Les acheteurs de maisons sur le bord de l'eau, surtout depuis les inondations qui ont fait des milliers de sinistrés, devraient-ils y réfléchir à deux fois avant de réaliser leur rêve de pouvoir se mettre les deux pieds au bout du quai?

Les hauts et les bas des bords de l'eau

La nature aura beau se déchaîner et provoquer des inondations historiques, il y aura toujours d'irréductibles acheteurs pour une maison sur le bord de l'eau.

«Les beaux bords de l'eau, constate Carl Hudon, courtier immobilier Re/Max du Haut-Richelieu, ça va continuer de se vendre, même s'il y a des risques que l'eau monte tous les printemps et que ça inonde la cave en ciment.»

«Les acheteurs sont conscients de cette réalité-là et ils font avec», ajoute-t-il.

Carl Hudon connaît ce type de propriété. Il y a six ans, il était aux premières loges lors des inondations à Saint-Jean-sur-Richelieu qui ont endommagé, et parfois même détruit, des maisons qui étaient situées à proximité, et même à bonne distance, de la rivière Richelieu.

Le marché de la revente en a souffert, concède-t-il. «Bien sûr qu'au début, cela a refroidi les acheteurs qui regardaient du côté de Saint-Jean-sur-Richelieu, se souvient-il. Il y avait eu tellement de reportages sur la ville et ses sinistrés.»

«Les acheteurs croyaient que toute la ville avait été frappée par les inondations, ce qui était loin d'être la réalité», évoque-t-il après coup.

Du rattrapage

Le courtier estime que le marché s'est «replacé», mais il ne cache pas qu'il y a «encore un peu de rattrapage à faire» pour retrouver les prix d'avant le printemps 2011. Fait singulier, ce sont les maisons sur le bord de l'eau, «celles qui ont la plus belle vue», qui ont le mieux fait sur le marché de la revente. Par contre, les maisons situées un peu plus en retrait - et qui avaient néanmoins été inondées - se vendent moins rapidement, et avec des prix revus à la baisse.

Des transactions annulées?

Chose certaine, le courtier du Haut-Richelieu ne peut s'empêcher de faire des parallèles entre les événements qui ont marqué la population de Saint-Jean-sur-Richelieu et ceux de mai 2017, qui touchent plusieurs régions du Québec.

Il ne serait pas étonné de voir des transactions annulées, ou reportées de quelques mois, en raison de l'exceptionnelle crue des eaux printanière.

«Si la maison est inhabitable en raison des dommages causés par les inondations, oui, ça peut faire tomber une vente même si c'est inscrit "vendu" sur la pancarte.»

Dans un tel contexte, il est à prévoir que les propriétaires qui ont vendu leur maison au cours des derniers mois, et qui s'apprêtaient à tout finaliser devant le notaire, devront revoir leurs plans.

«Ça crée beaucoup d'incertitude pour les transactions immobilières qui ont été conclues, admet-il. Il faut tenir compte de cette nouvelle problématique.»

Il rappelle à ce sujet une des clauses du contrat d'achat qui stipule que «la maison qui a été vendue doit être remise à l'acheteur dans l'état dans lequel elle se trouvait au moment de l'acquisition».

Pendant ce temps, à Rigaud

De son côté, le courtier Steffen Servay s'attend à ce que les acheteurs se montrent «encore plus sélectifs» dans le choix d'une propriété située proche d'un cours d'eau, et qu'ils laisseront moins de marge de négociation au vendeur.

«Ça va laisser des traces, c'est certain, dit le courtier du Groupe Sutton. Comme on l'a vu à Saint-Jean-sur-Richelieu. Tout le Québec parle des inondations.»

«Les vendeurs devront se faire rassurants envers les acheteurs potentiels. Il se peut qu'ils se fassent demander des documents, et même des photos, attestant que leur maison n'a jamais été endommagée par l'eau.»

En même temps, relève le courtier, ces maisons qui ont un lac ou une rivière dans leur cour, mais qui n'auront pas été inondées, vont trouver plus facilement preneur.

À preuve: il y a deux semaines, au plus fort des inondations, le courtier immobilier était d'ailleurs en train de rédiger une promesse d'achat pour une maison située justement sur le bord du lac des Deux-Montagnes.

«L'offre a été acceptée, se réjouit-il. Il ne restait plus qu'à faire l'inspection. L'acheteur était pleinement conscient de ce qu'il faisait. Il y avait beaucoup d'eau sur le terrain, mais la maison était au sec.»

Comme quoi, à en juger par ses propos, il ne faut pas mettre toutes les propriétés au bord de l'eau dans la même baignoire.

«Il y a des maisons qui posent problème, dit-il, mais il y en a d'autres qui sont à bonne hauteur par rapport au niveau de l'eau et qui demeurent de bons investissements.»

PHOTO Catherine Legault, AGENCE FRANCE-PRESSE

La pancarte à vendre de cette maison située à Pierrefonds baigne dans l'eau, le 8 mai.

Vendre les deux pieds dans l'eau

Ginette Lafleur, 70 ans, a mis en vente sa propriété de Saint-André-d'Argenteuil quelques jours avant que l'eau ne se mette à monter sur son terrain. Résultat: sa cave en ciment a été inondée.

«Je crois bien que ce n'était pas le bon timing!», dit-elle avec humour.

Sa maison n'est pas située dans une zone inondable, tient-elle à préciser.

«Il est arrivé qu'il y ait de l'eau dans la cave, précise la retraitée, mais jamais rien de sérieux.»

«Quand on habite près d'un cours d'eau, on s'assure qu'il n'y a pas d'objets de valeur dans la cave. On a les équipements nécessaires pour évacuer l'eau et pour parer à toute éventualité.»

Elle a acheté sa maison en 2002. Sa compagnie d'assurance l'avait informée, au moment de l'acquisition, qu'elle ne couvrait pas les dommages matériels causés par les inondations.

«J'ai acheté à mes risques et périls, convient-elle. Je savais bien que ma maison se trouvait à proximité de la rivière des Outaouais.»

Philosophe, Ginette Lafleur refuse de s'en faire outre mesure. «Tant qu'on a la santé!», tient-elle à préciser.

Elle a toutefois la «chance» d'habiter une maison bien au sec à Pierrefonds, qu'elle a acquise récemment, tout en espérant vendre celle de Saint-André-d'Argenteuil.

Et la vente de sa maison? À quoi peut-elle s'attendre? Les acheteurs risquent-ils de se montrer plus frileux?

«Ça ne m'inquiète pas outre mesure, soulève-t-elle. Ceux qui vont faire une offre d'achat sérieuse connaissent le secteur. Vous savez, c'est exceptionnel, ce qui vient de se produire. On n'avait jamais vu ça!»

Son courtier, Stéphane Campeau, convient que «les demandes de visites ont été annulées» pour des raisons faciles à justifier à sa cliente.

«C'est simple, dit le courtier Re/Max à Lachute, on ne pouvait faire autrement parce que la maison [située dans la petite île Barataria] était entourée d'eau!»

Des inscriptions «positives»

Chose certaine, les vendeurs de maisons «avec un beau point de vue sur l'eau» sont inquiets. L'un d'eux a même téléphoné à son courtier (Steffen Servay), la semaine dernière, pour lui demander de modifier son inscription et d'ajouter «non inondable» sur sa fiche.

«Je vais planter une pancarte sur un arbre, devant chez moi, pour écrire qu'elle n'est pas en zone inondable!», a même proposé Jeff Beare, propriétaire de la maison à vendre à Rigaud.

«Ma maison a été épargnée et il n'y aura jamais d'inondation chez nous, insiste-t-il. C'est important que les acheteurs le sachent!»

Le message est passé.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Et maintenant, on fait quoi?

Financer l'acquisition et trouver un assureur pour une propriété au bord de l'eau qui a été inondée, et qui est à risque de l'être de nouveau, pourraient devenir «très difficiles» à l'avenir, appréhende le courtier immobilier Steffen Servay.

«Je m'attends à ce que les institutions prêteuses [les banques, les caisses populaires] se montrent extrêmement sévères», fait-il valoir.

«Il faut aussi se demander si l'acheteur pourra trouver un assureur prêt à prendre ce risque», ajoute-t-il.

Le courtier, qui possède lui-même une maison au bord de l'eau depuis 18 ans, se demande même si les propriétés à vendre qui ont été fortement inondées vont trouver preneur, et là encore, si les acheteurs qui vont se pointer pour faire une offre «pourront obtenir un prêt hypothécaire».

«La question sera de savoir si les banques vont vouloir consentir un prêt sur une maison qui a été lourdement endommagée à la suite de la crue des eaux, et qui pourrait l'être de nouveau», tente-t-il de mesurer. Il s'interroge en outre sur «l'assurabilité» de ces propriétés sinistrées.

Se faire... rassurer

Dans un tel cas, comment fera-t-on pour trouver un assureur qui sera le moindrement réceptif? Le «fardeau de la preuve» reposera-t-il uniquement sur l'acheteur qui voudra se faire assurer... et rassurer?

Difficile d'obtenir des réponses claires et précises à ce sujet.

«Il faut prendre le temps de poser les bonnes questions lorsqu'on est à la recherche d'un assureur pour sa maison», répond simplement Christopher Johnson, premier vice-président au Regroupement des cabinets de courtage.

«Il faut prendre tout le temps qu'il faut pour s'informer. On n'assure pas sa maison en 10 minutes! Ça peut valoir la peine de payer 15 $ de plus par mois pour une couverture supplémentaire qui va couvrir des dommages qui vont atteindre 100 000 $.»

Il convient toutefois que «très peu de compagnies d'assurances» offrent la protection contre les inondations.

Le Bureau d'assurance du Canada l'a confirmé dans les jours suivant les inondations. «La plupart des propriétaires résidentiels n'ont pas l'avenant [la protection] en cas de sinistres causés par l'eau», a dit Pierre Babinsky, directeur des communications du Bureau.

Il confirme toutefois que depuis la mi-mars, un petit nombre d'assureurs, dont Desjardins, offrent une telle protection dans les zones à faible et moyen risque.

Une carte interactive

Comment déterminer si une propriété sur le marché de la revente est située en zone inondable?

Le site web du ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques contient une carte interactive montrant les cartes et les rapports réalisés par le gouvernement relativement aux zones inondables.

Un acheteur avisé devrait aussi s'informer auprès de sa municipalité afin de s'assurer de la délimitation des zones inondables incluses au schéma d'aménagement et de développement ainsi qu'à la réglementation municipale.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Financer l'acquisition et trouver un assureur pour une propriété au bord de l'eau qui a été inondée, et qui est à risque de l'être de nouveau, peut être compliqué.