À Verdun, les promoteurs du projet Espace Divin transforment un lieu de culte néogothique en appartements contemporains. Pendant ce temps, dans le quartier Centre-Sud de Montréal, un petit groupe d'irréductibles retricotent les liens entre le patrimoine architectural collectif et les besoins communautaires.

À Verdun, les promoteurs du projet Espace Divin transforment un lieu de culte néogothique en appartements contemporains. Pendant ce temps, dans le quartier Centre-Sud de Montréal, un petit groupe d'irréductibles retricotent les liens entre le patrimoine architectural collectif et les besoins communautaires.

 Rue Moffat, arrondissement de Verdun. On rentre chez soi comme dans la paix d'une église. À l'intérieur, des murs anciens soigneusement rejointoyés offrent un heureux contraste, les références patrimoniales se colletant joyeusement à l'esthétique contemporaine. Aires ouvertes et confort d'une part, fenêtres en ogive et autres rappels néogothiques d'autre part.

 Telle est la promesse - le meilleur des deux mondes - faite aux futurs résidants du projet Espace divin: l'église Saint-John-the-Divine convertie en copropriété. Déjà 13 unités ont trouvé preneur, sur un total de 17. Les premiers logements seront livrés en février.

 «Outre l'intégration contemporaine du patrimoine, les gens sont attirés par la qualité de la finition intérieure, fait valoir l'ingénieur François Laurin, promoteur de ce projet avec l'entrepreneur général Collin Niemi. Les planchers seront en jatoba ou en bambou. Nous avons porté un soin particulier à l'insonorisation, de qualité supérieure, notamment entre les logements et les espaces communs.»

Bancs d'église et tuyaux d'orgue

 Le mobilier de l'église servira à la décoration des espaces communs. S'il reste des objets, les copropriétaires pourront en récupérer, certains ayant déjà manifesté leur intérêt pour un panneau de bois ouvré, un tuyau d'orgue, un tronc (la petite boîte de métal pour les offrandes), ou quelque autre objet chargé d'histoire.

 Saint-John-the-Divine a été construite en deux étapes, la première en 1929 et la seconde en 1937. Il manque toujours à l'édifice son clocher, pour lequel la communauté anglicane n'a pas eu les moyens. (L'emplacement du clocher manquant deviendra une des terrasses du troisième.) L'église a été cédée à des pentecôtistes en 1996. Ces derniers l'ont vendue à leur tour en 2004, après en avoir prélevé les vitraux! En janvier 2007, enfin, Espace Divin s'en est porté acquéreur.

 «Nous conservons 80 % de la maçonnerie originelle, explique Luc Gélinas, l'architecte concepteur. À l'intérieur de cette enveloppe de brique, nous construisons une ossature indépendante, de bois et d'acier, sur les dalles de béton déjà existantes.»

 Le plus grand défi, estiment l'architecte et les promoteurs, a été de réaménager l'espace en 17 unités tout en conservant des repères spatiaux propres à l'église de départ. Un exemple: «Sur les étages deux et trois, un corridor central reçoit la lumière des trois grandes fenêtres de la façade. La qualité lumineuse renseigne instantanément le résidant sur sa localisation dans le volume du bâtiment originel.»

L'enceinte, d'environ deux pieds d'épaisseur, sera isolée par l'intérieur d'uréthane giclé, isolation modérée (R-15) afin de tempérer les écarts de température et d'humidité, sources de délabrement.

 La toiture, entièrement neuve, sera isolée de l'extérieur, laissant à nu la charpente du plafond au troisième étage. Les cinq unités du rez-de-chaussée ont deux étages, le premier un peu sous le niveau du sol, et bénéficient d'un espace jardin privé. Les logements du deuxième ont de grands balcons, avec vue sur le centre-ville ou sur le fleuve. Au troisième, la moitié des six logements ont des grandes terrasses et quatre ont une mezzanine. Neuf des dix-huit stationnements seront intérieurs.

 Des lieux saints métamorphosés

 «L'un des plus beaux clochers de la ville!», dit-on de Sainte-Brigide-de-Kildare, jolie église à l'angle du boulevard René-Lévesque et de la rue Alexandre-de-Sève. Pas à pas, de rapport en étude, ce site patrimonial du centre-sud est en passe de se métamorphoser en complexe d'habitation et de locaux communautaires.

 Déjà, un petit groupe de paroissiens et acteurs du milieu planchent sur un programme architectural en trois phases, qui comprend une centaine de logements destinés aux personnes seules, aux artistes et aux familles, logements flanqués de locaux communautaires et, qui sait, éventuellement d'équipements culturels ou sportifs.

 À défaut de pouvoir maintenir l'intégrité de ce patrimoine, estiment-ils, autant le mettre en valeur en lui conservant sa mission sociale, sa vocation d'ouverture à tous.

 Dès lundi, le groupe s'attend à voir son offre d'achat acceptée par le diocèse de Montréal, condition préalable à un financement pour la première phase, de 8,5 millions (sur un total de 20 millions).

Le nouveau complexe présentera toujours la façade centenaire et son fier clocher, de même que le long pan nord, lit-on dans l'étude de faisabilité effectuée par le Groupe CDH et ConverCité, pour la Corporation du Centre communautaire Sainte-Brigide. Le pignon sera déplacé et la rosace réemployée. Sur le stationnement actuel derrière le presbytère, un immeuble abritera des espaces communautaires au rez-de-chaussée et des habitations coopératives sur les étages. Des maisons familiales longeront la rue Champlain. Dans la deuxième phase du projet, on prévoit la démolition partielle de la nef, la construction d'autres logements et l'aménagement d'une cour intérieure. Un espace demeurera pour la pratique religieuse, moindre mais toujours vivante, en ces lieux.

 3000 églises, toutes menacées de fermeture

 On compte 3000 églises au Québec, sans compter les couvents et les monastères. «Au mieux, dans 10 ans, il n'en restera que quelques centaines», estime l'historien d'architecture Luc Noppen, qui a pris en charge l'évaluation patrimoniale de Sainte-Brigide. Souvent fort bien situées, il est normal que les promoteurs s'y intéressent, ajoute ce professeur à l'UQAM, d'autant plus qu'ils comportent des droits acquis d'occuper l'espace en hauteur. «Dans l'économie mondiale actuelle, on ne peut pas laisser des lieux aussi vastes utilisés si peu de temps par si peu de personnes.»

 Cependant, l'affection qu'on a pour nos églises pèse aussi dans la balance. «Les gens voient l'église comme une présence, poursuit le professeur, une mémoire collective. On dit: "Je demeure deux rues passée l'église." Ceux qui ont de la peine ou de la misère viennent s'y recueillir. Les besoins spirituels demeurent. Il faut trouver une fonction qui permette de rentabiliser le lieu tout en conservant sa valeur symbolique.»

 Comme l'utilisation de matériaux anciens exige une main-d'oeuvre dispendieuse, l'intérêt d'un promoteur consiste à faire table rase et à construire à neuf, densément. De ce point de vue, la valeur d'une église revient au prix de son terrain, diminué des coûts de démolition et de décontamination. Cependant, l'église est perçue par les citoyens comme un bien collectif. «Les paroisses et les fabriques ont été exemptées de taxes foncières, rappelle le professeur. Quand 95% des gens vont à l'église, c'est normal. Mais si 4% seulement fréquentent l'église, pourquoi faire payer les 96%de gens qui n'y vont pas? Il faut inventer.»

 

Photo André Tremblay, La Presse

Cet arc gothique au-dessus du lavabo a été laissé à nu, une particularité d'un seul des logements, au rez-de-chaussée.