Aucun doute, la propriété unifamiliale est reine dans le Bas-Saint-Laurent, sur la Côte-Nord, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en Abitibi-Témiscamingue et en Gaspésie. Néanmoins, au cours de la dernière décennie, les copropriétés ont séduit des centaines, voire des milliers d'acheteurs dans ces régions. Tour d'horizon.

Un marché en évolution

La Gaspésie ne comptait que 30 copropriétés sur son territoire en 2017, mais d'autres régions comme le Bas-Saint-Laurent et le Saguenay-Lac-Saint-Jean en avaient respectivement 1513 et 2558, selon la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ). Deux experts locaux expliquent l'intérêt récent pour les condos.

Le 12 février dernier, parmi les quelque 1600 propriétés en vente au Saguenay-Lac-Saint-Jean, 188 étaient des copropriétés. Ces dernières ont fait leur apparition discrètement dans les années 90, avant de devenir plus présentes entre 2005 et 2012, principalement à Chicoutimi et Jonquière, selon le courtier immobilier Marc Dubois. «Durant ces années, il n'y avait pas une grosse différence entre le prix des logements construits durant les années 80 ou 90 et les mensualités d'un condo neuf. Ça a séduit plusieurs personnes seules ou en couple, de jeunes acheteurs ou des baby-boomers à la retraite.»

En 2017, 65 copropriétés ont été vendues dans le Bas-Saint-Laurent, dont près des deux tiers à Rimouski, une ville où les condos ont connu un élan de popularité entre 2008 et 2010. Un phénomène qui s'explique entre autres par le taux d'inoccupation des propriétés extrêmement faible à l'époque. «La situation a eu pour effet de rendre les loyers très dispendieux, souligne le courtier David Boulianne. En parallèle, la municipalité a prévu la construction de plusieurs immeubles à copropriétés dans son plan d'urbanisme. Ça devenait donc plus intéressant d'habiter dans un immeuble récent ou neuf en tant que propriétaire.»

M. Boulianne observe que les copropriétés attirent les premiers acheteurs qui ne recherchent pas de grandes surfaces habitables, de jeunes retraités qui ne veulent plus faire l'entretien de leurs propriétés, ainsi que des étudiants qui fréquentent l'Université du Québec à Rimouski ou l'Institut maritime du Québec. «Plusieurs jeunes font un investissement immobilier pendant leurs études, dit-il. Cela nous permet de garder le produit des institutions d'enseignement à même Rimouski.»

Cela dit, les deux courtiers confirment que les maisons unifamiliales demeurent la préférence de la majorité des acheteurs, et de loin. Le désir d'espace et d'intimité a encore un attrait important. «Les gens vont même refuser d'acheter un jumelé, car la proximité avec les voisins est hors de question pour eux, affirme Marc Dubois. Les condos ne sont pas pour eux.»

Profiter de l'espace

Selon David Boulianne, les gens des régions passent plus de temps de qualité dans leur propriété que ceux des grands centres. «Comme ils sont souvent moins sollicités par de longues heures de déplacement pour accéder au travail, à leurs loisirs et aux différents services, ils ont généralement plus de temps pour bénéficier de leur propriété, et indirectement pour entretenir leur maison et leur terrain.» Marc Dubois ajoute que grand nombre de ses clients ont besoin d'espace pour entreposer du matériel de plein air: motoneige, VTT, chaloupe, autocaravane, etc.

Le courtier du Saguenay-Lac-Saint-Jean a aussi le sentiment que les copropriétés sont incomprises par plusieurs personnes dans sa région. «Il y a une méconnaissance sur les règles des condos qui fait croire aux gens que leurs habitudes de vie leur seront dictées par leurs voisins, sans compter leurs craintes sur le manque d'intimité, explique-t-il. Quand ils rentrent dans nos bureaux pour s'informer au sujet des copropriétés, ils sont terriblement inquiets sur ces points. Mais on prend le temps de les rassurer et on voit une ouverture.»

Ils choisissent les condos

En ville ou à la campagne, les habitants des régions excentrées du Québec vivent principalement dans des maisons unifamiliales, des jumelés ou en appartement. Si bien que ceux qui préfèrent acheter un condo surprennent parfois leur entourage. Quatre propriétaires nous expliquent leurs préférences.

Alma

Après avoir vécu seul dans un condo pratiquement neuf, Gimmy Desbiens a rencontré sa conjointe. Lorsque cette dernière est tombée enceinte, le couple a décidé de louer la copropriété et d'acheter une maison, avec piscine creusée et garage. Pourtant, moins de deux ans plus tard, il a tout vendu pour retourner dans le condo. «On ne voulait plus tenir maison, gérer la piscine et s'occuper du terrain», explique M. Desbiens. Le prix a également pesé dans la balance. «Si on refait la toiture d'une maison, ça coûte entre 5000 $ et 10 000 $, alors que dans un immeuble à condos, on partage les coûts, et les frais mensuels couvrent le tout. On est aussi passés d'un compte de taxes d'environ 4000 $ pour notre maison à moins de 2000 $ pour le condo.»

Les amoureux ont compris qu'ils voulaient un pied-à-terre pour manger et dormir. Pourtant, le choix de condos à Alma est très limité, selon Gimmy Desbiens. «Dans les années 2011 à 2015, quelques investisseurs ont voulu suivre la mode de Québec et Montréal, mais les gens n'étaient pas prêts à ce mode de vie là.» L'entourage du couple a d'ailleurs été en grande partie surpris de le voir retourner en condo. «Pour plusieurs, ça n'avait pas de bon sens! Ils se disent qu'on reste à deux pieds des voisins et qu'ils vont entendre tout ce qu'on fait. Pour moi, ce n'est tellement pas grave. Mais j'ai rarement vu des couples comme nous chercher un condo. C'est marginal.»

Rimouski

Quand ils ont acheté leur condo à Rimouski en 2011, Jerry Castonguay et sa conjointe faisaient leurs premiers pas dans l'immobilier. «C'était un beau moyen pour être propriétaires et connaître nos limites sur ce qu'on est capables de faire, dit M. Castonguay. On aimait l'absence de responsabilités pour le déneigement, le terrain et le magasinage des assurances pour le bâtiment. Et c'était pas mal plus abordable qu'une maison!»

Dans une ville où le taux d'inoccupation des logements a souvent frôlé le 0 %, le prix des appartements est très élevé depuis des années. «On payait 850 $ par mois pour louer un 4 1/2 dont la superficie était semblable à celle de notre condo, dont l'hypothèque nous coûtait 975 $ par mois. On aurait été niaiseux de ne pas faire le saut!»

En réponse à la crise de l'habitation, plusieurs immeubles de copropriétés ont été construits à Rimouski. Si bien que ce produit immobilier est de plus en plus familier aux habitants du secteur. «Quand on cherchait notre condo, c'était méconnu. En région, c'est beaucoup plus naturel de chercher une maison unifamiliale. Mais quand on expliquait nos motivations, tout le monde comprenait, et les gens s'y connaissent de plus en plus aujourd'hui.»

Après quelques années, le couple s'est cependant rendu compte qu'il préférait vivre dans une maison. «On a compris qu'on n'aime pas avoir de voisins et prendre des décisions avec eux. Je viens d'un village où tout le monde a sa maison, son intimité, et j'ai besoin de ça. On vend présentement pour aller plus près de la nature. Comme prévu, nos années en condo nous ont permis d'apprendre ce qui nous convenait.»

Photomontage La Presse

Alma

Amos

Denise Fortin et son conjoint, tous deux retraités, ont fait un choix peu commun en Abitibi: vendre leur maison pour acheter une copropriété. Un choix motivé par un désir de paix d'esprit. «Amos est une ville tranquille, mais on se sent plus en sécurité dans un immeuble où tout est verrouillé. Et à 76 ans, on ne veut plus travailler autant pour entretenir la maison, les fleurs et le terrain.»

Ayant eu l'habitude de déménager fréquemment au cours des dernières décennies, le couple n'a pas eu de mal à s'adapter à sa nouvelle demeure. Même si celle-ci est plus petite. «On a quand même un espace de 1200 pi2, avec deux chambres et deux salles de bains complètes, situées sur le même étage. La transition a été facile pour nous deux.»

Cela dit, mettre la main sur un condo à Amos n'a rien de simple. «Le bâtiment l'Acropole est l'un des seuls immeubles avec des condos que l'on peut acheter en ville. En plus, nous tenions absolument à avoir un ascenseur et un garage chauffé, alors le choix était limité. Aussitôt qu'une unité s'est libérée, on a sauté sur l'occasion!» Depuis octobre 2016, le couple partage son temps entre le condo abitibien et la Floride.

Saguenay

Après huit ans à Québec, Bruno Charest est revenu au Saguenay en suivant sa copine de l'époque. Lors de leur rupture, il s'est retrouvé sans logis à 30 ans, seul et célibataire. La copropriété lui est donc apparue comme un choix logique. «Mon condo était moins dispendieux qu'une maison. Je me voyais mal m'occuper de tout dans une grande maison. Et j'aurais trouvé l'espace trop grand pour moi.»

En 2013, il a donc acheté un condo en plein coeur de l'arrondissement de Chicoutimi. «L'emplacement a motivé mon choix. Comme je suis musicien depuis des années, le fait d'avoir une copropriété au centre-ville me permet d'être à proximité du milieu culturel et d'être dans l'action.»

Des centaines de condos ont été construits au Saguenay depuis 10 ans, particulièrement à Chicoutimi et Jonquière. L'achat du musicien n'a donc pas étonné les siens. «Plusieurs personnes de mon entourage vivent en condo. Il s'en construit de plus en plus, et ça se vend très bien.»

Il juge toujours son achat comme un investissement intelligent, mais ses besoins changeront peut-être dans l'avenir, lui qui est en couple depuis quatre ans. «Il y aurait de la place en masse pour avoir un enfant dans le condo. C'est encore ce que je préfère. Mais je ne cacherais pas que je regarde les maisons... Un jour, je vais peut-être avoir besoin de plus grand.»

Photomontage La Presse

Amos