Après l'inscription à l'université, la première préoccupation de l'étudiant est souvent de trouver à se loger. Or, si peu d'étudiants ont les moyens d'acheter une propriété, ils forment une clientèle qui attire son lot d'investisseurs, grands et petits...

Entre colocation, chambre et condo

En 2016, au moment d'entreprendre ses études universitaires, Alex Apostolidis a envisagé trois options: rester à Toronto près de sa famille, aller à Vancouver ou venir à Montréal. Les deux premiers choix étaient bien au-dessus de ses moyens, assure-t-elle. Elle a donc choisi Montréal.

«Je n'aurais jamais pu demeurer en appartement à Toronto ou à Vancouver. Les loyers coûtent beaucoup trop cher. Et il n'y a pas que le logement: une carte de transports en commun pour étudiant coûte 129 $ à Toronto, alors qu'ici, c'est 51 $», illustre la jeune femme.

Alex est donc arrivée à Montréal à 17 ans pour étudier les beaux-arts à Concordia. Elle s'est mise en colocation avec une connaissance, puisque c'est ce qui s'avérait le plus économique, estime-t-elle. Deux ans plus tard, elle en est à son quatrième appartement en colocation. «Ce n'est pas facile de trouver des colocs avec qui ça marche bien. À un moment donné, je vivais avec cinq autres personnes, quatre chats, un serpent et mon petit oiseau! C'était juste impossible», lance-t-elle en rigolant.

Le 1er juillet dernier, Alex a emménagé avec deux autres colocs dans un appartement de trois chambres, près de la rue Prince-Arthur, dans le Plateau. Il y avait un gros ménage à faire, mais elle considère qu'à 1200 $ par mois, c'est une super affaire pour ce quartier très demandé. «Il n'y en a pas d'autres à ce prix», assure-t-elle.

Alex se débrouille seule, sans l'aide financière de ses parents, bien que ceux-ci puissent aider à payer «des factures» à l'occasion, dit-elle. Depuis janvier, elle travaille à HOJO Concordia (Housing and Jobs), un service qui offre de l'information et de l'aide aux étudiants en matière de logements, mais aussi de travail. Cela lui permet de boucler ses fins de mois. Son logement, avant les charges, lui coûte 410 $ par mois.

La chambre en résidence

Si la colocation reste une avenue fort populaire, il arrive souvent que les nouveaux étudiants, surtout ceux qui connaissent peu la ville ou le pays, préfèrent s'installer dans une résidence étudiante. On en trouve sur pratiquement tous les campus universitaires. Maintenant, on voit aussi des résidences étudiantes privées, comme celles d'EVO, apparues en 2014. Propriétés d'intérêts étrangers, celles-ci sont établies dans ce qui était auparavant deux hôtels: le Holiday Inn, rue Sherbrooke Ouest (actuellement fermé pour rénovations), et le Delta, dans le Vieux-Montréal.

EVO, c'est la formule que Thomas Gendre a choisie, en mars dernier, en quittant la France pour venir étudier la création musicale à Montréal. Même s'il avait déjà fait un séjour au Québec auparavant, il ne voulait pas commencer à chercher un logement, acheter des meubles... Pour 775 $ par mois, il a eu une chambre en occupation double chez EVO. Charges comprises, avec accès aux autres services dans l'immeuble, comme la piscine, le gymnase, la salle d'études, la cuisine commune... La formule EVO lui a plu, même s'il a décidé de céder son bail pour aller vivre en colocation.

«C'est bien situé, et on rencontre des gens de partout.»

«On a une clientèle qui vient de partout, confirme Conchi Fombuena, directrice d'EVO. On se spécialise dans les étudiants internationaux, mais on en a aussi d'ailleurs au Québec et au Canada. On gère nos inventaires, on accommode également des travailleurs qui viennent pour des contrats.»

Les prix chez EVO dépendent de différents facteurs, comme la période de l'année, la durée du bail, l'emplacement, la grandeur de la chambre, l'occupation double ou simple...

Le condo

À l'autre bout du spectre du logement étudiant, on trouve le condo, qui est bien sûr réservé aux plus fortunés. Loué ou acheté (le plus souvent par les parents), il logera le rejeton pendant ses études et pourra être revendu par la suite, avec possibilité d'empocher un bénéfice.

«Quand les enfants sont admis à l'université, les parents savent que c'est un minimum de trois à cinq ans. Les taux hypothécaires sont intéressants, le marché continue d'augmenter, alors ils achètent au lieu de louer», explique Béatrice Baudinet, courtière immobilière chez Royal LePage Héritage.

Mme Baudinet souligne en avoir beaucoup vendu dans le Quartier des spectacles. «C'est un coin qui est le fun, proche de trois universités, explique-t-elle. Les nouvelles constructions dans le coin des rues Bishop et Mackay se vendent extrêmement vite aussi, à cause de l'emplacement, la proximité des universités et des transports en commun. Il y a beaucoup d'étrangers qui achètent.» Elle a constaté que les étudiants étrangers aiment se regrouper entre eux - c'est le cas notamment des Chinois, nombreux dans les universités anglophones.

Ce qui est recherché habituellement pour les étudiants, ce sont les studios, et les appartements d'une chambre à coucher.

«Ça permet aux parents d'avoir un pied à terre pour eux.»

«Des fois, ils prennent des deux chambres, mais souvent, dans ces cas-là, l'étudiant devra trouver un coloc», explique Mme Baudinet.

Les acheteurs ne sont pas seulement étrangers, assure la courtière. «C'est un mélange des deux, dit-elle. Même si les parents habitent près de Montréal, ils veulent que leurs enfants soient proches de l'université.»

Complexe étudiant à venir

Difficile de parler de logements étudiants sans s'entretenir avec Laurent Lévesque, fondateur et coordonnateur général de l'Unité de travail pour l'implantation de logement étudiant (UTILE). Lancé il y a cinq ans, cet organisme à but non lucratif s'emploie à développer le logement étudiant en formule coopérative. Parce que les options décrites précédemment ne conviennent qu'à une partie de la population étudiante, estime M. Lévesque. Et aussi parce que la colocation étudiante accapare les grands logements dans les quartiers centraux, au détriment des familles. On parle ici du Plateau-Mont-Royal, de Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce et de Ville-Marie. M. Lévesque indique qu'il y a une saturation complète de grands logements dans ces arrondissements où se concentrent les étudiants, même si le taux d'inoccupation global à Montréal est actuellement «correct». Les étudiants ont un avantage sur les familles, car ils se regroupent pour partager les frais de logement, résume le jeune urbaniste. «Les loyers des grands logements augmentent plus vite que la moyenne, et le taux d'inoccupation est de zéro dans ces arrondissements», dit-il.

C'est une des raisons qui a incité l'UTILE, en partenariat avec l'association étudiante de Concordia, à mettre sur pied un projet de construction de logements étudiants, qui comprendra de grands appartements. Le projet, évalué à 17 millions, sera érigé sur l'avenue Papineau, en face du parc La Fontaine. Outre l'association des étudiants de Concordia qui y injecte 1,8 million par l'entremise d'un fonds d'investissement, le projet implique plusieurs autres partenaires financiers, dont la Ville de Montréal et la Fiducie du chantier de l'économie sociale. Le projet comprend 90 logements, allant du studio aux appartements de une à quatre chambres. Le coût devrait revenir à environ 470 $ par chambre, ou 400 $ par chambre pour un grand logement en colocation.

«On se base beaucoup sur les modèles européens de parcs de logements étudiants à but non lucratif.»

Une étude réalisée dans le milieu universitaire et publiée l'an dernier par l'UTILE a aussi fourni des données éclairantes pour le projet.

«Les baux seront de 12 mois, indique M. Lévesque, car ça s'arrime à la très forte majorité de la demande. Les résidences, universitaires ou privées, font des baux plus courts, huit mois par exemple, mais ce n'est pas du tout le même produit immobilier. On a vu des gens [locateurs] essayer d'entrer dans le logement étudiant et qui en sont sortis. La formule court terme demande une autre approche pour l'été, par exemple faire de la résidence touristique. Pour les petits propriétaires, ça peut être très difficile.»

Par ailleurs, la Fiducie du Chantier de l'économie sociale a annoncé hier la création du Fonds d'Investissement pour Logement étudiant (FILE). La mesure vise à encourager les initiatives en logement étudiant. Ce fonds doté d'une capitalisation de dix millions de dollars offrira des conditions avantageuses pour la construction de 300 logements neufs à prix abordables, pour l'ensemble du Québec. Les autres partenaires de ce fonds sont le Fonds immobilier de solidarité FTQ, Fondaction et la Fondation de la Famille McConnell.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Une salle d'étude dans la résidence EVO du Vieux-Montréal.

De bons locataires

Pour les propriétaires, les étudiants sont en général de bons clients. Mais encore faut-il savoir répondre à leurs besoins particuliers, expliquent trois observateurs du marché.

Martin Messier, président de l'Association des propriétaires du Québec

«Les étudiants sont une bonne clientèle pour les propriétaires. Les immeubles près des universités se louent très rapidement, et normalement à bon prix. Les étudiants cherchent la proximité. En s'éloignant, il faut qu'ils soient prêts à payer en temps ce qu'ils ne paient pas en argent. Souvent, ils vont préférer louer un grand logement à plusieurs, pour 1500 $ par mois mais plus près, plutôt que d'être tout seul pour moins cher, plus loin. La capacité d'interagir avec des collègues entre aussi en ligne de compte.»

En ce qui concerne le paiement du loyer, M. Messier indique que les parents sont souvent appelés à cautionner pour leurs enfants.

Conseil aux proprios qui veulent louer aux étudiants: «Si mon logement est dans le coin de McGill et Concordia, je vais m'assurer que mon annonce sera diffusée aussi en anglais, et ailleurs qu'au Québec, par exemple aux États-Unis. Les étudiants étrangers sont très nombreux dans les universités anglophones. Je vais m'assurer d'inscrire sur l'annonce le temps à pied, et le temps en transports en commun si le logement est un peu plus loin. En transports en commun, le marché s'élargit.»

Dolores Otero, directrice du centre de services d'accueil et de soutien du centre socio-économique de l'UQAM

«Ici, à l'UQAM, nous avons plus de 3000 étudiants étrangers. Bien souvent, ce sont des jeunes au début de la vingtaine, qui partent pour la première fois de chez leurs parents. On fait des webinaires pour leur expliquer comment ça fonctionne pour se loger. Il y en a qui viennent d'avance avec leurs parents pour s'installer, mais il y en a qui arrivent avec leurs valises dans le bureau, en se disant: maintenant qu'est-ce que je fais? Les résidences universitaires partent vite. Nos étudiants étrangers aiment aussi beaucoup la colocation. Pour ce qui est des secteurs recherchés, tous les Français veulent aller dans le Plateau, mais on leur dit qu'ils vont payer très cher. On leur mentionne qu'en s'éloignant un peu, mais en étant près d'un métro, c'est moins dispendieux. On a une banque de logements, on publie des annonces, le roulement est bon, on ne reste pas longtemps avec des offres.»

Bernard Deschamps, président de Gestion Innobel, propriétaire et gestionnaire d'appartements, notamment près de l'Université de Montréal

«On a trois propriétés sur Édouard-Montpetit. Je ne dirais pas que les étudiants sont la clientèle particulièrement recherchée, mais on annonce et, par défaut, on a beaucoup d'étudiants, surtout dans deux des trois propriétés. C'est une bonne clientèle. On a une forte proportion d'étudiants étrangers. Ils n'ont pas forcément d'expérience de crédit au Canada, mais on a le système de paiement autorisé dans leur compte. La clientèle étudiante est aussi facile que n'importe laquelle. Ma devise c'est: les bons propriétaires attirent les bons locataires.»

D'où viennent les étudiants étrangers?

La Chine est le pays qui envoie le plus d'étudiants au Canada. Ils comptent pour 28 % des étudiants internationaux. L'Inde est au deuxième rang, avec 25%; 4 % des étudiants internationaux sont originaires de France et 3 % viennent des États-Unis.

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Sources: Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et Bureau canadien de l'éducation internationale

Photo André Pichette, archives La Presse