C'est un peu comme quelqu'un qui ne voudrait pas d'une propriété parce que située près d'un cimetière, d'une voie ferrée ou d'une ligne de transmission.

«Un cimetière tourmente les uns, mais en laisse d'autres indifférents. Ils diront de ses occupants qu'ils sont des voisins on ne peut plus paisibles», caricature Mme Gaudreault.

Négocier le prix alors qu'on prétend ne pas supporter la proximité d'un cimetière est un contresens. «On prend ou on ne prend pas», résume-t-elle. De même pour un suicide survenu dans une maison qui nous intéresse.

Quant aux personnes si angoissées qu'elles mènent une enquête très poussée pour savoir, dans le détail, ce qui a eu lieu dans la maison afin d'être sûres que rien ne les perturbera, «autant dire qu'elles sont rarissimes», précise Mme Gaudreault. Elle n'en a, dans toute sa vie, ni vues ni connues.