Comme beaucoup d'inventions, c'est presque par hasard que le Pyrex a fait son entrée dans pratiquement tous les foyers d'Amérique du Nord, il y a exactement 100 ans cette année. S'il continue de servir au jour le jour à la cuisine, le Pyrex est aussi devenu objet de collection, tout comme son principal rival, le Fire-King. Survol d'un phénomène.

Croyez-le ou non, le plat à petites fleurs dans lequel vous avez toujours vu votre mère servir le pâté chinois, le bol vert dans lequel vous avez préparé votre premier gâteau, jusqu'au beurrier rose de tante Albertine, tout cela se vend et s'achète, parfois à prix d'or, sur les sites spécialisés, dans les bazars et dans quelques boutiques choisies. Eh oui! Tout se collectionne, y compris le Pyrex... et son principal concurrent, le Fire-King, né un peu plus tard.

Il suffit de visiter KitschÀ l'Os (ou pas), la boutique que Liliane Ratté a ouverte il y a deux ans rue Hochelaga, pour s'en convaincre. Dès qu'on y met les pieds, on est accueilli par un joyeux étalage de bols, casseroles, tasses et autres contenants de verre aux couleurs pimpantes.

Celle qui se surnomme elle-même «Mme Pyrex» n'en collectionne pourtant pas. Elle achète pour revendre, et elle vend sans peine. «Les roses et les turquoise sont les plus recherchés. Les motifs dans les tons de rouge ou d'orangé plaisent aussi, mais ils se vendent plutôt à l'automne. Les seuls motifs dont personne ne veut, ce sont les champignons dans les tons de beige et de brun des années 80», dit-elle avec une petite moue de dédain qui en dit long sur les dérives esthétiques de cette mystérieuse décennie.

Collection raisonnée

Bien connue des amateurs de design d'intérieur, Vanessa Sicotte, blogueuse, chroniqueuse, animatrice et créatrice du portail Damask et Dentelle, collectionne le Pyrex depuis quelque temps déjà.

Sa passion pour la récupération et les objets rétro ne l'aveugle cependant pas au point où elle saute sur tout ce qui porte la marque Pyrex. À collectionneuse raisonnable, collection raisonnée! «J'achète les objets qui me plaisent, bien sûr, mais seulement ceux qui ont une certaine valeur. Par exemple, les pièces de couleur unie, plus rares, valent plus cher que les motifs. Mais certains motifs qui ont été produits en nombre limité sont aussi très rares et ont donc une bonne valeur.»

Son premier achat a été un bol Snowflakes (à motif de flocons de neige) turquoise, un jour où elle cherchait un grand plat à salade pour le temps des Fêtes. Sa collection compte maintenant une trentaine de pièces, toutes impeccables, sagement rangées dans deux armoires de cuisine... qu'il a fallu renforcer parce qu'elles menaçaient de s'écrouler sous le poids de leur contenu!

Malgré la valeur de sa collection, Vanessa Sicotte ne s'empêche pas de s'en servir. «Ce sont les meilleurs plats pour cuisiner, je m'en sers presque chaque jour!», affirme-t-elle.

Les fans du Fire-King

La marque Fire-King, créée vers 1940 par la firme Anchor Hocking, est la principale concurrente de Pyrex. Fire-King est célèbre notamment pour ses services de vaisselle d'un vert laiteux, appelé Jade-ite, très courants dans les restaurants de l'époque, mais aussi, comme Pyrex, pour ses contenants à frigo, casseroles et autres bols à mélanger à motifs colorés.

Pascal Conner collectionne le Fire-King depuis 18 ans. Il s'est «mis» au Pyrex récemment, quand sa collection de Fire-King a commencé à plafonner, littéralement: dans sa petite maison de Longueuil, une pièce au sous-sol est réservée à ce précieux assemblage. Du plancher au plafond, sur les quatre murs, des services de vaisselle, des tasses, des casseroles, des bols et des terrines Fire-King, patiemment acquis au fil des ans, sont soigneusement alignés, regroupés par styles, par motifs ou par couleurs.

Pascal Conner expose son Pyrex dans une autre pièce, où trônent notamment des morceaux de choix, d'un beau bleu pervenche, parmi les rares qui aient été fabriqués au Canada.

Comme dans le cas du Pyrex, certains objets de Fire-King valent une coquette somme, mais Pascal Conner les collectionne essentiellement parce qu'il les trouve beaux. Tout a commencé avec un bol à motif de tulipes, qu'il a acquis dans un accès de nostalgie, parce qu'il lui rappelait son enfance. Après... eh bien, après, il est devenu accro, voilà tout.

Comme Vanessa Sicotte, il n'acquiert que les morceaux impeccables, sans ébréchure et qui n'ont rien perdu de leur couleur. Et comme elle, il les utilise régulièrement.

Il passe une dizaine d'heures par semaine à soigner sa collection («Je change les choses de place, cela devient nouveau pour l'oeil») et à écumer les forums de collectionneurs (plusieurs groupes existent notamment sur Facebook) ou les petites annonces en ligne.

À 40 ans, lui arrive-t-il de penser à ce qu'il adviendra de sa collection après sa mort? «Tous les jours!, dit-il spontanément. Je voudrais la céder à un musée, ou alors je me dis que le destin mettra peut-être sur mon chemin quelqu'un qui voudra la reprendre pour la garder. J'ai mis tellement de temps à assembler tout ça, je ne voudrais pas que ce soit dispersé.»

Depuis cinq ou six ans, Pascal Conner expose au Salon des collectionneurs de Drummondville. Invariablement, il voit des gens s'émouvoir aux larmes devant un bol ou une casserole qui leur rappellent leur grand-mère, les douceurs de l'enfance, les souvenirs d'une époque révolue. Manifestement, le rétro a de l'avenir!

En savoir plus

Pyrex Love (en anglais): pyrexlove.com

Pyrex Passion (en anglais): pyrexpassion.com

Les collectionneurs de Fire-King (en anglais): fire-king-mug.com

Musée du verre de Corning (en anglais): pyrex.cmog.org

World Kitchen (en anglais): pyrexware.com

KitschÀ l'Os (ou pas): facebook.com/kitschalos

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le siècle de Pyrex

1909

La firme Corning Glass Ware, dans la ville de Corning (État de New York), met au point le verre borosilicaté pour fabriquer des globes de lanternes de chemin de fer, des contenants pour batteries et des isolateurs électriques qui n'éclatent pas sous l'effet de la chaleur.

1913

Corning cherche des applications domestiques pour ce nouveau matériau lorsque Bessie Littleton, femme d'un scientifique de l'entreprise, propose à son mari de tester un contenant de verre borosilicaté pour y faire cuire un gâteau.

Eurêka! La cuisson se révèle plus uniforme que dans un moule de céramique, plus facile à surveiller grâce à la transparence du verre, lequel se nettoie plus facilement que le métal ou la terre cuite. Mildred Maddocks, directrice du Good Housekeeping Institute et papesse de l'économie domestique, confirme tout cela au terme de nombreux tests.

1915

Corning lance ses premiers ustensiles de cuisine en verre. Sarah Tyson Rorer, nutritionniste, rédactrice du Ladies' Home Journal et chroniqueuse au Good Housekeeping Magazine (une sorte de Martha Stewart de l'époque), en devient le porte-étendard.

1929

Après un bon départ, les ventes se mettent à battre de l'aile. Corning embauche Lucy Maltby, universitaire et professeure d'économie domestique, qui avait formulé certaines critiques à l'égard des produits Pyrex: trop chers (90 cents pour une assiette à tarte, alors qu'un moule de métal coûtait de 15 à 40 cents), peu résistants et mal adaptés aux besoins des cuisinières. On l'embauche à titre de conseillère pour remédier à ces problèmes et mettre au point des produits susceptibles de plaire aux consommatrices.

1931

Lucy Maltby met sur pied des cuisines-laboratoires chez Corning pour tester les produits avant leur mise en marché. C'est elle qui suggère de modifier la forme du moule à gâteau initial et de lui ajouter des poignées, ce qui fait bondir les ventes de... 1000%!

1936

Corning lance une collection de casseroles, poêles à frire et autres cafetières en verre aluminosilicate, qui supportent la flamme directe. Avant de mettre en marché la gamme Flameware, on a fait cuire plus de 8200 kg de pommes de terre (!) pour la tester.

La même année, Corning Glass Works intègre MacBeth Evans Glass Company, une entreprise de Charleroi, en Pennsylvanie, qui fabrique des services de vaisselle en verre opale. Avec ces nouvelles installations, Corning produit du verre trempé sodocalcique (qui contient de la chaux et de la soude), encore plus résistant que le borosilicate, dont elle fabrique surtout de la vaisselle destinée aux armées, dans les années 40.

1945

Corning lance son premier produit de verre sodocalcique grand public, un ensemble de quatre bols à mélanger de couleurs primaires, vendu 2,50$. C'est à partir de ce moment que l'entreprise commence à ajouter de la couleur à sa production.

1956

Apparition des premiers motifs imprimés. Au fil des modes et des tendances, Corning a lancé près de 150 motifs différents, parfois pour une seule saison, ce qui leur confère une valeur supplémentaire... et qui fait toujours courir les collectionneurs.

1987

Corning met fin à sa production de verre opale, faute de demande.

1998

Corning vend sa division de produits domestiques pour se consacrer aux équipements de pointe dans les domaines de la science et de la technologie. Le Pyrex est toujours fabriqué par World Kitchen, qui a lancé une collection spéciale pour souligner le 100e anniversaire de son produit chouchou.

2015

À l'occasion du 100e anniversaire du Pyrex, le Musée du verre de Corning présente jusqu'au 17 mars 2016 une exposition où l'on peut voir des publicités anciennes et des pièces particulièrement ingénieuses qui ont marqué l'évolution des produits.