Les courtiers immobiliers sont aux premières loges de la détresse des travailleurs licenciés, quand ceux-ci doivent vendre leur maison. Dans les régions où l'industrie des ressources naturelles dicte l'offre et la demande, les spécialistes de l'immobilier doivent souvent ramener leurs clients à la réalité. Témoignages.

Gaspésie

André Lambert, de Via Capitale

En 1999, la fermeture du moulin de pâtes et papiers d'Abitibi Consolidated, véritable coeur économique de Chandler, a coûté près de 600 emplois. De son côté, le moratoire sur la morue a entraîné la mise à pied de plus de 400 travailleurs de l'usine de transformation de filets de morue de Newport.

Ces chocs sur le marché de l'emploi ont causé un exode de la population et une modulation du marché immobilier. «Il y a trop de maisons à vendre désormais, souligne le courtier. Je vends 20 % de ce qui est sur le marché. Certaines propriétés ne sont pas visitées du tout. D'autres prennent jusqu'à deux ans pour être vendues.»

En plus d'observer des délais de vente qui s'allongent, André Lambert voit les prix changer.

«Pour une maison qui vaut 149 000 $, les acheteurs vont offrir de 25 000 à 30 000 $ de moins.»

Une situation qu'il essaie d'expliquer à ses clients avec délicatesse. «Certains vendeurs ont élaboré leur plan de retraite en fonction de la vente de leur maison, pour acheter un petit condo ou aller en appartement, mais leur évaluation est trop haute. J'essaie de leur expliquer en y allant mollo, mais il faut péter leur rêve. S'ils n'ajustent pas leur prix, ils ne vendront pas.»

Certains abdiquent et restent dans leur maison. D'autres vendent au rabais. «Mais ça fait mal au coeur. Ils ont l'impression de donner leur maison.» Avec le vieillissement de la population et le départ en résidence pour aînés de plusieurs propriétaires, le nombre de propriétés sur le marché ne cesse d'augmenter. «On va être sur une lancée avec trop de maisons pour longtemps.»

Rouyn-Noranda

Mario Chouinard, de RE/MAX

Quand les employés de la fonderie Horn ont fait la grève entre juin 2002 et juin 2003, le courtier a vu le marché changer. «Comme les revenus de grève étaient inférieurs aux salaires, les gens vivaient de l'insécurité et ils se plaçaient en mode restriction, dit-il. Et il ne faut pas oublier que la grève touchait énormément de fournisseurs de la mine. En fin de compte, il y avait moins de demandes d'achat et plusieurs personnes ont essayé de vendre leur maison pendant la grève.»

Aux alentours de 2011, le boom minier a eu l'effet inverse. «Quand le prix de l'or frisait les 2000 $ la livre, il y avait énormément d'emplois très bien rémunérés. Les gens dépensaient plus, entre autres pour acheter des maisons. À Rouyn-Noranda, on avait une pénurie de propriétés et on assistait fréquemment à des offres multiples sur la même demeure.»

Actuellement, le secteur minier est au ralenti. La Chambre immobilière de Rouyn-Noranda a dénombré 7 % moins de transactions entre juillet 2015 et juillet 2016. Mais Mario Chouinard croit que la baisse est surtout marquée du côté des propriétés de 300 000 $ et plus.

«L'insécurité du marché minier joue sur la confiance des acheteurs. Ils font un peu plus attention et plusieurs d'entre eux changent de catégorie de maisons.»

«Du côté des maisons de 180 000 à 250 000 $, ça bouge pas mal», ajoute-t-il.

Le courtier explique aussi que les municipalités à proximité des mines ne sont pas nécessairement celles qui voient leur marché immobilier chamboulé par les aléas de l'économie des ressources naturelles. «Plusieurs travailleurs préfèrent vivre dans les pôles comme Rouyn-Noranda et Val-d'Or, et voyager jusqu'au travail. Par exemple, même si Cadillac est au coeur de l'action minière, la municipalité attire surtout les gens qui sont nés là et qui reviennent. Peu de gens achètent des maisons pour s'y installer.»

Saguenay

Leo Waltzing, de SIS Maison 

Près de 800 emplois ont été perdus lors de la fermeture de l'usine de pâtes et papiers d'Abitibi Consolidated à La Baie et environ 400 lorsque Cascades a fermé son usine de carton à Jonquière. Ce ne sont là que deux exemples des durs coups portés à l'économie régionale et au marché immobilier. «Avant, on avait besoin de 30 à 60 jours pour vendre une maison, se souvient M. Waltzing. Et maintenant, ça prend entre 120 et 160 jours!» 

«Les gens sont découragés d'acheter. Plusieurs choisissent de quitter la région, car ils n'ont pas de travail et ils veulent s'en sortir.»

Il ajoute que la construction d'un trop grand nombre de condos et d'appartements à Chicoutimi et à Jonquière influence aussi beaucoup le marché, déjà saturé par la crise de l'industrie forestière des dernières années. «On est officiellement dans un marché où les acheteurs se permettent de proposer un prix au vendeur en sachant que si leur offre est refusée, il y aura toujours quelqu'un d'autre de mal pris, obligé de vendre, qui va accepter.» 

Les ventes émotives sont légion au Saguenay-Lac-Saint-Jean. «Souvent, les gens ont payé leur maison plus cher qu'ils peuvent la revendre... Je ne connais personne qui est prêt à ça. Dans certains cas, les vendeurs doivent même prendre un prêt personnel pour finaliser la transaction et payer les différents frais. Ce n'est pas évident.»

Courtier depuis 30 ans, Leo Waltzing note également une augmentation des reprises bancaires. «Il y en a beaucoup plus depuis environ trois ans. Environ 15 % de plus qu'avant!»

PHOTO ROCKET LAVOIE, ARCHIVES LE QUOTIDIEN

À Saguenay, la crise de l'industrie forestière et la construction de nombreux condos et appartements ont saturé le marché immobilier. «Souvent, les gens ont payé leur maison plus cher qu'ils peuvent la revendre...», raconte le courtier Leo Waltzing.