Paris a depuis plus de 80 ans sa «Maison de verre», une excentricité moderne des années folles, à ossature métallique entièrement recouverte de verre, construite dans une arrière-cour du 7e arrondissement et classée Monument historique depuis 27 ans. On peut visiter «le secret lumineux de Paris», comme le qualifiait un article récent du Wall Street Journal, sur rendez-vous... si on est architecte.

À défaut d'être architecte à Paris, on peut avoir accès à Montréal à la nouvelle et éclatante «maison d'acier» de l'architecte Raouf Boutros, construite dans une arrière-cour de l'encombré Plateau Mont-Royal, par le jeune promoteur Mario Di Palma.

Cette nouveauté résolument urbaine a réussi à éviter le piège qui accompagne le design de qualité: le coût excessif. Avec comme résultat que la clientèle de jeunes travailleurs qu'on visait s'y est précipitée, enlevant en quelques jours les 20 appartements mis sur le marché.

Peut-être la maison d'acier sera-t-elle dans quelques dizaines d'années reconnue comme témoin historique du Montréal du début des années 2000?

En attendant, donnez-vous la peine d'entrer...

Ça prenait, réunies, des conditions exceptionnelles: un grand terrain industriel en friche enclavé dans un milieu résidentiel et situé dans un quartier branché; deux jeunes promoteurs résolument urbains et modernes; un architecte inspiré qui connaît ses modernes et qui connaît le patrimoine moderne de sa ville; une administration municipale locale prête à mettre à l'essai une façon nouvelle d'habiter en ville. 

Le résultat est spectaculaire et il semble bien qu'il soit aussi efficace.

En tout cas, c'est une surprise pour l'oeil quand on passe la porte cochère de la rue Henri-Julien, et qu'on arrive tout d'un coup devant cette scène quasi futuriste. Déposé comme dans un écrin, un petit bâtiment ultra léché incarne une nouvelle façon de vivre la ville, conviviale, durable, verte. On lui trouve même un côté poétique avec ses quatre escaliers en colimaçon qui s'évadent vers le ciel à la manière d'un arbre. On a réussi, et ce n'est pas rien, à retisser avec du fil nouveau le vieux tissu d'un quartier centenaire. Et on l'a fait pour une clientèle dont on ne s'occupe pas beaucoup d'habitude.

 

C'était l'un des objectifs principaux de l'architecte Raouf Boutros, dont ce projet au long mûrissement a été traité sous le signe de l'enthousiasme et de la créativité: donner à des jeunes, qui ont encore des revenus modestes, l'accès à des appartements de qualité, dans un quartier recherché.

M. Boutros, qui a déjà manifesté dans d'autres projets son aversion pour la maison-corridor typique de Montréal, a profité d'un emplacement exceptionnel, un grand terrain industriel carré isolé dans une arrière-cour et occupé par des bâtiments désaffectés, pour y installer une déclaration d'architecture contemporaine.

Pour ce projet, on a oublié la cave au profit d'une dalle en béton, et on a rationalisé au maximum l'espace de chaque appartement. Les lignes sont simples, le design épuré: une série de 21 «boîtes» sont empilées l'une par-dessus l'autre en sept colonnes, correspondant aux 20 appartements et à l'espace des services communs qui comprend aussi les espaces de rangement et les trois places de stationnement extérieur. Et le promoteur a dû convaincre le service d'urbanisme de l'arrondissement de l'intérêt que pouvaient présenter des condos qui ont bien tous une porte extérieure... mais pas de porte sur la rue!

L'idée originale vient d'un jeune promoteur, Massimiliano Bracciale, qui a commencé en 1998 par regrouper les terrains occupés par des bâtiments plus ou moins décrépis, où s'entassaient les déchets et que la vermine commençait à fréquenter. C'est lui qui s'est présenté chez Broutos " Pratte avec cette idée de transformer l'arrière-cour en habitat recherché. En cours de projet, il a passé la main à un autre jeune promoteur, Mario Di Palma, qui a mené l'entreprise à terme.

Pour arriver à réaliser cette première montréalaise, il aura fallu convaincre les services d'urbanisme de l'arrondissement qui y ont rapidement trouvé un intérêt certain et qui ont eu recours à un outil d'urbanisme spécifique adapté aux cas qui sont rébarbatifs aux règles normales du plan d'urbanisme. Cet outil peut être assez pointu; dans ce cas-ci, explique Réjean Boisvert, urbaniste à l'arrondissement, il devait atteindre trois objectifs: assurer une bonne qualité de vie aux nouveaux arrivants ainsi qu'aux familles déjà installées en périphérie du futur bâtiment; créer un espace de vie viable; et préserver quelques arbres bien installés sur les lieux, dont un peuplier géant âgé de plus de 80 ans.

Les services municipaux ont aussi exigé que la porte cochère qui donne accès au nouveau bâtiment soit traitée de façon particulière; l'architecte a eu recours à des planches de cèdre brutes qui annoncent le caractère sensiblement végétal du lieu auquel mène le passage. L'arrondissement a aussi imposé au promoteur de rénover le bâtiment des années 60 plutôt banal dans lequel s'ouvre la porte cochère. On l'a fait en accentuant son caractère moderne par l'ajout de garde-corps de verre et de métal. Cet immeuble de cinq appartements en location avec son revêtement de brique blanche relooké est d'ailleurs lui aussi complètement atypique dans ce quartier aux façades de brique brune ou rouge et sert ainsi de caution au nouveau bâtiment.

Et comment se sentent les occupants de ces condos un peu spéciaux?

Tout à fait à l'aise, semble-t-il. Évidemment, il ne faut pas avoir trop à ranger et se limiter pour les meubles, toutes choses qui correspondent par ailleurs aux moyens de la clientèle visée. En contrepartie, on aura des appartements traversants qui facilitent la ventilation naturelle et assurent un ensoleillement important; une place communautaire qui est déjà une introduction à la vie urbaine; et des mensualités hypothécaires plus petites que le loyer qu'ils payaient avant, comme le dit avec un large sourire le propriétaire d'un appartement visité.