De la fenêtre de son salon, Nadia Chatelle voit des poids lourds et des voitures qui filent à toute allure sur les larges bandes asphaltées de l'autoroute Jean-Lesage.

De la fenêtre de son salon, Nadia Chatelle voit des poids lourds et des voitures qui filent à toute allure sur les larges bandes asphaltées de l'autoroute Jean-Lesage.

La 20, Mme Chatelle l'a carrément dans sa cour. Sa coquette petite maison est construite à Saint-Nicolas, sur le chemin Filteau, qui est situé à quelques mètres de l'axe routier. Un simple fossé les sépare. Pas même une clôture.

Ses deux jeunes enfants de trois et six ans savent bien qu'il est formellement interdit de jouer à l'avant de la maison sans surveillance. Si leur mère ne croit pas qu'ils s'aventureraient près de l'autoroute, elle craint davantage la circulation sur le chemin Filteau, où «les gens roulent en fous».

«Ça, c'est une des conséquences de l'autoroute», dit Mme Chatelle en pointant la poussière qui s'est accumulée sur les chaises blanches placées sur la galerie. «Je les ai lavées il y a une semaine. Je pense que je vais les changer de place...», poursuit-elle, résignée.

À l'extérieur, devant la demeure, le bruit est tel qu'on a peine à s'entendre. À l'arrière, c'est à peine mieux. Les bruyants trains de marchandises défilent en plus à intervalles réguliers, de l'autre côté des voies rapides. Il a fallu un an à Mme Chatelle pour pouvoir dormir les fenêtres ouvertes. «Parfois, quand des gros camions passent, la maison vibre! Mais on s'habitue.»

Plusieurs raisons

La question brûle les lèvres: pourquoi avoir choisi cet emplacement? La réponse est claire: un grand terrain à moindre coût. Il y a deux ans, le jeune couple a déniché cette pièce de terre. Près de 20 000 pieds carrés, boisés, à une bonne distance du plus proche voisin et pas cher, décrit Nadia Chatelle. L'occasion idéale.

Le voisinage avec l'autoroute est un moindre mal, selon elle. La joie de voir des cerfs et des lièvres de temps à autre dans son arrière cour compense amplement pour cette famille qui adore la nature. Le terrain a même doublé de valeur depuis que le couple en a fait l'acquisition.

Si au départ ils prévoyaient déménager après quelques années, Mme Chatelle et son conjoint reconsidèrent leur décision. «On est bien ici. Tant qu'il n'y aura pas de développement (résidentiel) derrière, on reste.»

Pour la famille de Carole Boucher, c'est la maison qui a orienté le choix de s'établir sur le chemin Filteau, un peu plus à l'est. Il y a 10 ans, Mme Boucher attendait son quatrième enfant - elle en a aujourd'hui cinq - et la maison mobile que le clan habitait à Lauzon ne convenait plus du tout. Cette maison correspondait aux critères et au budget de la famille. Elle comporte quatre chambres à l'étage et deux au sous-sol.

La résidence a environ 60 ans, mais elle n'est plus sur son emplacement d'origine. À la fin des années 60, elle s'est trouvée en plein sur le trajet projeté de la nouvelle autoroute. Les propriétaires de l'époque ont reçu une compensation pour la déplacer de quelques dizaines de mètres. Mme Boucher est la première à l'admettre, cette même propriété située dans un paisible quartier résidentiel aurait probablement été beaucoup plus dispendieuse et le terrain qui l'entoure, plus restreint.

Elle aussi s'est accoutumée au grondement de la 20. Même le train ne la réveille plus. Jusqu'à tout récemment, les fenêtres étaient toujours ouvertes l'été. Mais depuis l'installation d'un système de chauffage par géothermie, la maison est climatisée durant la saison chaude et elles restent désormais fermées.

La localisation de la maison n'a pas empêché Carole Boucher de tenir une garderie en milieu familial pendant quelques années. Mais il avait fallu clôturer le terrain au complet pour assurer la sécurité des bambins. La famille trouve même plutôt pratique, dans ses déplacements quotidiens, d'être si près d'une jonction avec la Transcanadienne.

Elle n'est pas la seule à apprécier les avantages qu'offre la proximité de l'autoroute. Pour Roland Caron, cela procure une visibilité incomparable. Il stationne le camion de sa compagnie d'outillage dans sa cour, qui est située face à l'autoroute, et ça fonctionne. «Les clients savent où je reste. S'ils ont besoin d'un outil et que ça presse, je suis facile à trouver. Ça compte quand on est en affaires», lance-t-il.

Diane Paris, agente immobilière à La Capitale Cité, reconnaît cependant que les maisons situées le long d'un axe routier très fréquenté ne sont pas les préférées des acheteurs pour plusieurs raisons. Outre le bruit, «ça prend constamment une voiture pour se déplacer. En général, il n'y a pas d'école, pas de terrain de jeu, pas d'épicerie à proximité». Les couples avec enfants, en particulier, sont plus réticents à s'y installer, car ils craignent pour la sécurité, ajoute-t-elle.

Une clientèle

Mme Paris estime qu'une maison en bordure d'autoroute vaut environ 10 000 $ de moins que la même propriété située dans un quartier résidentiel. Mais il existe tout de même une tranche de la clientèle qui y trouve son bonheur. «Les gens qui ont des animaux et qui ont besoin d'espace. Aussi, les personnes à la retraite qui aiment le jardinage et qui ont du temps à consacrer à l'aménagement et l'entretien de leur terrain», illustre-t-elle.

Les immeubles à condos, même bâtis le long des grands axes routiers comme l'autoroute Duplessis ou le boulevard Lebourgneuf, sont très populaires chez les retraités, mais aussi chez les femmes seules et les jeunes couples. La différence est qu'ils sont souvent très bien isolés et insonorisés selon les normes gouvernementales, poursuit Diane Paris. «Certains constructeurs vont même jusqu'à installer une membrane sous la céramique du plancher pour une insonorisation encore plus efficace.»

Plusieurs secteurs sont aussi pourvus de murets antibruit ou d'un écran de végétation pour atténuer le son des voitures. Pour Nadia Chatelle, ce serait l'idéal. «Le ministère des Transports en a installé un peu plus loin à Saint-Nicolas. On ne sait jamais, peut-être qu'ils en mettront devant chez nous, espère-t-elle. En attendant, on va planter nous-mêmes une haie de cèdres.»