Votre déménageur vous appelle par votre prénom? Le parfum de la peinture fraîche vous est aussi familier que celui du pain grillé? Vous ne redoutez jamais un 1er juillet mais vos amis, eux, fuient tous vos appels dans les semaines précédentes? Vous êtes peut-être atteint du virus de la déménagite aiguë, mais n'ayez crainte, vous n'êtes pas seul. Rencontre avec des «déménageurs en série» à la veille de la fête nationale du déménagement au Québec.

«Combien de fois avez-vous déménagé au cours des dernières années?» La question était facile, mais Miguel Tremblay a dû y réfléchir longuement avant de répondre. Et encore, il a dû rappeler pour corriger le tir initial. Il faut dire qu'il y de quoi perdre le décompte: sept changements d'adresse en deux ans, neuf en cinq ans. «C'est une belle moyenne au bâton», juge-t-il.

Oui. Mais il y a encore mieux - ou pire selon le point de vue.

À 24 ans, Charlotte Laurent a déjà mis sa vie en boîte plus d'une vingtaine de fois, dont une douzaine en trois ans seulement!

Marie-Ève Landry, elle, a déjà enchaîné une trentaine de déménagements étalés sur presque autant d'années, avec ou sans ses parents, seule, puis avec des enfants.

Pas de doute, le déménagement est loin d'être un événement «exceptionnel» pour tous. Si peu d'études existent à ce jour sur les déménageurs fréquents, volontaires ou involontaires, ceux-ci ne sont sans doute pas des cas aussi rares qu'on pourrait le penser. Les Américains leur ont même déjà trouvé un surnom: les serial movers.

«C'est un phénomène très, très, très nouveau, observe Diane Pacom, professeure au département de sociologie à l'Université d'Ottawa. Dans l'histoire, les gens ne déménageaient pas. Les enfants reprenaient la maison de leurs parents dans laquelle ils avaient grandi, la maison faisait partie de la famille. Maintenant, on ne ressent plus d'appartenance à la terre, à un village ou à une ville.»

On vit davantage dans l'éphémère. Les objets ne sont plus faits pour durer, les appartements ne sont plus choisis pour la vie: on se débarrasse plus facilement des uns comme des autres pour trouver mieux.

«Je ne m'attache jamais à un logement ou à une maison. J'adore déménager, opine Charlotte Laurent. Cela permet de faire le point sur sa vie.» Elle n'occupe son loft du centre-ville de Montréal que depuis neuf mois - presque un record personnel de longévité des dernières années! - et elle en est très satisfaite. Mais elle ne peut s'empêcher de lorgner ailleurs. Un condo avec une terrasse, par exemple...

«C'est un beau défi à se donner, d'essayer de se sentir chez soi n'importe où. Cela donne une grande impression de liberté», ajoute Marie-Ève Landry. Elle a été atteinte du virus très jeune - «mes parents avaient la bougeotte, j'ai changé 14 fois d'école, mais cela ne me pesait pas», dit-elle. Et, contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'arrivée de ses deux enfants ne l'a pas assagie pour autant: sept déplacements en autant d'années après la naissance du premier. «Je pensais toujours pouvoir trouver plus beau, mieux situé, plus grand...»

Contagieux

Bien sûr, tout le monde ne devient pas déménageur en série par choix: ruptures et unions amoureuses, changement de travail ou d'école, naissance d'enfants, la liste des raisons est longue et il faudrait même y ajouter un certain effet de mode. «Quand on a 25 ou 30 ans et que nos copains déménagent à tour de bras, ça peut paraître un peu "looser" de rester ancré dans le même coin», dit Diane Pacom.

Et dans la contrainte, la situation peut vite devenir infernale.

«J'haïs déménager maintenant, confie Ana Gray Richardson (13 logements différents depuis 2000). Cela devient de plus en plus pénible, même si je deviens chaque fois meilleure. Les déménageurs, les changements d'adresse, ça finit par coûter cher.»

«Au moins, en restant si peu longtemps au même endroit, je n'ai pas le temps de prendre de faux plis...», se console Miguel Tremblay, qui n'a pas pris la peine de défaire toutes ses boîtes entre ses deux déménagements séparés d'à peine quelques mois. «Je sors et je range au fur et à mesure certains objets dans leur boîte.»

Mais la palme du meilleur avantage tiré de ce nomadisme moderne revient à Émilie Bernier: l'efficacité et la rapidité - et les muscles - acquises au gré de ses nombreuses expériences personnelles lui ont permis d'en faire... son métier! La jeune femme est déménageuse à vélo depuis l'an dernier.