Les murs de cette maison du Chemin du Passage auraient pu prendre la route du dépotoir pour y pourrir, n'eût été de l'intervention de Michel Martel, qui complète le processus de démontage de la bâtisse.

Les murs de cette maison du Chemin du Passage auraient pu prendre la route du dépotoir pour y pourrir, n'eût été de l'intervention de Michel Martel, qui complète le processus de démontage de la bâtisse.

Depuis une trentaine d'années, Michel Martel développe sa passion pour la récupération de maisons ancestrales en bois, construites pièces sur pièces. Le résidant du secteur Saint-Grégoire, à Bécancour, est en train de compléter le «curetage» d'un des plus vieux bâtiments de l'ancienne ville du Cap-de-la-Madeleine.

Au terme du processus, la «maison Corbin», dont les composantes auront été démontées et numérotées, prendra le chemin de Deux-Montagne, où elle sera remontée. À 54 ans, Michel Martel démontre un enthousiasme presque juvénile quand il fait visiter le chantier de «déshabillage» de la maison dont on estime la construction à environ 1850.

Des maisons qui parlent

Les yeux brillants, il décrit les caractéristiques de la maison, en mentionnant les indices qui permettent de supposer des pans de son histoire. Il montre entre autres les clous à tête carrée, laissant deviner que la construction est postérieure à 1830. «Les clous carrés sont arrivés avec l'industrialisation. Avant, c'étaient des clous en fer forgé», explique-t-il en exhibant des spécimens.

M. Martel attire aussi notre attention sur les couches de tapisserie superposées, qui témoignent avec éloquence des modes successives. Il souligne également les trois époques de la maison, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur. À l'extérieur, en enlevant le revêtement de ciment blanc, l'homme a trouvé du bardeau vert. Sous ce bardeau de cèdre, il a découvert le bois original de la construction.

Puis, à l'intérieur, ce même bois blanchi à la chaux avait été recouvert par du crépi tenu sur des lattes de bois, puis par du placoplâtre. «Les planchers sont en madrier de pin, le plafond a été raboté à la main. Ici, il y avait un âtre de pierre», fait successivement remarquer Michel Martel, en décrivant l'ensemble de la maison.

M. Martel, un musicien professionnel, a toujours entretenu ses deux passions, soit la musique et la récupération de vieilles maisons. Il a appris en lisant plusieurs ouvrages sur l'architecture traditionnelle et la restauration de maisons patrimoniales au Québec. L'expérience personnelle et l'instinct guident aussi sa pratique.

«Ça me parle beaucoup. Je dois avoir des racines anciennes de vieux charpentier-menuisier qui ressortent!», exprime-t-il pour tenter d'expliquer l'origine de son intérêt pour le «sauvetage» de vieilles constructions. Pour lui, les bâtiments centenaires ont une âme. «Ces maisons ont vu naître et mourir. Il y a toutes sortes de choses en elles qui parlent», croit-il.

Comme un jeu de blocs

Michel Martel demeure à l'affût des immeubles destinés à quitter le terrain sur lequel ils sont situés. Parfois, les bâtiments sont voués à la démolition, soit parce que les propriétaires les jugent trop vétustes pour être rénovés ou restaurés, ou encore parce qu'on désire rebâtir une construction d'un autre style au même endroit. Les expropriations peuvent également justifier le déplacement de bâtisses.

«J'acquiers ces maisons ou on me les donne. Je fais mes affaires par Internet. Je trouve surtout des acheteurs dans des régions où la sensibilisation est plus forte qu'ici, surtout autour des villes comme Montréal ou Québec», explique M. Martel. «Les maisons sont démontées, numérotées par sections, photographies, et partent dans un camion, comme un jeu de blocs», poursuit-il.

Au temps de la traverse

Michel Martel a acquis la maison Corbin quand le dernier propriétaire, qui l'avait achetée en octobre 2004, a manifesté son intention de la démolir pour rebâtir autre chose. La société d'histoire de Cap-de-la-Madeleine a été mandatée par la Ville de Trois-Rivières pour évaluer la valeur patrimoniale de la bâtisse et émettre des recommandations sur le sort à lui réserver.

Le président de la Société, l'historien Yannick Gendron, a donc effectué les recherches sur cette maison que certains considèrent comme la plus ancienne de Cap-de-la-Madeleine, si on exclut les constructions du petit sanctuaire (1720) et du manoir des Jésuites (1742). Par contre, aucun document ne permet de retracer la date de construction de la maison.

En fait, le premier document sur lequel on peut se fier est l'acte notarié scellant la vente de la propriété de Célina Boulard à Joseph Boulard, le 24 octobre 1868. L'observation des méthodes de construction, telle que réalisée par Michel Martel, situe la construction au milieu du 19e siècle. Pierre Desjardins, responsable du patrimoine pour la Ville de Trois-Rivières, appuie cette hypothèse.

Dans le rapport présenté à la Ville, Yannick Gendron trace le lien entre la famille Corbin, qui a possédé la maison pendant la majeure partie du 20e siècle, et l'histoire de la traverse à Cap-de-la-Madeleine. Par contre, les recherches de M. Gendron ne permettent pas de lier la maison dite Corbin à la période de la traverse de la rivière, qui a cessé en 1832.

Les Corbin ont été associés pendant longtemps au service de traversier (ou de «passager») sur la rivière Saint-Maurice, avant qu'un pont ne relie les rives du Cap et de Trois-Rivières. Il est plausible que les Corbin aient tenu la traverse dans la seconde moitié du 18e siècle. «On retrouve périodiquement leur nom sur la liste des traversiers entre 1799 et 1832», note Yannick Gendron en parlant des Corbin.

La maison Corbin ne serait donc pas celle dans laquelle ont vécu les responsables de la traverse, vu que son érection serait postérieure à la construction d'un pont sur la rivière. Par contre, juge M. Gendron, «même si la maison n'est pas contemporaine à la traverse, cela ne lui retire en rien ses qualités architecturales et de construction».

Pour la conservation

«Elle compte parmi les quatre ou cinq bâtiments les plus anciens de Cap-de-la-Madeleine. À cet égard, la maison Corbin mérite d'être conservée, sur ce terrain ou à proximité, là où elle pourrait être transportée pour en jouir et la mettre en valeur», conclut l'historien.

Ainsi, la Société d'histoire de Cap-de-la-Madeleine a émis son avis sur trois scénarios. Dans une situation qu'elle qualifie d'idéale, elle proposait que la Ville de Trois-Rivières acquiert l'immeuble et le déménage. La Société souhaitait notamment pouvoir y aménager ses bureaux et rendre la maison accessible au public.

Dans une situation «acceptable», la Société suggérait que la maison Corbin soit déménagée, mais conservée dans son état actuel, et que le propriétaire en conserve la mémoire et aménage un panneau d'interprétation sur son histoire. Enfin, «la démolition pure et simple de la maison Corbin nous semble inacceptable, compte tenu de sa valeur patrimoniale», indiquait le rapport.

Finalement, la maison a été vendue et revivra à Deux-Montagnes, où elle sera juxtaposée à une maison déjà existante.