À la fin des années 50 et dans les années 60, d'immenses chantiers ont bouleversé le centre-ville de Montréal. De grands complexes immobiliers comme la Place Ville Marie, la Place des Arts et la Maison de Radio-Canada ont été bâtis. Les autoroutes Ville-Marie et Bonaventure ont aussi été construites pour faciliter la circulation automobile, en pleine croissance. Or, ces grands travaux, portés par le vent de modernisation qui soufflait sur la ville, ont entraîné la disparition de quartiers entiers, qui ont été rasés.

Sans ménagement, les propriétaires de milliers d'immeubles vétustes, souvent insalubres, ont été expropriés et les occupants ont été froidement expulsés, rappelle le livre Quartiers disparus. Conçu par le Centre d'histoire de Montréal en collaboration avec le Laboratoire d'histoire et de patrimoine de Montréal de l'UQAM et les Archives de la Ville de Montréal, l'ouvrage fait suite à l'exposition du même nom. Il se penche sur trois des quartiers décimés entre 1957 et 1964: le Red Light, le Faubourg à m'lasse et Goose Village.

Ceux-ci revivent grâce aux photos d'archives et aux témoignages livrés par d'anciens résidants, qui font découvrir sans artifice des conditions de vie loin d'être enviables. La pauvreté saute aux yeux, mais la chaleur des liens établis avec les voisins et le sentiment d'appartenance à la communauté sont aussi mis en lumière.

Les photos ont été prises pour la plupart par des photographes de la Ville de Montréal, qui devaient documenter la colossale opération d'expropriation et de destruction qui allait métamorphoser la métropole. Sur les clichés en noir et blanc, les numéros placés bien en évidence, qui font référence aux propriétés, rappellent constamment que celles-ci sont appelées à disparaître. Or, ces photos sans prétention permettent aussi de découvrir le quotidien ordinaire des hommes, des femmes et des enfants (très nombreux) qui y habitaient.

Réalisé sous la direction de Catherine Charlebois, historienne et muséologue, ainsi que de Paul-André Linteau, historien et professeur à l'UQAM, le livre nous transporte plus de 50 ans en arrière dans des milieux où le tiers des habitations ne comportait pas de baignoire et où le chauffage était assuré par des poêles qui cessaient de fonctionner en pleine nuit quand le bois ou le charbon avait fini de brûler.

Rappelant que plus de 27 000 logements anciens, considérés comme des taudis, ont été démolis entre 1957 et 1974 dans l'indifférence quasi générale, l'ouvrage, saisissant, donne aussi beaucoup à réfléchir. Il force à se demander comment répondre, à l'avenir, aux besoins de développement et de mise à jour des structures, tout en respectant les résidants et le patrimoine.

Quartiers disparus, sous la direction de Catherine Charlebois et Paul-André Linteau, éd. Cardinal, 312 p., 29,95$. En librairie.