Depuis le début des années 2000, les hypothèques à risque ont permis aux Américains d'acheter des maisons qu'ils n'avaient pas les moyens de s'offrir. Aujourd'hui, ces propriétaires sont étranglés par la remontée des taux d'intérêt et la baisse du marché immobilier. Au Canada, le marché des hypothèques à risque est en croissance. De nouveaux prêteurs s'installent. Ils proposent des produits audacieux... et les consommateurs en redemandent.

Depuis le début des années 2000, les hypothèques à risque ont permis aux Américains d'acheter des maisons qu'ils n'avaient pas les moyens de s'offrir. Aujourd'hui, ces propriétaires sont étranglés par la remontée des taux d'intérêt et la baisse du marché immobilier. Au Canada, le marché des hypothèques à risque est en croissance. De nouveaux prêteurs s'installent. Ils proposent des produits audacieux... et les consommateurs en redemandent.

 Les hypothèques à risque existent bel et bien au Canada. Ne partons pas en peur: le marché canadien est beaucoup plus restreint que chez nos voisins, où les hypothèques à risque (subprime) sont présentement l'épicentre d'une débâcle financière mondiale.

 Là-bas, les hypothèques à risque représentaient 22% des nouveaux prêts en 2006, par rapport à seulement 5% au Canada. Cela fait dire à la Banque du Canada que le marché des hypothèques à risque n'en est qu'à ses balbutiements.

 Il n'en demeure pas moins que le marché des hypothèques à risque, qu'on appelle aussi prêts non traditionnels ou prêts B, se développe rapidement au Canada, constate Lorraine Trudeau, directrice du centre de prêts chez le courtier hypothécaire Multi-Prêts.

 Depuis cinq ans, de nombreux prêteurs, dont plusieurs filiales de sociétés étrangères, ont défriché ce créneau au Canada. On pense à la Corporation hypothécaire Xceed, FirstLine Mortgages, Financement hypothécaire HSBC, Wells Fargo, GE Money, Citi Financière

 Plus audacieux, ces prêteurs disent «oui» aux emprunteurs qui se sont fait répondre «non» par les grandes banques.

 Les prêteurs à risque visent les travailleurs qui peuvent difficilement donner des preuves de leurs revenus, les immigrants récents qui n'ont pas un très long historique de crédit, les emprunteurs qui ont déjà fait faillite, qui sont déjà endettés jusqu'aux oreilles ou qui sont souvent en retard dans leurs paiements

 «Avant, ces clients s'en allaient la tête entre les pattes. Maintenant, il y a des prêteurs alternatifs qui sont capables de composer avec un risque supplémentaire, moyennant des taux d'intérêt de 2 à 6% plus élevés», dit Sylvain Boucher, président de la firme de courtage hypothécaire Nov Imm. Les hypothèques B représentent la moitié de son volume d'affaires, par rapport à seulement 5% il y a cinq ans.

 Des hypothèques exotiques

 Au rayon des hypothèques exotiques, les Canadiens n'ont presque rien à envier à leurs voisins. «Les conditions sont très, très, très flexibles», affirme Mme Trudeau.

 Aux États-Unis, certains prêteurs à risque finançaient jusqu'à 125% de la valeur de la maison. Au Canada, non. Mais certains prêteurs financent jusqu'à 104% de la valeur de la maison si on considère les frais d'ouverture de dossier qui s'ajoutent au montant du prêt, et même jusqu'à 108% si on additionne la remise en argent que les acheteurs empochent à la signature de l'hypothèque, rapporte Mme Trudeau.

 Aussi, les prêteurs américains ont beaucoup attiré les acheteurs avec des taux d'intérêt promotionnels pour une période de deux ans. Les faibles mensualités encourageaient les acheteurs à se permettre une maison au-dessus de leurs moyens. Mais l'illusion était de courte durée. Par la suite, le taux d'intérêt grimpait environ 3% au dessus du taux offert aux bons clients, étranglant du coup les propriétaires. D'ailleurs, c'est sur ce type d'hypothèques que les défauts de paiements ont le plus explosé.

 Au Canada, de telles promotions se limitent à une période de trois mois. «C'est ça la grosse différence», dit M. Boucher.

 Il souligne qu'on ne trouve pas non plus d'hypothèque à amortissement négatif, comme aux États-Unis. Avec ces hypothèques, les paiements mensuels ne couvrent même pas les intérêts, si bien que le montant du prêt augmente sans cesse.

 Autre distinction importante: «Aux États-Unis, les prêteurs finançaient jusqu'à 100% de la valeur de la maison, sans exiger de preuve de revenus de la part de l'acheteur. Ici, les prêteurs B financent seulement jusqu'à 80%, pour les acheteurs qui ne fournissent pas leur avis de cotisation», rapporte Érik Brunet, courtier hypothécaire chez Multi-Prêts. Il se spécialise dans les hypothèques B depuis deux ans.

 Les travailleurs autonomes forment 80% de sa clientèle. Souvent des gens qui ont de bons revenus bruts, mais qui ont seulement 15 000$ de revenus nets dans leur déclaration de revenus.

 Les prêteurs à risque leur demandent de signer une déclaration dans laquelle ils chiffrent leurs revenus. Certains prêteurs vérifient si le revenu est logique. D'autres ne posent pas trop de questions si une vendeuse dans un grand magasin touche un salaire de 50 000$.

 Aux États-Unis, ce type d'hypothèque sans preuve de revenu (catégorie Alt-A) formait presque la moitié des hypothèques à risque. Des enquêtes ont permis d'établir que la majorité des clients ont significativement gonflé leurs revenus et ils se trouvent aujourd'hui dans de beaux draps.

 Des taux élevés

 Il faut dire que les taux d'intérêt sur les hypothèques non traditionnelles sont beaucoup plus élevés.

 «Un emprunteur qui a déjà fait faillite deux fois, peut payer 13 à 14% d'intérêt», estime Mme Trudeau. C'est facilement le double du taux d'intérêt payé par un emprunteur qui a un bon dossier de crédit.

 Les grandes banques affichent présentement un taux d'intérêt de 7,25% pour une hypothèque de cinq ans. Les bons clients peuvent négocier un meilleur taux (5,79%).

 «Certains prêteurs à risque attirent les emprunteurs avec un taux d'intérêt assez raisonnable. Mais toutes sortes de frais font en sorte que le vrai taux est beaucoup plus élevé», souligne Pierre Fortin, syndic de faillite chez Jean Fortin et associés.

 Il commence d'ailleurs à voir les hypothèques B ressortir dans les dossiers de faillites qui atterrissent sur son bureau. Mais aussi de nouveaux produits plus flexibles lancés récemment par les banques, comme les marges de crédit hypothécaire.

 Une chance de souffler, un risque de se caler

 Où se situe la frontière entre les hypothèques traditionnelles (catégorie A) consenties par les grandes banques, et les hypothèques non traditionnelles (catégorie B) offertes par les prêteurs à risque (subprime)?

 La réponse est une «bibitte à quatre pattes», dit Sylvain Boucher, président du courtier hypothécaire Nov Imm.

 1- Le pointage Beacon

 Les banques consultent d'abord le pointage de crédit qui reflète les retards de paiement comptabilisés par les bureaux d'évaluation (Equifax, TransUnion), mais aussi une foule d'autres facteurs comme le nombre de demandes de crédit, le pourcentage du crédit utilisé sur les cartes et les marges.

 L'échelle va de 300 à 850 points. Un pointage supérieur à 800 est excellent. En dessous de 680, les banques deviennent frileuses.

 Les prêteurs à risque, eux, n'ont pas de limite. Certains accordent une hypothèque à un salarié qui s'est libéré de sa faillite la veille et qui n'a que 10% de mise de fonds. Mais les intérêts sont d'environ 11%, soit 5% de plus que dans une banque. «Ça vaut la peine de rester en appartement!», lance Érik Brunet, courtier chez Multi-Prêts.

 2- La capacité financière

 Les banques ont deux ratios clés pour évaluer la capacité de payer.

 Premièrement, il ne faut pas que les frais de logement mensuels (hypothèque, taxes, chauffage, etc.) excèdent 32% des revenus bruts mensuels.

 Deuxièmement, il ne faut pas que l'ensemble des engagements de l'emprunteur (frais de logement et remboursement des autres dettes) excèdent 40% des revenus bruts. Depuis peu, certaines banques vont jusqu'à 44%.

 «Il y a un prêteur à risque qui va jusqu'à 75%», dit M. Brunet. C'est dire qu'un acheteur dont les revenus s'élèvent à 60 000$ pourrait se retrouver avec une maison qui lui coûterait 45 000$ par année. Pourtant, cette personne n'aurait que 43 000$ dans ces poches après avoir payé ses impôts. Trouvez l'erreur!

 3- La mise de fonds

 Bien sûr, plus la mise de fonds est légère, plus le risque est lourd pour le prêteur. Cela entre donc dans l'équation. Mais les banques accordent maintenant des hypothèques sans mise de fonds.

 4- Le type de maison et la dynamique du marché

 Le prêteur se demande finalement jusqu'à quel point la maison sera facile à revendre en cas de reprise. Est-ce une maison mobile ou une maison en rangée très standard? Le secteur est-il surévalué? La maison est-elle trop chère pour le quartier?

 5- Le dernier recours

 Il y a des cas où même les prêteurs à risque disent «non». On tombe alors dans la catégorie C.

 M. Brunet cite le cas d'un travailleur autonome qui n'avait pratiquement aucun revenu net. Il avait déjà déclaré faillite deux fois. Et il souhaitait se faire construire une maison. Or, les prêteurs à risque lèvent le nez sur les hypothèques à débours progressifs pour les autoconstructeurs.

 Un prêteur de catégorie C a accepté de se mouiller. Il lui a allongé 300 000$ pour six mois à un taux de 15%. Par la suite, l'emprunteur a réussi à obtenir une hypothèque auprès d'un prêteur B.

 Les prêts C sont des derniers recours, souvent offerts dans les petites annonces par des particuliers. Parfois, ils prêtent en deuxième hypothèque à des propriétaires qui veulent refinancer leurs dettes.

 Mais souvent ils financent seulement en première hypothèque, ce qui est encore plus désavantageux, indique le syndic de faillite Pierre Fortin.

 Au lieu de contracter une deuxième hypothèque, disons de 30 000$ à un taux de 20%, l'emprunteur doit d'abord rembourser son hypothèque existante, disons 100 000$ à 6%, pour ensuite contracter une nouvelle hypothèque de 130 000$ à 20%.

 L'abc des hypothèques A, B et C

 Les grandes banques canadiennes ont considérablement assoupli leurs règles, ces dernières années. Ainsi, les hypothèques traditionnelles (catégorie A) sont devenues beaucoup plus flexibles.

 «Le A s'est étiré», constate Sylvain Boucher, président du courtier hypothécaire Nov Imm. «Si on recule de quelques années, les travailleurs autonomes étaient considérés comme des clients B. Aujourd'hui, ça dépend. C'est un mode de vie de plus en plus populaire. Les banques veulent aller chercher leur part du marché», dit-il.

 En fait, les banques s'aventurent dans toutes sortes de produits plus osés, comme en témoignent les nombreux assouplissements des sociétés d'assurances prêts, dont le rôle est d'assurer les hypothèques traditionnelles, lorsque l'acheteur dispose d'une mise de fonds inférieure à 20% du prix de la maison (c'était 25%, avant le printemps dernier).

 Depuis 2006, la Société canadienne d'hypothèque et de logement (SCHL) accepte d'assurer les hypothèques amorties sur une période de 40 ans, alors qu'avant elle n'allait pas plus loin que 25 ans.

 Elle donne aussi sa bénédiction aux hypothèques sans aucune mise de fonds, alors qu'avant elle exigeait que les acheteurs aient réussi à épargner au moins 5%.

 Autre innovation récente: les travailleurs autonomes n'ont plus besoin de fournir une preuve officielle de leurs revenus, dans le cadre du programme Option simplifiée de la SCHL.

 Pour un salarié, il est simple comme bonjour de prouver ses revenus. Mais pour les travailleurs autonomes, il est difficile ou onéreux de fournir une preuve officielle d'une tierce partie, comme des états financiers vérifiés, justifie Pierre Serré, vice-président développement des produits et des affaires à la SCHL.

 «Nos modèles évaluent jusqu'à quel point les revenus déclarés sont raisonnables, en fonction du métier», rassure M. Serré. Mais il ne fait pas de doute que ces hypothèques sont plus risquées, puisque la prime d'assurance prêt est deux fois plus élevées (ex: 6% du montant du prêt, par rapport à 2,75% pour un salarié qui a une mise de fonds de 5%).

 Genworth Financial Canada, le concurrent de la SCHL, avait lancé un programme similaire en 2006, SolutionCrédit, afin d'accorder plus de latitude aux travailleurs autonomes, mais aussi aux personnes qui ont un historique de crédit imparfait.

 Genworth a aussi élargi ses normes pour les immigrants récents qui veulent acheter une maison avec une mise de fonds de seulement 5%.

 Autant d'assouplissements qui démontrent que les banques traditionnelles jouent de plus en plus dans les plates-bandes des prêteurs à risque.