Le 6 janvier 1998, une violente tempête de glace s’abat sur le Québec. La moitié de la population du Québec est touchée et le réseau d’Hydro-Québec est fortement endommagé. Il faudra des semaines avant que le courant ne soit rétabli sur tout le territoire. La commission Nicolet, chargée d’analyser l’événement, recommandera notamment l’enfouissement des fils électriques. Dix ans plus tard, où en est la société d’État dans la mise en terre de son réseau?

Le 6 janvier 1998, une violente tempête de glace s’abat sur le Québec. La moitié de la population du Québec est touchée et le réseau d’Hydro-Québec est fortement endommagé. Il faudra des semaines avant que le courant ne soit rétabli sur tout le territoire. La commission Nicolet, chargée d’analyser l’événement, recommandera notamment l’enfouissement des fils électriques. Dix ans plus tard, où en est la société d’État dans la mise en terre de son réseau?

 En réaction au rapport Nicolet, Hydro-Québec a mis sur pied, à partir de 2000, des programmes qui couvrent trois volets différents : deux pour financer l’enfouissement de réseaux existants, un autre pour encourager le réseautage souterrain dans les nouveaux développements. De 2000 à 2007, environ 24 km ont été enfouis dans le contexte du programme d’enfouissement des réseaux pour les sites d’intérêt patrimonial, culturel et touristique, pour un investissement de 60 millions $.

Ce programme a été modifié en 2006 pour inclure d’autres partenaires, tels Bell Canada et Vidéotron. Des investissements d’environ 16 millions $ sont à venir d’ici 2009. Un autre programme, qui vise l’embellissement des municipalités, a permis d’enterrer 11,2 km, pour 10 millions $. Hydro-Québec défraie alors 30 % des coûts et la municipalité se charge du reste. «Le principal frein à l’enfouissement d’un réseau électrique, ce sont les coûts encourus», note Mme Côté. Selon les données d’Hydro-Québec, un kilomètre de réseau aérien coûte entre 100 000 $ et 200 000 $. Enfouir un kilomètre de réseau aérien existant représente une facture de 800 000 $ à 1,6 million $. Il faut en plus doubler cette somme pour inclure les frais associés au retrait du réseau antérieur, à l’asphaltage et à la remise en état de la rue.

Le nombre de kilomètres enfouis paraît décevant. Et on ne se console pas quand on se compare. Selon des données publiées par Le Devoir en 2006, seulement 9 % du réseau de distribution électrique du Québec est enfoui. Un taux qui grimpe à 31% aux États-Unis, alors qu’il atteint 70 % en Allemagne.

Mais Mme Côté indique tout de même que les suggestions de la commission Nicolet n’ont pas été ignorées. «Ce que Nicolet recommandait, c’était de boucler le réseau, de le renforcer, et de l’enfouir», dit-elle. La société d’État a privilégié le bouclage et le renforcement. Le bouclage permet au réseau d’avoir plusieurs façons d’être alimenté. S’il y a un pépin sur une ligne, l’électricité peut passer par un autre circuit. Le renforcement consiste à créer des réseaux plus robustes, notamment en plantant des poteaux plus creux dans le sol ou en augmentant la charge de glace que peuvent supporter les fils.

Par ailleurs, Hydro-Québec a un volet pour encourager les promoteurs à construire des développements résidentiels sans fils. C’est peut-être là où la progression est la plus intéressante. En 2000, environ 11 % des clients qui acquéraient une maison neuve optaient pour un réseau souterrain. La proportion a grimpé à un acheteur sur quatre en 2006.

Il faut dire que les coûts associés à l’enfouissement des fils dans des quartiers neufs ont diminué depuis les dernières années grâce à deux innovations. Le Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines (CERIU) a collaboré à ces améliorations, avec plusieurs autres partenaires, dont Hydro-Québec. «Nous constituons une forme de table de concertation. Ça permet à des entreprises comme Bell et Vidéotron, même s’ils sont des compétiteurs, de s’asseoir à la même table dans le but de trouver des solutions à des problématiques qui nous concernent tous, et qui, en même temps leur permettent d’aller chercher une économie de coûts», explique le directeur technique du CERIU, Joseph Jovenel Henry.

Ainsi, plutôt que chaque partenaire enfouisse ses propres câbles (électricité, gaz, télécommunications) un après l’autre, en payant pour excaver chaque fois, tous s’installent en même temps, dans la même tranchée. Et au lieu que leurs fils respectifs soient hébergés dans des boîtes distinctes sur le terrain des clients, tous sont réunis dans la même borne de distribution. La borne, développée et commercialisée par Structures MCM, sert aussi de lampadaire. Selon les données recueillies par un projet pilote à Boischatel en 2003, ces nouvelles façons de faire ont permis de faire diminuer les coûts de 30 %.

Des villes forcent la main aux promoteurs

 Si les quartiers sans fils apparents gagnent tranquillement du terrain, c’est notamment parce que certaines municipalités, comme Boischatel et Québec, forcent la main aux promoteurs.

En matière d’enfouissement, Boischatel fait figure de chef de file. Depuis cinq ans, 8 nouvelles maisons sur 10 qui s’y construisent ont un réseau souterrain. Au total, c’est 15 % du territoire qui a dit adieu aux encombrants câbles. Et comme elle est en plein essor, la municipalité n’a pas de difficultés à faire respecter ses demandes. Elle met par ailleurs ces jours-ci la touche finale à un chantier sur l’avenue Royale pour enfouir les fils sur un kilomètre de route, dans le but de valoriser son patrimoine.

À Québec, un règlement adopté en février dernier détermine les zones où les promoteurs doivent obligatoirement installer un réseau sans fils. C’est le cas notamment dans Lebourgneuf et dans la Pointe-Sainte-Foy, ainsi que dans les quartiers historiques, comme le Vieux-Québec ou le Trait-Carré, où des travaux d’enfouissement viennent justement de se terminer.

Certaines zones avaient déjà été délimitées par les anciennes villes, mais Québec en a profité pour harmoniser le règlement et évaluer la situation sur tout son territoire. Quelques villes au Québec ont des politiques d’enfouissement pour leurs nouveaux quartiers, notamment Longueuil et Lorraine.

L’esthétisme est souvent au premier plan lorsque vient le temps d’opter pour un réseau souterrain. «Dès qu’on a une vue, un boisé, on y va vraiment avec l’enfouissement», indique le directeur général de Boischatel, Carl Michaud. Cette option permet par ailleurs de préserver les arbres. «Au départ, les promoteurs n’étaient pas nécessairement enclins. C’est un obstacle à la construction de laisser beaucoup d’arbres. Au départ, ça a obligé le promoteur à investir plus», se rappelle M. Michaud. Mais maintenant, ce sont eux qui insistent pour préserver les arbres, remarque-t-il. «Ils savent que ça a une valeur monétaire.»

Les acheteurs sont en effet prêts à payer plus cher pour des terrains sans fils et avec des arbres matures. Ils font de plus un gain d’espace. Le porte-parole de la Ville de Québec, François Moisan, indique aussi que l’enfouissement entraîne l’augmentation de la valeur foncière.

L’enfouissement d’un réseau existant coûte cher, très cher. Les travaux sur l’avenue Royale ont nécessité la rondelette somme de 8,2 millions $, dont 3 millions $ directement pour l’enfouissement. En soustrayant les différentes subventions, la municipalité a tout de même dû payer 2 millions $.

Le réseau souterrain entraîne de plus des coûts supplémentaires d’entretien pour les municipalités. Le Guide en matière de distribution souterraine, rédigé entre autres par Hydro-Québec et l’Union des municipalités du Québec, indique que «l’existence des réseaux câblés souterrains complexifie l’exploitation et l’entretien des services techniques municipaux (aqueduc, égout, éclairage), car l’espace souterrain est alors partagé». Les protocoles de sécurité plus compliqués doivent être respectés pour toute réparation.

Mais pour M. Michaud, ces investissements valent le coup. «Notre but est d’encourager encore plus de visiteurs à venir nous voir.» Et les inconvénients au moment de réparer ne pèsent pas lourd dans la balance, notamment parce que le souterrain résout les problèmes de bris liés à la glace, au gel et au vent, ajoute M. Michaud. «On préfère creuser quand on a des bris (de conduites) que d’être pris à réparer parce que les poteaux ou les fils sont surchargés de glace», fait-il valoir. La Ville de Québec considère aussi que l’enfouissement est un moyen de sécuriser le réseau. Selon Hydro-Québec, plus de 40 % des pannes d’électricité sont causées par la chute de branches ou d’arbres situés à proximité des lignes aériennes de distribution.

«La crise du verglas, tous nous avons ça en mémoire. On voit bien qu’enfouir les fils, ça donne un avantage majeur par rapport aux intempéries», renchérit Joseph Jovenel Henry, directeur technique au Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines (CERIU).

Mais selon Flavie Côté, porte-parole d’Hydro-Québec, les avantages du souterrain par rapport à l’aérien ne sont pas si évidents. Elle explique que les réseaux aérien et souterrain peuvent être alimentés par «la même source». Ainsi, si le verglas détruit cette ligne de distribution, les deux réseaux peuvent être touchés de la même façon. Par contre, s’il se peut que les infrastructures aériennes soient endommagées par les intempéries, celles qui sont souterraines sont bien à l’abri. Mais lorsqu’il y a un bris dans un réseau enfoui, il faut souvent plus de temps pour trouver et régler le problème, fait valoir Mme Côté. Lorsqu’il s’agit d’un réseau aérien, les dépisteurs localisent plus rapidement les failles et les fils à réparer sont plus accessibles.



 

Photothèque Le Soleil

Dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, les travaux d'enfouissement des fils électriques ont été abandonnés car ils sont très dispendieux.