«J'ai la tour Eiffel dans ma fenêtre, que demander de plus!» s'exclame Claude Saint-Pierre, en regardant à travers la vitre de son salon. Où ça, la tour Eiffel?

Nous sommes pourtant bel et bien à Montréal, et non à Paris. Mélangé, le monsieur? Pas vraiment, c'est qu'il est tellement emballé par sa nouvelle propriété et les vues qu'elle lui offre sur la structure métallique du pont Jacques-Cartier qu'il embellit, légèrement, le tableau.

Qui est M. Saint-Pierre? Il s'agit de l'un des «braves» acheteurs du Sept + Un, un projet immobilier de huit maisons de ville qui s'élèvent presque littéralement sous le tablier du pont Jacques-Cartier, au coin nord-ouest du boulevard René-Lévesque et de l'avenue De Lorimier. Un lieu qui peut sembler complètement inhospitalier aux yeux de la majorité, mais qui a séduit des acheteurs audacieux, parmi lesquels on compte des familles et une grand-maman.

Selon son promoteur, l'architecte Jocelyn Duff, les maisons de ville, qui se trouvent en fait à au moins 16 pieds du pont, se sont toutes vendues, sur plan, en 10 jours. «J'ai acquis ce terrain résiduel à très bon prix, ce qui m'a permis de vendre mes maisons de ville, un type de propriété très en demande à Montréal, pour moins de 300 000$, garage compris. À ce prix, les acheteurs font évidemment le compromis de vivre dans un environnement de moindre qualité», raconte-t-il, en me faisant visiter le projet dont il ne reste que la finition intérieure à terminer.

Sur place, l'important trafic crée un immense tintamarre. Dans la cour arrière, la vue donne sur des piliers du pont et des terrains boueux où se garent ici et là des camions. Bref, c'est loin d'être le paradis. Pourtant, en levant les yeux, un autre portrait se dessine. Certaines unités possèdent des percées visuelles sur le fleuve et des vues panoramiques sur l'est de Montréal. De biais, on trouve l'ancienne prison des Patriotes, un bâtiment patrimonial qui enjolive le secteur, et l'emplacement des maisons est stratégique. D'ici, nous ne sommes qu'à deux minutes à pied de la rue Sainte-Catherine et du métro Papineau. Autrement dit: nous sommes au coeur de l'action.

Une solution au bruit

«Les gens me croient un peu fou d'avoir acheté ici, soutient M. Saint-Pierre, qui se déplace uniquement à vélo, et pourtant, dans des villes comme New York et Chicago, plein de gens habitent aux abords des ponts et ça ne préoccupe personne.» Pour résoudre le problème de bruit intense, ce célibataire a déjà sa solution: la climatisation. Tous les acheteurs l'ont fait installer.

Ce projet inusité a également séduit une grand-maman. Carmen Souto déménagera en septembre dans sa nouvelle maison de ville, avec sa fille et son petit-fils de 2 ans et demi, trois générations sous le même toit. Pour elle, les inconvénients de vivre sous le pont n'existent tout simplement pas. «C'est un excellent investissement. Je suis sûre que dans quelques années, ça va se vendre 400 000$ et plus», dit cette résidante du quartier Hochelaga depuis 25 ans.

En ce qui concerne la faune bigarrée du quartier Sainte-Marie, les deux acheteurs que La Presse a interviewés ne s'en formalisent pas. Ce sont des Montréalais qui adorent la diversité de la ville. C'est d'ailleurs pour cette raison que, pour eux, vaut mieux vivre sous un pont... qu'outre-pont. «Il se dit beaucoup de choses sur ce quartier, mais pourtant, il n'y a eu aucun acte de vandalisme pendant la construction, alors que sur le Plateau, c'est incontournable», souligne M. Duff.

Spécialiste des terrains résiduels

L'entreprise de M. Duff, Construction Continuum, se spécialise dans la réinsertion d'habitations sur des parcelles de terrain difficiles à aménager. Parmi ses faits d'armes, notons la construction en 2002 de maisons de ville dans une ruelle malfamée, qui était autrefois une piquerie à ciel ouvert, près des entrées du pont Jacques-Cartier, à proximité du parc des Faubourgs.

Quelques années plus tard, grâce à l'apport des propriétaires, la ruelle s'est métamorphosée en milieu de vie convivial, avec des jardinières suspendues aux poteaux d'Hydro-Québec. Le même phénomène de revitalisation pourrait donc se reproduire sous le pont Jacques-Cartier, d'autant plus qu'il existe, dans le quartier Sainte-Marie, un énorme potentiel de croissance. Face au Sept + Un, un immense terrain vague attend les propositions des promoteurs.

À un jet de pierre de là, rue Laforce, dans le quadrilatère formé par les rues Sainte-Catherine, Parthenais, le boulevard De Maisonneuve et l'avenue De Lorimier, un nouveau complexe de 235 unités, Le Lumen, devrait voir le jour au cours des prochains mois. La revitalisation du quartier Sainte-Marie semble être sur la bonne voie.