«C'est une des questions les plus embêtantes qui soient, lance François Brodeur, copropriétaire de Bois Franc Rive-Sud, qui fabrique, entre autres, des escaliers. Un escalier dépouillé, c'est très en demande. Je perds parfois des clients en refusant de construire ce qu'ils veulent.»

M. Brodeur doit répondre devant la loi de la sécurité de l'escalier qu'il installe. Il s'aligne donc sur les normes du Code de la construction du Québec: moins de 100 mm de distance entre les barrotins (le diamètre d'une tête d'enfant), entre 800 et 965 mm de hauteur pour la main courante, pas d'incitation à l'escalade (saillies, trous, barreaux horizontaux), etc.

Une exception: les escaliers en colimaçon, dont les garde-corps ont des tiges horizontales très espacées. «On ne laisse jamais un jeune enfant seul dans un tel environnement, alors les normes de sécurité y sont moins strictes», explique Jean-Pierre Bigras, chargé de projet au Centre d'inspection et d'expertise en bâtiment du Québec.

Tendance dégringolade

M. Bigras observe que les gros entrepreneurs se conforment au Code - engagement de responsabilité oblige -, mais que certains petits constructeurs, designers ou architectes se permettent plus de liberté.

«Je suis toujours ébahi, dans les salons de l'habitation, par les escaliers non conformes, mais tout à fait tendance, des maisons modèles, confie M. Bigras. Les acheteurs peuvent se dire: «Il n'y a pas de danger, nous sommes des adultes.» Mais il suffirait d'un seul visiteur, enfant ou personne âgée, pour que l'accident survienne. Une seule personne devenue paraplégique, c'est une de trop.»

Assurances

Est-ce qu'un escalier sans balustrade, ou avec un garde-fou non conforme, peut justifier une défection de l'assureur, en cas d'accident? «Non, répond Julie Bellemare, du Bureau d'assurance du Canada. L'assureur paiera, du moment que le propriétaire a une assurance habitation, donc une couverture responsabilité civile.»

À savoir: la responsabilité civile s'applique aux visiteurs, mais pas au conjoint de l'assuré ni aux membres de la famille qui vivent sous son toit.

«En cas d'accident, la première préoccupation de la compagnie d'assurance est de déterminer, par une enquête, s'il y a eu négligence de la part de l'assuré», explique Alexandre Royer, chez Intact Assurance. Plusieurs issues sont possibles: il y a eu négligence du propriétaire, il n'y a pas eu négligence, ou encore il y a eu négligence partagée. «Dans tous les cas, le rôle de l'assureur est de soutenir son client», soutient M. Royer.

S'il y a eu négligence de la part du propriétaire, l'assureur assumera les indemnités prévues en fonction des dommages subis par l'accidenté.

«Si, au contraire, l'enquête conclut que le propriétaire ne porte aucune responsabilité dans l'accident, nous considérons que nous n'avons pas d'indemnité à payer à l'accidenté», soutient Alexandre Royer.

La victime a alors le recours de poursuivre en justice le constructeur, l'installateur de l'escalier ou le propriétaire. «S'il poursuit notre client, nous nous occuperons de sa défense», reprend M. Royer. Et si l'enquête démontre une responsabilité partagée, par exemple entre un propriétaire, un entrepreneur et un architecte, qui auraient sciemment choisi un escalier moins sûr et plus esthétique? «En défendant notre client, nous essaierons de démontrer la part de responsabilité de chacun», conclut le communicateur d'Intact Assurance.

Fait à noter, un garde-corps non conforme ne signifie pas nécessairement une négligence du propriétaire, fait observer Alexandre Royer, chez Intact Assurance. «L'assuré ne savait peut-être pas que son escalier ne respectait pas les normes, s'étant fié aux professionnels de la construction.»